« No-selfies », un projet de l'asbl RTA (Réalisation, Téléformation, Animation) et du RWLP (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté)
La mode des « selfies » pose question et stimule l'imagination.
On observe en effet un renversement de perspective interpellant, notamment en matière de rapport aux chefs d’œuvre ; dans un musée, par exemple, on voit de plus en plus de touristes qui, au lieu de photographier l’œuvre qui fait l'objet de leur admiration, se photographient devant elle. Le thème n'est plus d'en emporter une reproduction, mais de diffuser la trace du fait « qu'on y était ». L’œuvre devient un arrière-plan et l'auto-affirmation de la présence, centrale, souvent au détriment de la contemplation elle-même (la personne qui se photographie tourne d'ailleurs le dos à l’œuvre). « J'y étais – mais je ne l'ai pas regardée » pourrait être le slogan paradoxal de cette pratique culturelle, où ce qui compte c'est d'être regardé comme présent/absent sur les lieux de l’œuvre.
A côté de cette présence hypertrophiée et vide, on trouve des personnes dont la présence est déniée, dont les protestations silencieuses ne sont pas entendues, dont la réalité est travestie ou oubliée, et qui sont soumises à une violence symbolique d'autant plus dure qu'elle est invisible : c'est notamment le cas des personnes confrontées à l'appauvrissement durable ou prises dans la tourmente de l'Etat Social Actif.
Nous avons voulu rendre visible l'invisible (ou plus exactement l'invisibilisation) en témoignant d'une réalité décrite par les personnes qui la vivent. C'est à travers des « no-selfies » de personnes « au pied du mur », « dos au mur », et même littéralement « dans le mur », que nous avons choisi de procéder. On l'aura compris, la seule « œuvre d'art » devant laquelle ces personnes devenues transparentes pour la société (pauvres, chômeurs, NEET, etc.) peuvent dire qu'elles « y sont », c'est un mur.
Des no-selfies aux Chroniques de l'Etat « social » « actif »
Ces no-selfies ont été réalisés au départ d'interviews, menées à RTA par Sophie Ceusters, Bernard Detré et Jean-Pol Cavillot. Seuls des extraits les plus significatifs de ces interviews ont été sélectionnés pour le montage. Mais les analyses de leur situation réalisées par les personnes elles-mêmes dans ces entretiens étaient tellement riches et consistantes que nous n'avons pas pu ne pas les prolonger en tentant d'en rendre raison à plusieurs niveaux (ceux des pratiques, des politiques, du modèle de société), dans une série de Chroniques de l'Etat « social » « actif ».
Chroniques de l'Etat «social» «actif» - 1. Désactivation privée et Inaction publique
La sociologie de l'émancipation rappelle qu'il appartient à des institutions, situées au-dessus de la mêlée des intérêts et des passions, de prendre des décisions de valorisation (par exemple : l'accès à une aide) d'une manière fondée en justice.
Dans beaucoup de cas, ce fondement s'appuiera sur des épreuves, dont le format est précisé de telle façon que les agents qui les administrent puissent confirmer leur décision en se référant à une tenue conforme aux procédures prévues.
Dans cette analyse, nous montrons que les épreuves mises en œuvre par les agents en charge des politiques sociales inspirées par l'Etat Social Actif sont massivement critiquables. Nous nous situons là en quelque sorte au niveau des pratiques.
Chroniques de l'Etat «social» «actif» - 2. Produire plus de désaffiliation
Dans cette seconde analyse, nous nous sommes portés au niveau des politiques, en partant du concept de désaffiliation que l'on droit à Robert Castel.
On est « affilié » lorsqu'on dispose d'une position solide sur le terrain de l'intégration (c'est-à-dire de l'emploi) et de soutiens en termes d'insertion (c'est-à-dire au niveau des solidarités socio-familiales). La désaffiliation menace ceux qui sont fragilisés sur ces deux axes, qui se co-produisent mutuellement d'ailleurs (tant dans le sens du renforcement que de l'affaiblissement). Or, les politiques sociales « modernisées » peuvent produire davantage de désaffiliation, c'est-à-dire aller à contresens des visées officiellement poursuivies.
Chroniques de l'Etat «social» «actif» - 3. Une société de la désubjectivation
Dans un troisième temps, nous voudrions placer notre réflexion au niveau du modèle de société lui-même que ce type d'Etat « social » contribue à faire exister.
L'idéologie du self-help s'accommode fort bien des politiques d'austérité qui sont en réalité la condition de l'accroissement des richesses.
Le modèle de société qui nous domine est en effet celui d'un creusement assumé des inégalités. Il concourt à produire de la désubjectivation, c'est-à-dire à priver des individus du droit fondamental à la liberté et à la capacité d'action qui est la condition pour faire d'eux des acteurs.
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