Nos productions 2020
en éducation permanente
Chapitre I -analyses et étudesChapitre II -outils et services |
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En 1976, Marcel Hicter, en affirmant fermement cette opposition, constate l’échec de ses efforts de démocratisation de la culture (amener « le peuple » vers les œuvres culturelles) et soutient une autre position, qu’il appelle « démocratie culturelle » : En Fédération Wallonie-Bruxelles, cette logique d’opposition a fait place à une logique de cohabitation. Mais un autre danger menace désormais la démocratie culturelle : une économie de l’enrichissement. S’appuyant sur les travaux de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Jean Blairon montre comment ce nouveau paradigme s’est emparé de la culture et comment il modifie l’opposition démocratisation de la culture / démocratie culturelle au détriment de la seconde.
Les auteurs ont récemment consacré un ouvrage à l’analyse de la démocratie représentative dans lequel ils ont analysé « comment ça marche quand ça marche » ; en l’occurrence, il s’agissait de montrer comment la centaine de propositions de lois déposées au Sénat, en tant qu’auteur ou co-auteur, par Philippe Mahoux, sont effectivement devenues des lois. Ils ont dans cet ouvrage dégagé des composantes intrinsèques de la vie politique ; et c’est à partir de ces enseignements qu’ils analysent la situation présente, montrant comment, certes, ces principes sont actuellement l’objet de tensions complexes et aiguës, mais invitant à une prise de recul réflexif afin de ne pas fondre toute difficulté dans le concept alarmiste et improductif de « crise ».
L’auteure raconte comment, à 14 ans elle devient la maîtresse de Gabriel Matzneff, auteur et essayiste célèbre. Elle explique comment elle est arrivée à lui donner « son consentement », alors même qu’elle était sous son emprise, mais ne s’en est rendu compte que lentement, plongée dans la détresse, et que s’en rendre compte ne l’a pas protégée de la permanence de cette emprise, des années plus tard. Ce qu’elle décrit rappelle les procédés de l’institution totale décrits par Goffman.
Si la situation paraît sans précédent, ce n’est pas vraiment le cas. Ainsi, par exemple, Paul Virilio évoque, pendant la guerre du golfe, des épisodes qui ressemblent étrangement à notre actualité, en termes de changements provoqués - même si l’origine du problème était une guerre à l’époque, un virus aujourd’hui. Un parallélisme entre ses écrits et les articles récents du Soir le montre : mutation des habitudes de travail, montée en puissance des outils numériques, du télé-achat, etc., avec des moyens plus modernes aujourd’hui, qui n’en rendent que plus possibles d’autres mutations dans d’autres domaines ou d’une autre ampleur (comme l’e-scolarité, le télétravail imposé, etc.).
En d’autres termes, quel modèle de société est-il en train de se profiler, de se modifier, de se chercher, en ce temps de crise, et quelles sont les options qui semblent s’avancer ?
Philippe Mahoux et Jean Blairon ont identifié trois questions critiques : le rôle qui sera attribué à l’État (ce rôle légitime qui est réaffirmé un peu partout, mais dont l’avenir n’est pas garanti de facto) ; la place et la considération que l’on accordera aux politiques sociales (que le néo-libéralisme présente comme impayables) ; le fonctionnement et la composition du champ du pouvoir (avec par exemple la place des experts).
Ces influenceurs sont pourtant, pour beaucoup, au départ, des créateurs, des passionnés qui ont envie de partager leur savoir, leur passion, et peut-être, ensuite, de se rémunérer de ce partage Mais très vite, il leur faut se plier à des formats, à des contraintes, si ce n’est à des oukases imposés conjointement par un couple incontournable : les géants du net qui mettent à disposition les plateformes, et les annonceurs qui y trouvent à placer leur publicité. Certains influenceurs en vivent, parfois confortablement, entraînant derrière eux des communautés de suiveurs.
Le Collectif 21 a sollicité Jean Blairon pour suivre ses travaux et en proposer une lecture réflexive.
Les réponses qui sont proposées s’enchaînent et s’articulent pour dessiner des espaces de choix à propos desquels le « secteur associatif » jouera sans doute son destin.
C’est ce à quoi nous avons voulu contribuer en collaborant à une recherche initiée par le RWLP qui a interrogé des personnes « accompagnées » par le Forem dans leur recherche d’emploi.
Les réponses engrangées dans l’analyse des personnes accompagnées elles-mêmes ont permis d’identifier la controverse qui déterminera le sens réel de cet accompagnement par le service public. Il faudra en effet que celui-ci se positionne par rapport à deux alternatives croisées :
L’étude met en lumière les risques de confusion entre l’aide et le contrôle et se termine par des recommandations très précises pour développer un accompagnement qui peut se donner les moyens de réduire les inégalités et s’interdire de les aggraver.
Le changement apporté est d’envergure : il ne s’agit plus seulement de soutenir les associations « qui font de l’éducation permanente », mais bien d’assurer le développement de l’action d’éducation permanente dans [tout] le champ de la vie associative. Dans leurs travaux, les auteurs souhaitent étudier quelques aspects des relations que peuvent entretenir « action d’éducation permanente » et « vie associative ». Ils s'attachent à éclaircir les significations de ces termes et leurs relations par trois versants :
ce dernier, en ce qu'ils sont liés aux évolutions du champ politique.
ASAH a toujours investi dans la réflexion, la formation et la recherche, pensant qu’il était essentiel d’offrir à ses membres et à leurs travailleurs des espaces-temps pour poser les questions de sens en dehors desquelles leur travail perd toute pertinence. Ces deux journées, au titre explicite « Osons la relation – Handicap et milieu de vie », étaient animée par Jean Blairon. Elles se proposaient d’aborder quatre thématiques :
Sur base des interventions et des débats qu’elles ont suscités, Jean Blairon a tenté d’identifier une série de questions qui attendent selon lui une réponse collective de la part de tous ceux qui souhaitent que la pratique d’accompagnement reste vivante, qu’elle puisse continuer à ouvrir des espaces de choix et à favoriser des possibles pour les personnes, en agissant sur la société pour qu’elle-même s’ouvre à ces possibles. Il a identifié ces questions en croisant les propos des uns et des autres. Elle appartiennent à deux catégories. Certaines sont « cognitives » ; elles mobilisent des manières de considérer les pratiques dont il est question. D’autres sont plutôt de nature politique, concernant des domaines ou des manières de se faire entendre. Ces deux types de questions sont indissolublement liées et qu’elles doivent en conséquence trouver réponse conjointement.
C’est dire si la « gestion de la crise » ne doit pas être que sanitaire. Les mesures prises vont-elles aboutir à donner aux populations une place comme protagonistes de liens, comme partenaires de plein droit des services qui leur sont destinés, comme ressources et richesses créatives, comme garants, enfin, de la légitimité de ceux qui ont à les représenter ? Cette carte blanche de Christine Mahy et Jean Blairon veut contribuer à cette nécessaire évaluation en disant toute l’importance de deux questions : « Pour qui a-t-on pris des mesures ? » ; « Qui a (eu) voix au chapitre ? » Au départ de l’incontournable apport de Robert Castel sur les mécanismes de désaffiliation, les auteurs identifient les points cruciaux en termes de choix de mesures d’aide (de conception de l’action, de chemin qu’elle prendra, de public qu’elle touchera ou non). Ils constatent aussi qu’en matière de consultation sur les mesures à mettre en œuvre, le socio-culturel est cruellement absent. Or, le socioculturel est justement l’espace qui est habité par et pour des populations qui sont soumises à des risques ou des processus de désaffiliation. C’est aussi l’espace où se joue la confiance en la capacité de représentation sur laquelle se fonde la démocratie. L’après-Covid prendra-t-il en compte cet espace ?
Il examine ainsi les deux pans de la question. - Pourquoi, le cas échéant, se méfier de la révolte ? parce que le soulèvement insurrectionnel n’est qu’une action parmi d’autres dans le champ politique et que cette action n’est pas d’office dotée de toutes les vertus, comme le montrent des épisodes historiques importants. Elle n’est pas non plus d’office porteuse de progrès. Elle incite à un romantisme excessif. - Pourquoi promouvoir et occuper une position critique ? Parce que le progrès dépend de la lutte pour les droits et de la traduction des victoires en droit. Ce qui implique un passage d’un champ à un autre - du culturel ou du social au politique, entre autres. Quelle force de représentation peut opérer cette translation ? Cette question est essentielle, car la réponse ne passe pas nécessairement par la révolte.
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Par Jean Blairon et Saki Kogure Analyse à la demande, pour les 40 ans du JDJ. Paru dans le n°400, pages 50-52. L’analyse est accessible en ligne: http://www.jeunesseetdroit.be/jdj/archives/JDJB400.pdf. |
A l’occasion de son n°400, le Journal du Droit des Jeunes (JDJ) nous a sollicités pour une contribution à « un article analysant la place et le rôle de ce média, de manière plus générale, avec une certaine distance critique, par un observateur des champs socio-politiques dans lesquels s'inscrit le JDJ ».
Cette sollicitation pose deux questions passionnantes : celle de la singularité du JDJ (« ce média ») ; celle de son rapport aux champs socio-politiques « dans lesquels s’inscrit le JDJ ».
Pour tenter d’honorer une telle commande, il nous a paru nécessaire de repartir du concept de « public » tel que le philosophe américain John Dewey, grande figure de l’« Education of Adults » et de l’éducation permanente, l’a élaboré.
Pour Dewey, un « public » se crée lorsque des citoyens estiment nécessaire de s’occuper des conséquences indirectes de transactions privées. Le qualificatif « indirectes » veut dire qu’elles affectent des personnes qui ne sont pas concernées hic et nunc par ces transactions. Dewey donne l’exemple de la justice, où un « public » (et notamment des publics officers, des agents publics) doit prendre le relais des personnes privées, de manière à ce que les querelles ne soient pas réglées de manière interpersonnelle, mais à un niveau sociétal. Mais pour Dewey, « le public » ne se limite pas à la prise en charge d’un problème par un « service public », mais implique aussi un niveau de qualité de débat.
C’est donc à l’aune de ce point de vue que Jean Blairon développe la place et le rôle d’un média comme le JDJ.
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Rapport
La période du confinement a certainement pris tout le monde de court et a posé des questions inédites à nos sociétés. Elle a au fond fonctionné comme un analyseur mondialisé (l’analyseur est un « objet » au sens large qui révèle les contradictions qui traversent une situation).
Les réactions à cette situation anxiogène ont été multiples, empreintes d’affects évidemment, comme les applaudissements ritualisés à l’adresse des services soignants, relayés à l’envi par les médias.
Les visées de l’éducation permanente ne permettaient toutefois pas de participer à ces élans sans recul réflexif – sans tenter de suivre ce dont un tel analyseur peut être porteur.
C’est à cette entreprise que s’est consacré le RWLP et à laquelle nous nous sommes associés. Des échanges d’analyses et de réflexions ont eu lieu entre nos deux associations ; ils ont notamment abouti à la décision de réaliser le service dont il est question ici.
Nos analyses conjointes nous ont permis de définir trois visées :
- les métiers de la santé que l’on applaudissait avec insistance avaient fait l’objet de restrictions généralisées peu de temps auparavant, sans autres réactions que celles des intéressés eux-mêmes ;
- les métiers « à risque », de « contact » sont bien plus nombreux que ceux qui semblent monopoliser la reconnaissance et l’admiration ;
- comme souvent, le point de vue des premiers intéressés est peu connu.
Les produits
Les deux associations ont donc décidé de réaliser et diffuser des capsules vidéo rencontrant ces trois visées.
Chacune a été consacrée à un « métier » particulier, dont la nécessité apparaissait du fait de la crise et n’avait d’égale que l’indifférence antérieure à ses conditions d’exercice. D’où le titre générique « Invisibles avant ».
A chaque fois, c’est l’analyse du/de la professionnelle elle-même qui était mise en avant. En cours de processus, il a paru utile d’élargir à des situations qui, invisibles avant, l’étaient encore plus maintenant, même si elles ne correspondaient pas, directement en tout cas, à l’exercice d’un métier.
7 capsules ont été décidées et réalisées, dans le strict respect des conditions sanitaires évidemment. Chacune a été diffusée par le RWLP, via son réseau facebook et sur youtube. Les chiffres de diffusion sont ceux qui sont enregistrés le 15 décembre.
A noter que le RWLP a diffusé pendant le mois de juin 8 autres productions, dont certaines très téléchargées, ce qui peut expliquer sans doute les baisses significatives des chiffres pour certaines réalisations.
Capsules métier | Vues Youtube |
Vues Facebook |
Infirmière 26 mai | 820 | 5600 |
Educatrice 28 mai | 668 | 1300 |
Technicienne de surface 2 juin | 168 | 5800 |
Collectif sans papiers 5 juin | 771 | 1200 |
Sans abri 8 juin | 570 | 1100 |
Titre service 11 juin | 765 | (lien youtube sur facebook) |
Personnel supermarché 19 juin | 60 | (lien youtube sur facebook) |
Les enseignements généraux tirés par les deux associations partenaires
Sur le fond, cette réalisation de service pose le problème de l’ensemble que ces 7 capsules constituent ou non.
Effectivement les situations présentées possèdent des caractéristiques identiques : invisibilité avant la crise, évolution significative pendant (soit une visibilité inédite, soit une invisibilité confirmée ou accrue).
Au-delà de ces caractéristiques, elles-mêmes visibles, on peut se demander s’il n’y a pas d’autres composantes moins visibles qui sont en jeu.
Nous en trouvons au moins deux.
La question de la participation à la production de la société : ces métiers considérés par beaucoup comme subalternes ou absents (pour le collectif des sans papiers par exemple) se sont révélés dans leur caractère contributif fort, ce qui ne peut que rappeler la situation du Tiers-Etat à une autre époque : « nous faisons tout, nous n’avons rien ».
Encore faut-il que ces caractéristiques communes soient perçues comme telles par les intéressé(e)s eux-mêmes (et c’est bien ce à quoi voulait contribuer la série) : nous retrouvons là l’analyse de Jean Lojkine que nous avons déjà eu l’occasion de mettre au travail : il s’agit de métiers qui concernent, sans doute dans des proportions variables, une relation de service et un traitement de l’information.
Jean Lojkine y voit les prolégomènes d’une conscience de classe (voire d’un retour d’une lutte de classe, ce qui n’est pas sans lien avec le point précédent) :
« Entre le groupe ouvrier, les employés de l’administration, les professions de la culture, de la santé et les professions intellectuelles salariées, de nouveaux liens ne se tissent-ils pas, malgré les divisions statutaires, autour du travail d’information et de la relation de service ? »1.
C’est bien la question de fond que pose cette réalisation d’une série.
Sur la forme, cette série a été l’occasion de revenir sur certaines fausses évidences de la grammaire médiatique. Nous pensons ici aux images d’illustration, qui précèdent souvent une interview : le (la) professionnel(le) est représenté « en mouvement », même si ce mouvement est purement factice : arrivée au bureau, arrivée sur le lieu du travail, etc. Nous nous sommes habitués à ces subterfuges, qui trahissent l’obsession du mouvement (des images où on bouge) des médias dominants.
Mais en l’occurrence, par rapport à l’expérience et l’analyse portées par les personnes dans leur prise de parole, ces « entrées en mouvement », non seulement révélaient leur vacuité mais surtout entraient en contradiction avec la vérité de la situation : la confrontation à un risque majeur.
Il a donc fallu corriger le tir à plusieurs reprises pour éviter cette contradiction interne destructrice.
Liens vers les capsules
- Capsule 1 : la population du nord-Luxembourg et Céline, infirmière
https://www.youtube.com/watch?v=6rO9ngYy930 - Capsule 2 : des personnes porteuses d’une déficience et Lætitia, éducatrice
https://www.youtube.com/watch?v=IfYbzlJBfZk - Capsule 3 : le personnel d'entretien et Ilana, la fille d'une technicienne de surface en home
https://www.youtube.com/watch?v=OVZ8CTPpHCU - Capsule 4 : la population liégeoise, Nenette et Nadine, membre du collectif La voix des sans-papiers
https://www.youtube.com/watch?v=r2M0_MFx07s - Capsule 5 : des personnes sans-abris et Émeline, infirmière de rue
https://www.youtube.com/watch?v=HSlM2rjQwho - Capsule 6 : les usagés des titres services et Amandine, aide ménagère
https://www.youtube.com/watch?v=nG5aa8_0h0s - Capsule 7 : la population de Marche-en-Famenne et Chantal, caissière dans la grande distribution
https://www.youtube.com/watch?v=OHlLTwkVuDk
Notes 1-J. Lojkine, L’adieu à la classe moyenne, Paris, La Dispute, 2005, p. 10. Nous avons commenté ce point dans une étude parue pendant l’été 2020, « L’associatif est-il (encore) manifestable ? », https://www.intermag.be/images/stories/pdf/rta2020m09n1.pdf, p. 21. |