Le Ministre de la justice, Koen Geens, projette de créer un Code unique des sociétés, dans lequel les associations seraient intégrées au côté des entreprises marchandes, et qui devrait entrer en vigueur fin 2018.
Les arguments de cette réforme sont, sans grande surprise, tournés vers la « simplification » et la « modernisation ». Cette réforme, dont tous les textes ne sont pas encore disponibles et dont les négociations sont fort peu médiatisées, ne laisse pas d’inquiéter le monde associatif : s’agit-il d’une « reprise » (en mains) du secteur ? Sa spécificité ne sera-t-elle pas mise en danger, si ce n’est au pas ?
Ce dossier aborde la spécificité associative – qu'il convient de défendre – à partir de trois points de vue différents et complémentaires.
Controverses sur l'identité associative
Par Philippe Mahoux
Philippe Mahoux connaît bien la spécificité du travail associatif, pour l’avoir longuement côtoyée à travers son travail parlementaire, mais aussi pour s’y être très activement impliqué personnellement, notamment en fondant ou en présidant plusieurs associations. Le projet de Code unique des sociétés lui fait identifier plusieurs controverses sur l’identité associative ; controverses qui ne sont pas neuves, mais qui cette fois menacent d’être tranchées au détriment non seulement de l’associatif, mais aussi de la société.
- Une controverse sur le sens de la « simplification » ;
- une controverse sur le sens de la « modernisation » ;
- une controverse sur la vision que l'on peut avoir de la production de la société ;
- une controverse sur ce qu'on entend par « professionnalisation ».
Il pointe également plusieurs révélateurs préoccupants qui indiquent le lent mais redoutable cheminement du travail de sape contre cette identité associative et il invite à la vigilance critique.
Le fait associatif dans l'histoire
Par Jacqueline Fastrès
A l’heure de ce projet de réforme, il n’est pas inutile de jeter un regard vers le passé et de se rappeler de quelle histoire la vie associative est le produit.
C’est en remontant au XIXè siècle, à la Commune de Paris, mais aussi en amont, dans les années 1830, qu’on constate la maturation de l’esprit associatif. Il se déploie dans plusieurs directions, comporte plusieurs dimensions. Politique, avec les « clubs », héritiers de la Révolution française, qui se voulaient lieux de débats ouverts au peuple ; sociale, avec les « associations ouvrières de production », qui cherchaient à échapper à l’emprise absolue des patrons ; économique, avec la création des premières coopératives. C’est cette vie associative qui fut à l’origine des syndicats et des mutuelles, si malmenés aujourd’hui. Et elle fit aussi l’objet de fortes tentatives pour la brider.
L’histoire montre à quel point la vie associative est irréductible à une logique capitaliste, qu’elle a toujours combattue, et que le moindre des paradoxes ne serait pas, aujourd’hui, de l’y assimiler.
Vie associative et champ du pouvoir
Par Jean Blairon
Le rôle de contre-pouvoir politique, économique et social des associations doit être réaffirmé, protégé et développé. Dans sa contribution à ce dossier, Jean Blairon développe cet aspect en se référant à la théorie des champs de Pierre Bourdieu.
Pour Bourdieu, le champ du pouvoir est un champ qui traverse tous les autres. L’enjeu est la lutte pour le pouvoir sur l’État, qui a la propriété d'agir dans tous les champs, notamment par le droit.
Le pouvoir, quel qu’il soit, ne peut réussir à se faire reconnaître en se légitimant lui-même ; il a besoin d’être légitimé, notamment par ceux qui possèdent une position dominante dans les divers champs (et qui luttent eux-mêmes pour cette place de dominants), mais aussi par les dominés. C'est notamment la mise au jour de ce mécanisme de légitimation (et d'autres) qui permet de poser autrement le problème de la vie associative et celui des réformes qui entendent la moderniser.
Contre la loi sur le « travail associatif »
Par Christine Mahy et Jean Blairon
Dans la première analyse de ce dossier, Philippe Mahoux évoquait la déstructuration de la vie associative que ne manquerait pas de produire la loi de réforme du Code des sociétés du Ministre Geens, en assimilant l’associatif à l’entreprise. L’une des controverses qu’il mettait en lumière concernait la vision de la « professionnalisation » supposée nécessaire du travail associatif, vision condescendante s’il en est puisque cette professionnalisation semblait ne pouvoir venir que du Saint Graal entrepreneurial, via par exemple, le mécénat de compétence.
Voilà qu’un autre projet de loi vise quant à lui à… déprofessionnaliser l’associatif. Il s’agit du projet de loi de la Ministre Maggie de Block sur le « travail associatif », permettant à une série de catégories de personnes (mais pas aux plus démunies) de prester un travail échappant à toute cotisation sociale et à tout impôt. C’est là une autre manière de déstructurer le travail associatif, en mettant à mal tout ce qui a justement contribué à structurer l’emploi dans ce secteur, qui en est un important pourvoyeur, ne l’oublions pas. Mais au-delà, cette loi constitue surtout une attaque des acteurs du contre-pouvoir que sont les associations. Cette attaque est opérée en y introduisant précisément ce travail déstructuré.
Il n'échappera à personne que la fausse professionnalisation (par la marchandisation) et la déprofessionnalisation, pour opposées qu'elles semblent être, concourent à la même entreprise de destruction.