headabaka

 De toit... à toi ?
10 ans de parcours d'adolescence
dans un centre de crise non mandaté
26 septembre 2014
Théâtre Marni – Bruxelles

AbakaHead

 Table des matières  

 *Présentation des intervenants         

 

Introduction

Rachid Madrane

Abaka, Abaki, Abakoi ? - Alain Barbason

Jacqueline Maun

Première partie : De toit...

Présentation du travail mené à Abaka par Annelise Reiter, Jessica D'Hainaut et Marie-Hélène-Vilaceque

Capsule video « La recherche d'un toit »
Acte 1: planter le décor, quitter un toit

Capsule video « Le travail familial »
Acte 2: écrire le scénario, chercher un toit

Acte 3: créer son personnage, faire face à la difficulté d'habiter

Réactions des intervenants

Deuxième partie : ...à toi

Présentation du travail d'Abaka avec Annelise Reiter et Audrey Arcq

Capsule video « Le travail collectif »

Capsule video « L'autre toi, le travail du lien » - De toit... à toi - Audrey Arcq

Réactions des intervenants et du public

Conclusions

Jean Blairon

Clip video « Hugo »

Youness Mernissi


Intervenants

 

Rachid Madrane  : Ministre de l'Aide à la Jeunesse en Fédération Wallonie Bruxelles. (Introduction)

Alain Barbason : Président du Conseil d'Administration de l'asbl ABAKA. (Pésentation)

Jacqueline Maun : Directrice de l'asbl Abaka. (Présentation)

Audrey Arcq : intervenante sociale à l'asbl Abaka. (Présentation)

Jessica D'Hainaut : intervenante sociale à l'asbl Abaka. (Présentation)

Annelise Reiter : psychologue à l'asbl Abaka. (Présentation)

Marie-Hélène Vilaceque : assistante sociale à l'asbl Abaka. (Présentation)

David Lallemand : conseiller en communication et chargé de projets auprès du Délégué Général aux Droits de l’Enfant. (Animation)

Jean-Vincent Couck : conseiller adjoint au SAJ de Bruxelles, a aussi été directeur du centre d'Everberg pour la Communauté française et est aussi un ancien avocat au barreau de Nivelles. (Intervention)

Alice Jaspart : docteur en criminologie de l'Université Libre de Bruxelles et chargée de recherches au FNRS. Elle travaille surtout sur des questions de réponses à la délinquance juvénile. Son parcours l'amène à être aussi membre de la Commission de déontologie de l'aide à la jeunesse. (Intervention)

Antoine Masson : psychiatre, responsable du département de consultation adolescents et jeunes adultes au sein de la formation FPAJ, formation pratique dans le champ de l'adolescence et de la jeunesse, ainsi que du site Passado.be au centre Chapelle-aux-Champs. Il partage aussi ses activités avec l'enseignement : département de philosophie à l'Université de Namur et l'école de criminologie de Louvain-la-Neuve. (Intervention)

Youness Mernissi : champion de Belgique de slam, poète, auteur et interprète. (Intervention)

Amaury De Terwagne  :avocat au barreau de Bruxelles, spécialisé en droit de la jeunesse, médiateur familial. (Intervention)

Michel Thiry : a travaillé dans une structure résidentielle de l'aide à la jeunesse et s'est engagé ensuite dans le travail d'accompagnement à l'autonomie aux Sentiers de la Varappe, dont il est aujourd'hui le coordinateur. Il est également membre du CAAJ de Bruxelles, qu'il représente au Conseil communautaire. (Intervention)

Isabelle Verhaegen : est médiatrice au sein du service de médiation scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est aussi une ancienne travailleuse d'Abaka. Elle est psychologue et psychothérapeute. (Intervention)

Jean Blairon : Directeur de l'asbl RTA. (Conclusion)

 

 

Table des matières

 

2RachidMadrane

 

Je suis évidemment doublement heureux d'être ici ce matin pour prendre la parole devant vous. Je suis d'abord heureux de célébrer les dix ans du projet pédagogique Abaka, et je me réjouis ensuite de le faire à vos côtés, vous les acteurs du secteur.

Alors, dix ans, certains diront que c'est peu, moi je dirais que c'est un cap, c'est une étape. C'est en tout cas la démonstration que ce service a su prendre sa place dans le paysage de l'aide à la jeunesse. C'est en tout cas la confirmation que ce projet était pertinent et efficient.

 

 

RMvid.jpgAbaka, à mes yeux, est un service qui démontre combien l'aide à la jeunesse est un secteur qui peut se montrer innovant, créatif et pro-actif. Il y a dix ans, je pense que lorsqu'on parlait d'Abaka, on disait que c'était un projet - et je mets des guillemets évidemment - « original ». Il y a dix ans, on disait que ce projet était un projet original qui répondait d'abord et avant tout à une préoccupation du Conseil d'arrondissement de l'aide à la jeunesse de Bruxelles. Il existait donc une préoccupation qui était portée par le secteur, par les acteurs du terrain, et ce n'était pas un projet qui avait été imaginé dans un bureau - ce qu'on appelle les projets descendants. Non, c'est un projet qui est venu du terrain et donc ce n'est pas un projet qui était coupé des réalités quotidiennes et concrètes qui sont vécues par les jeunes et par les familles. J'ajouterais peut-être que c'est d'ailleurs une des grandes forces du décret de 1991, qui permet de réfléchir constamment à vos pratiques, de mobiliser les acteurs, vous en l'occurrence, et de pouvoir, grâce à vous, grâce à cette réflexion, s'adapter à tout ce qui bouge autour de vous.

 

 

Un projet « zinneke »

On voit bien que le concept de la famille a profondément changé et évolué durant ces dix dernières années. D'où l'importance de mettre en place de nouvelles structures, de nouveaux projets pédagogiques qui collent au plus près aux besoins et aux nouvelles réalités que vivent les jeunes et leur famille. Abaka, je l'ai dit, est un projet particulier, oserais-je dire un projet hybride. Mais nous sommes à Bruxelles donc, excusez-moi d'utiliser la formule, moi je dirais qu'Abaka est un projet « zinneke », ça pourrait être aussi un projet « half en half ». En tout cas, ici à Bruxelles, c'est comme ça qu'on appelle les projets mélangés, métissés, hybrides, un peu d'ailleurs comme la population qui vit ici à Bruxelles et pas très loin de ces quartiers d'ailleurs. On pourrait aussi dire qu'Abaka, c'est à la fois un petit peu AMO, parce que ce service travaille sans être mandaté ; c'est aussi d'ailleurs un peu un centre d'accueil d'urgence, parce que ce service accueille des jeunes parfois en crise, pour des séjours qui peuvent aller jusque deux semaines.

 

 

RMvid.jpgAu départ certains se sont posés la question : « Pourquoi faut-il créer un service si proche dans ses objectifs apparents d'une AMO, 24h/24h. Et qui plus est d'ailleurs, si proche géographiquement d'une des deux seules AMO de ce genre que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles ? ». Je ne sais pas d'ailleurs si les réponses à cette question sont venues d'elles-mêmes ou si ça a fait l'objet de longs débats. Mais peu importe, ce que je constate aujourd'hui c'est que plus personne ne semble remettre en cause la légitimité du projet d'Abaka. De nombreux jeunes, on m'a cité le chiffre de plus de mille, si j'en crois d'ailleurs le dernier rapport d'activité, plus de mille jeunes en difficulté sont passés par cette structure. Des jeunes qui sont parfois dans des périodes de doute, d'incertitude; des jeunes parfois en crise, des crises aiguës parfois aussi ; des jeunes parfois au bout du rouleau ; des jeunes parfois très abimés aussi ; des jeunes avec des parcours de vie incroyablement lourds. Vous les rencontrez tous les jours, j'en ai rencontré dans une autre vie, parce que j'ai fait aussi ce métier. Donc je ne sais pas si toutes et tous ont trouvé chez Abaka la réponse à leur mal être ou la solution à leurs difficultés, ou encore l'ultime ressource pour partir et tenter de se reconstruire dans un projet de vie. Je ne sais pas. Mais en tout cas ce dont je suis persuadé, c'est qu'ils ont trouvé ici une porte ouverte, un accueil sincère, une écoute réelle. Ce n'est qu'à cette condition que pourra se construire un accompagnement social de qualité, et j'en suis convaincu, c'est ça qui va permettre à nos jeunes de surmonter leurs difficultés et de tenter de se reconstruire.

 

 

Dans le dernier rapport d'activité que j'ai pu lire, il y a dix ans, les personnes qui avaient imaginé ce projet, étaient tous animés d'un même idéal. Et je cite : « éviter l'exclusion des mineurs, réduire les injustices, respecter les droits de l'enfant, et surtout, entendre les demandes des jeunes ». J'ai le sentiment que cet idéal n'a pas changé et qu'il s'est même renforcé. Et si je pense qu'il s'est renforcé, c'est parce que nous pouvons tous malheureusement constater que la situation des jeunes et des familles s'est singulièrement aggravée ces dix dernières années, et nous en sommes tous conscients aujourd'hui. L'élément qui fait le plus obstacle à l'épanouissement des jeunes et des familles, c'est évidemment, vous le savez mieux que moi, la pauvreté. Et la pauvreté s'est accentuée ces dix dernières années. Elle a fait du chemin, elle entraîne avec elle une kyrielle d'obstacles. Elle entraîne des souffrances, elle entraîne des injustices auxquelles, on le voit quotidiennement, les familles ont de plus en plus de mal à faire face, et donc les services de l'aide à la jeunesse sont évidemment en première ligne de plus en plus sollicités, et ils sont sollicités de plus par des jeunes qui sont de plus en plus abimés. Donc on ne peut plus, on ne peut pas se contenter d'être sur la défensive, de réagir à des situations difficiles, il faut évidemment tenter d'empêcher l'apparition de ces difficultés. Et donc ça passe par un travail de lutte sur les causes de la pauvreté et de l'exclusion, ça passe par la prévention des violences, par un travail d'accompagnement des jeunes, un accompagnement des enfants, des familles aussi.

Mais, mesdames, messieurs, je peux le dire devant vous très humblement, l'aide à la jeunesse ne pourra pas à elle seule résoudre tout, elle ne pourra pas résoudre cet immense problème toute seule. Mais en tout cas ces acteurs peuvent, à partir des observations, de leurs expériences, de leurs analyses, contribuer à élaborer des pistes de solution, des pistes nouvelles de solution. Alors, à ce titre, Abaka, tout comme d'autres services d'ailleurs, a participé et participe encore à alimenter le diagnostic social de l'arrondissement, et moi en tant que responsable politique, j'apprécie évidemment et j'encourage cette démarche. Je ne suis pas maso, mais je vous dis : continuez à nous interpeller, continuez à nous suggérer des solutions, des évolutions de pratiques, et surtout continuez à nous interpeller sur la réalité du travail au quotidien. Je vous disais au début de mon introduction que j'étais doublement heureux d'être ici, à la fois heureux de célébrer l'anniversaire d'Abaka, mais aussi de le faire avec vous, vous les travailleurs, les acteurs de terrain, les directeurs d'associations. C'est pour moi finalement une première occasion de vous rencontrer. Je fais le tour pour le moment de tous les arrondissements, et j'ai coutume de leur dire que je suis là pour le moment comme une éponge, je prends, j'emmagasine, j'écoute, je regarde les réalités du terrain. Très simplement je constate, mais vous le feriez tout autant à ma place, mais les réalités sont différents, elles sont différentes dans la province du Luxembourg et dans une ville, et les zones urbaines sont différentes. J'étais à Arlon il n'y a pas très longtemps, le grand problème majeur dont on me parle aujourd'hui, c'est outre parfois le manque de moyens, la difficulté de mettre en place des services, c'est aussi par exemple tout simplement la question de la mobilité. Lorsque vous vous retrouvez dans un village un peu reculé et qu'il y a un bus par jour et uniquement en semaine, il devient difficile de faire des interventions. Et donc ce sont des questions évidemment qui se posent. Je vous disais que je suis heureux parce que je suis aussi heureux d'être ici au Marni, parce qu'il y a une bonne vingtaine d'années, j'ai eu l'occasion dans une autre vie professionnelle, de travailler avec certains de vos collègues, avec une association du secteur dans le quartier ici pas loin, où là aussi on s'est retrouvé avec un quartier complètement paupérisé. On était dans le cadre d'un programme de revitalisation urbaine où évidemment tout le monde s'occupait de la brique : il fallait rénover les maisons, il fallait rénover les trottoirs, il fallait rénover l'espace public, il fallait rénover l'éclairage public, mais personne ne s'interrogeait sur qu'est-ce qu'on fait à l'intérieur de cette ville, il y a des habitants, il y a des familles qui vivent des difficultés. Et donc on a mis en place des synergies, des collaborations avec les travailleurs de terrain, avec les associations, avec les AMO, et on a mené ensemble une série de projets, dont un dont je me rappelle qui m'avait marqué avec l'association Dynamo. À l'époque c'était un terrain vague, qui aujourd'hui est devenu une maison communautaire, et à l'époque c'était un terrain vague où les gens déposaient leurs déchets. C'était vraiment très difficile à vivre pour les habitants du quartier. Et donc tout le monde se plaignait mais personne n'avait eu l'idée simplement de demander aux jeunes ce qu'ils voulaient de leur quartier, ce qu'ils voulaient en faire. Et donc grâce à ce travail, l'association a travaillé avec des architectes, avec les jeunes, avec l'association, et puis le terrain vague est devenu une aire de sport. Et puis voilà, ces jeunes ont grandi. Aujourd'hui quand j'en revois, qui sont mariés, qui ont des enfants, je me dis que finalement on a fait ce qu'il fallait et qu'aujourd'hui c'est eux qui se retrouvent à notre place de l'époque et c'est eux qui encadrent, en tant que grands frères cette fois, les petits qui aujourd'hui n'ont plus de terrain vague, ils ont une salle de sport. Mais en tout cas ce que je veux dire, c'est qu'à deux pas d'ici, on a fait ce travail de terrain avec les associations, et ça a très bien fonctionné.

Je sais qu'aujourd'hui la prévention est la clé de la réussite d'une série de projets, parce que identifier le problème, tant qu'il est un petit problème, nous évite beaucoup d'autres problèmes, et après on ne doit pas intervenir quand on voit que le problème est évidemment beaucoup plus grand et quand le jeune a fait une grosse connerie. Donc je tenais en tout cas à vous dire combien je suis vraiment et très sincèrement heureux d'occuper cette fonction. En entrant ici madame la directrice me di  : « En tout cas vous n'allez pas avoir facile ». C'est vrai qu'on ne va pas avoir facile. Et dès le premier jour de ma prise de fonction, tout le monde m'a dit :« Tu vas voir, c'est un secteur compliqué, c'est un secteur difficile ». Mais je pense que le défi est là, et j'ai envie moi en tout cas de faire bouger les lignes avec vous, en concertation. Je voulais vraiment que vous sachiez que je suis un ministre heureux d'avoir cette fonction. Je serai un ministre de l'aide à la jeunesse à temps plein. Je vais faire le tour de tous les arrondissements judiciaires ; il y en a 13 vous le savez, même si ça a été modifié, ils sont rassemblés. Et dans chaque arrondissement on va aller voir à la fois les conseils d'arrondissements, on va aller voir tous les représentants des secteurs. Mais ce que je veux aussi c'est identifier tous les représentants des différents services, vous savez qu'il y en a 14 agréés à la Communauté française. Je veux rencontrer les travailleurs partout, pour me faire une idée de la réalité quotidienne du travail qui est fait dans tous ces arrondissements et mieux intégrer les difficultés pour tenter d'apporter des réponses. Mais vous le savez, le nerf de la guerre c'est évidemment les moyens financiers. Donc on va essayer en tout cas en 2015 d'immuniser le secteur de l'aide à la jeunesse, parce que moi je considère que l'aide à la jeunesse c'est un secteur qui offre des services continus aux jeunes. On a parlé de services 24h/24h pour les AMO, on ne peut pas après 18h30 dire merci et puis laisser le jeune en difficulté tout seul, ce n'est pas possible. Donc il va y avoir, j'allais dire un combat, mais en tout cas ça ne va pas être simple. Je veux que vous sachiez que vous pourrez me faire confiance, je suis quelqu'un qui travaille en concertation, je suis à l'écoute des travailleurs, et donc pour moi la porte est évidemment toujours ouverte. Je ne vous promets pas évidemment la lune, mais en tout cas ce que je peux vous promettre c'est de mettre toute mon énergie et tout mon dynamisme et tout mon engagement pour cette cause que je pense fondamentale. Et je veux aussi, je vous le dis, changer l'image du secteur. Je suis frappé, même dans les médias, de constater combien l'image du secteur est finalement méconnue ; lorsqu'on parle d'aide à la jeunesse, on pense d'abord et avant tout aux jeunes, et dans le jargon vous le connaissez, on pense d'abord aux jeunes qui ont commis des faits qualifiés infraction, pour ne pas dire autre chose. Mais en réalité le secteur ce n'est pas ça exclusivement, c'est à peu près sur 42 – 43.000 jeunes qui sont pris en charge chaque année par les services d'aide à la jeunesse, 5% de jeunes qui ont commis des faits qualifiés infraction. 91% des jeunes aujourd'hui en Communauté française qui sont pris en charge sont d'abord et avant tout des jeunes en difficulté, des jeunes en danger. Et donc il faut à un moment donné remettre cette réalité sous les feux des projecteurs, même si évidemment les médias d'aujourd'hui sont intéressés particulièrement par ce qui est croustillant et surtout ces faits qualifiés infraction, c'est de ceux-là qu'on parle d'abord. Donc il sera nécessaire, ensemble, d'essayer de changer le secteur. Et donc c'est important des moments comme celui-ci où on peut, à un moment donné, mettre en lumière le travail qui est réalisé ici à Abaka, mais à travers Abaka évidemment, dans l'ensemble du secteur d'aide à la jeunesse.

Je ne serai pas plus long. J'espère en tout cas, et je le dis très sincèrement, que nous ferons du bon boulot ensemble, je n'en doute pas évidemment. D'ailleurs du bon boulot comme celui que fait Abaka depuis dix ans, et j'espère pour des années encore. En tous cas, ce que je vous souhaite à vous Abaka, c'est un bon anniversaire évidemment. Bon vent !

 

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2AlainBarbason

 

Abaka, Abaki, Abakoi ?

Je ne sais pas si quelqu'un a déjà fait cette intro mais j'espère pour lui que non. Abaca avec un C, c'est un arbre qui pousse aux Philippines. Un mot un peu hors propos pour lancer une institution s'occupant des jeunes, et qui voulait d'un nom venu d'ailleurs, un nom neutre pour les jeunes, qui ne leur rappellerait pas le fait de n'être plus chez eux ou d'être ailleurs. On en changea d'ailleurs le C en K pour faire plus joli, pour se distancier d'un sens. C'était un vœu pieux, un vœu qui oubliait qu'on est à Bruxelles, une petite ville où tout se sait, où tout le monde se connaît. Un Bruxelles qui n'est qu'un, qui n'est surtout que « Bruxelles village ». Vœu pieux transformé au détour d'une lecture d'un livre d'Amin Maalouf que j'avais dans ma poche. Et à une soirée d'Abaka, je pose la question à Jacqueline Maun : « Tu connais la signification d'Abaka, dans un livre de Amin Maalouf, Les échelles du Levant ? » Et d'elle de me répondre « Oui ». Il n'y avait pas que moi à lire ce livre et à savoir qu'Abaca dans Les échelles du Levant veut dire en arménien « Espoir ». On aurait pu tomber plus mal. Abaqa avec un Q, est aussi l'arrière petit fils de Genghis Khan. Et je remercie Wikipédia, il y a deux jours, de me l'avoir dit.

Abaka est une petite institution. À l'heure de la mondialisation il y en a encore qui croient à cette échelle. À l'heure de la mondialisation il y en a encore qui croient à la famille, 2-3-4 personnes, parfois un peu plus, rarement même. Après dix ans, nous sommes contents qu'Abaka existe. Mais n'est-ce pas un échec de savoir que notre société doit créer ce genre d'institution ? Pourtant il y en a beaucoup d'autres qui font un travail de même type que le nôtre et qui ont les mêmes questions. Il y en a beaucoup d'autres ici présentes, qui avec leurs différences, forment un ensemble hétérogène d'institutions, complémentaires à celle de la famille, complémentaires à celle des études, du travail, vague reflet d'un parcours normal. Ces institutions hétérogènes permettent à un jeune de trouver chaussure à son pied. C'est vrai que parfois il faut trouver une chaussure, voire deux.

 

RMvid.jpgJe terminerai sur un autre auteur, Jorge Luis Borges, qui disait : « A trois-quatre cents mètres de la pyramide je me suis baissé, j'ai pris une poignée de sable et je l'ai laissé couler silencieusement un peu plus loin. Et j'ai dit à voix basse : je suis en train de modifier le Sahara ». Lors d'une AG je n'ai pu m'empêcher de le citer et de le paraphraser. Et je me dis : à 3 ou 400 mètres du palais de justice nous nous sommes assis, nous avons surpris des jeunes et nous les avons accompagnés respectueusement un peu plus loin. Et je vous dis à voix basse : nous sommes en train de modifier Bruxelles.

 

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2JacquelineMaun

 

Voilà, on y est, dix ans, ça ne nous rajeunit pas. Quand j'ai préparé cette petite introduction, j'ai retrouvé mes vieilles notes d'il y a dix ans et cette lecture m'a replongé dans la période de gestation du projet. C'était entre juillet 2002 et mars 2004 ; 20 mois de travail, de réflexions, de courtes nuits, de rencontres riches, parfois d'appréhensions et de doutes aussi. C'est en juillet 2002 que le conseil d'arrondissement de l'aide à la jeunesse de Bruxelles émet un appel d'offre, à la demande du cabinet de la ministre qui est Nicole Maréchal à l'époque.

Voici quelques extraits de cet appel d'offre :
« Le service aura comme objectif : l'écoute, l'accompagnement individuel et familial, l'accueil et la réorientation d'adolescents en grande difficulté ou en crise, à la demande de ceux-ci. Le service sera appelé à décoder la crise avec le jeune en favorisant une intervention brève et le relais vers un service local ou un service spécialisé. Il s'agira d'un service généraliste d'aide psycho-socio-éducative qui devra fonctionner de manière souple, mobile, créative et sans critère de prise en charge. Le centre visera à éviter autant que possible, l'intervention d'une autorité de placement. L'accompagnement se fera sous mandat du jeune et non d'une autorité publique. L'accueil aura lieu essentiellement en journée. Toutefois, un accueil de nuit doit être possible et prévu pour cinq jeunes. Il aura aussi comme mission, à partir de son expérience, d'analyser les besoins d'accueil et d'accompagnement non couverts à Bruxelles et de les signaler au CAAJ ».

Cet appel d'offre répondait à mes attentes à ce moment-là. En effet, il était très en lien avec les valeurs auxquelles je croyais et que je souhaitais porter et surtout mettre en pratique dans mon travail d'éducatrice à l'époque. Mais ce projet devait être présenté au CAAJ pour le 15 septembre et nous étions fin juillet. Donc, instinctivement, je me suis tournée vers une recherche de partenaires potentiels, et je suis allée voir d'abord Alain Rozenberg qui était psychologue dans un centre thérapeutique pour ados qui venait de se créer, qui s'appelait à l'époque « Le Kilomètre 73 », qui est devenu aujourd'hui le centre Ados. Cet Alain-là m'a présenté à un autre Alain, qui est Alain Barbason, et qui est devenu aujourd'hui le président d'Abaka. Je suis aussi depuis le début en lien avec Marie-Hélène (Vilaceque), qui à l'époque était assistante sociale au pensionnat Jules Lejeune et ancienne collègue, et qui est toujours présente aujourd'hui à nos côtés dans le service. Donc en août 2002, on a été rencontrer Léo Lévy, certains doivent s'en souvenir ici. Il était président du CAAJ à l'époque et aussi directeur de l'AMO le CEMO. Léo nous a fait part de sa vision du projet : « Cibler l'intérêt de proposer la prévention précoce. Un projet qui se situerait entre aide psychologique et sociale, dans l'optique d'éviter aux jeunes une expérience dans les institutions d'hébergement et dans les structures proposées par le secteur ».

Le premier projet est rentré en septembre 2002, il fait trois pages, mais la notion d'accueil apparaît déjà comme essentielle. Au fur et à mesure des semaines, le projet se peaufine, se précise : Différence entre crise et urgence ? Quel public vous avez envie de toucher ? Quelle spécificité ? Quelle mission ? D'autres personnes sont sollicitées et intègrent au fur et à mesure le projet de la réflexion à la mise en acte. Fin 2002, un second projet est présenté au CAAJ et au cabinet. La première grille du projet pédagogique particulier est envoyée à la DGAJ en janvier 2003, une deuxième mouture sera envoyée en avril 2003, et après quelques modifications, le projet est enfin envoyé à la commission d'agrément. Parallèlement à toute l'écriture du projet, pour exister, il fallait créer une asbl. L'AG constituante d'Abaka a eu lieu le 19 mars 2003. Elle est constituée de 14 personnes qui sont issues à la fois du social et du secteur privé. Le premier conseil d'administration se réunit le 25 mars 2003 et notre premier président est Alan Speller qui à l'époque est président directeur général d'une société dans le secteur des assurances - on est loin de l'aide à la jeunesse. La plus grosse difficulté à ce moment-là a été de trouver le lieu. Quand je parlais d'un projet de centre de crise pour ados, bizarrement beaucoup de personnes n'avaient pas le temps ou ne pouvaient pas m'aider ou tout simplement déclinaient poliment. Après avoir été frapper aux portes de toutes les communes de Bruxelles, c'est finalement le cabinet lui-même qui va me parler de l'immeuble de la Tramontane et de son directeur monsieur Jean Spronck. Le bail sera signé le 24 décembre 2003, sans aucune garantie, au moment de la signature du bail, que le projet serait agréé et subsidié. Le conseil d'administration d'Abaka prendra pourtant le risque de s'engager dans la location du bâtiment, et évidemment je ne peux que l'en remercier aujourd'hui, mais je pense quand même que j'avais été assez convaincante sur ce coup-là. Début 2004, notre adresse sociale devient la rue Goffart au numéro 105. Parallèlement aussi au stress qui est lié au bâtiment et à la recherche de celui-ci, le 4 décembre 2003, la commission d'agrément avait rendu un avis favorable quant à l'opportunité du projet. Deux semaines plus tard, le 18 décembre, nous repassions en commission d'agrément pour la conformité, et là le vote fut égalitaire, ce qui ne s'était jamais vu dans l'histoire de la commission d'agrément. Il faut savoir qu'à l'époque un vote égalitaire équivalait à un vote négatif, ce qui n'est plus le cas maintenant. Mais donc la ministre décide quand-même de poursuivre l'aventure, malgré cet avis égalitaire de la commission, et l'agrément du service sera officiel le 1er mars 2004. Jusque-là tout avait été virtuel, théorique, pensé, sauf le début de l'aménagement de la maison rue Goffart où on avait déjà commencé à travailler en décembre 2003 avec l'aide de nombreux bénévoles. Mais après la réception du courrier officiel nous signalant l'agrément, on devait passer à la phase concrète. Donc entre le 15 mars et le 31 mai 2004, nous avons engagé dix personnes, et durant les mois d'avril et mai on a tous mis la main aux pinceaux et autres tournevis et outils éducatifs. Et nous avons terminé l'aménagement de la maison, qui était fin prête pour l'inauguration officielle par la ministre Nicole Maréchal, le 28 mai 2004.

C'est Christian Van Uffel, notre regretté collègue, qui a participé à toute l'aventure d'Abaka, qui a rédigé le discours lors de l'inauguration, et a notamment insisté sur la démarche citoyenne qui avait été prise par les personnes qui se sont engagées dans l'AG et au CA et qui ont pu mener à bien ce projet, ainsi que tout le travail de partenariat avec tous les acteurs qui ont permis à ce projet d'exister. Je le cite : « La mise en place de ce nouveau projet n'est possible qu'en partenariat avec d'autres acteurs : le politique, l'administration, la nouvelle équipe, mais aussi les bénévoles venus pour rendre les locaux accueillants, les généreux donateurs qui ont permis d'engranger les premiers fonds pour louer ceux-ci, et dès maintenant tous les acteurs du terrain avec lesquels nous sommes amenés à travailler ».

 

RMvid.jpgEt le mardi premier juin 2004, nous commencions à travailler sur du vrai. C'était un mardi, et le soir même nous hébergions une première jeune fille, dont je pense certains ici doivent se souvenir encore.

Je vous donne juste quelques chiffres qui sont significatifs d'Abaka :

en 10 ans nous avons accueilli 1.123 jeunes, 547 filles et 576 garçons
319 avaient entre 14 et 16 ans
et 728 entre 16 et 20 ans.

En 2004-2005 le SAJ était notre premier envoyeur : à peu près 29% de jeunes venaient par le SAJ. En 2013 c'est plus de 40% de jeunes qui viennent seuls par le bouche à oreille, et 39% sont envoyés par un service psychosocial, une école, la police, une institution, des parents. Le pourcentage de jeunes qui est envoyé par le SAJ est maintenant de 16,5%.

 

Alors, je voulais vous faire part de quelques constats qui nous ont marqués durant ces dix ans.

  • Le premier c'est que le nombre de mineurs étrangers non accompagnés est passé de 2% en 2007 à 40% en 2012 pour diminuer ensuite à 17% en 2013, et il continue à diminuer en 2014. Ça c'est quand même important parce qu'on a eu vraiment une grosse période où l'on hébergeait des MENA, et beaucoup de services ne les prenaient pas. Mes collègues de Synergie sont là, ils le savent bien, mes collègues de SOS aussi, ça a été une période très très difficile.
  • Le deuxième constat, c'est que depuis 2010 nous constatons une très forte augmentation des jeunes qui vivent dans la rue ou dans des squats ou dans des logements vraiment très précaires.
  • Le troisième constat, c'est une augmentation des séjours additionnels, donc des jeunes qui font chez Abaka plus d'un séjour sur une année. 25% des jeunes en 2012 et 2013 ont fait plus d'un séjour.
  • Nous constatons aussi bien sûr l'augmentation du travail d'accompagnement qui est plus conséquent, lié nous semble-t-il aux situations pluri-problématiques de ces jeunes, aux demandes de solutions aussi à moyen et long terme dans l'aide à la jeunesse. Lié aussi aux situations qui touchent différents secteurs : la santé mentale, la psychiatrie, la formation, l'enseignement, le logement, et bien sûr la pauvreté, pour ne citer que quelques causes principales.
  • Autre constat que je fais, c'est que Abaka a été agréé en 2004 pour travailler la crise dans le but principal d'éviter une entrée du jeune dans l'aide à la jeunesse. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des jeunes qui sont vraiment très abîmés, avec un vécu d'errance institutionnel fait de multiples ruptures, échecs et rejets. Tous ces jeunes sont en grande souffrance. Ils souffrent surtout d'être seuls, livrés à eux-mêmes, sans vraiment d'adultes ni de personnes ressources dignes de ce nom autour d'eux. Je vous renvoie à ce sujet à la recherche-action que nous avons menée en 2012 avec nos collègues de SOS Jeunes, et les recommandations que nous y faisions par rapport à ce phénomène.
 

RMvid.jpgAbaka est donc devenu au fil du temps un lieu où l'on s'adresse parce qu'il n'y a plus personne. Alors, je me suis demandée  : est-ce que les jeunes ont changé en dix ans ? Personnellement - mais ici c'est un avis tout à fait personnel - je ne pense pas que les jeunes ont changé. Je pense que l'ado en 2014 est toujours le même qu'en 2004. Par contre ce qui a fortement changé c'est son environnement, le contexte socio-politique, le contexte économique n'est plus le même. Le contexte de vie du jeune et la notion de famille aussi a fortement évolué. En 2014, monsieur Madrane nous l'a rappelé, la pauvreté a progressé, la précarité est partout, et les jeunes que nous rencontrons sont évidemment les plus touchés. Et puis il y a aussi tout le développement des réseaux sociaux : les GSM et les autres moyens de communication dont aujourd'hui les jeunes ne peuvent plus se passer. Je suis toujours surprise de rencontrer des jeunes qui ont 14-15-16 ans, qui sont déscolarisés depuis plus d'un an ou qui sont passés par toute une série de services et pour lesquels on ne trouve pas de place. Je suis surprise quand j'entends des adultes qui disent : « pour ce jeune il n'y a plus rien à faire ! ». Je ne peux me résoudre à l'idée qu'à l'adolescence il n'y a plus rien à faire, il n'y a plus rien à rêver, il n'y a plus rien à espérer. La réputation des ados n'a pas changé non plus. Ils viennent toujours autant déranger et nous déranger dans la société. Société dont par ailleurs ils sont quand-même le reflet aussi. Nous ne pouvons pas oublier que ces jeunes c'est d'abord notre avenir. Donc oui, chez Abaka nous avons dû parfois mettre fin à certains séjours. Nous avons dû exceptionnellement appeler la police parce qu'un jeune pétait un plomb. Nous avons dû aussi appeler une ambulance, un médecin pour un jeune qui se faisait du mal ou qui était manifestement dans beaucoup d'angoisses. Nous avons été confrontés à des moments qui étaient émotivement très difficiles. Mais jamais nous n'avons refusé de travailler avec un jeune sous prétexte qu'il était ingérable ou violent ou qu'il consommait ou encore simplement parce qu'il était différent. Je refuse de croire que l'avenir d'un jeune de 15 ans est tout tracé ; il sera toujours fonction des rencontres et des expériences qui lui sont possibles et offertes par les adultes qu'il a rencontrés. Je vais citer Thomas d'Ansembourg, qui est un auteur de plusieurs livres à succès et qui dit ceci : « Aujourd'hui, nous prenons soin de recycler pratiquement toutes les matières, du plastic au verre, en passant par le papier, le carton et le caoutchouc. Curieusement, quand il s'agit de matière humaine, de certains jeunes, ceux qui sortent des standards, nous sommes prêt à la balancer dans la poubelle de nos jugements, préjugés et interprétations, sans envisager le moindre recyclage, sans attention portée au potentiel de transformation et même d'éveil qui sommeille en chacun et qui ne peut prendre forme que si l'on en prend soin ».

 

Voilà, ce matin c'est toute l'équipe d'Abaka, avec l'aide des jeunes et des parents, qui vont témoigner, de moments, de souvenirs, d'anecdotes ou d'une expérience. Nos invités vont réagir à tout ce qu'ils verront et entendront. Et bien sûr si vous avez envie de réagir, j'espère que nous aurons l'occasion de pouvoir donner la parole à la salle. Je remercie encore une fois monsieur le ministre d'avoir été là ce matin. Je remercie Olivier Degryse qui est là, l'administrateur général de la Communauté française. Je remercie David Lallemand et surtout Bernard De Vos, et Jean Blairon et RTA qui nous ont permis de faire les belles vidéos que vous allez voir. Je remercie bien sûr tous les jeunes qui sont passés par Abaka, parce qu'ils nous ont appris plein plein de choses et on continue à apprendre d'eux et non pas l'inverse. Et je remercie toutes les personnes de mon équipe, qui sont présentes et qui ont fait un travail fabuleux. Je vous remercie.

J'espère que mes collègues sont prêts parce que nous allons commencer maintenant par quelques scènettes qui vont vous mettre tout de suite dans l'ambiance du quotidien dans notre travail. Ces scènettes ont été préparées par les membres de l'équipe d'Abaka. Eric, Sabrina, Audrey, Carima, Yann et Oscar. Ils ont été aidés dans leur tâche par Barbara Verjans qui est sociothérapeute au centre ados et qui les a coachés dans cette réalisation qui est basée sur la technique du drama. Je leur laisse la place.

 

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Ensemble


PREMIERE PARTIE
DE TOIT...

Présentation par l'équipe d'Abaka 
suivie d'un partage de réflexions avec les intervenants

 

Présentation du travail mené à Abaka par l'équipe
Annelise Reiter, psychologue,
Jessica D'Hainaut, intervenante sociale,
et Marie-Hélène Vilaceque, assistante sociale

 Marie-Hélène Vilaceque 2MarieHeleneVilaceque

La présentation d'aujourd'hui reflète dix ans de pratique dans l'accompagnement de jeunes en mal de toit. Ce travail est le fruit d'une co-construction avec les jeunes. Ceux-ci nous ont maintes fois bousculés, remis en question, ce qui a suscité de nombreuses discussions en équipe. Grâce à cela nous avons pu avancer dans nos réflexions, et par là, déconstruire et reconstruire notre pratique. Mais quoi de plus normal, venant d'adolescents eux-mêmes en construction ? Nous avons intitulé cette matinée de réflexion « de toit à toi ». Lors de la première partie nous aborderons la question du toit, TOIT. Après la pause nous nous arrêterons sur le concept de toi TOI.

 Jessica D'Hainaut2JessicaDHainaut

Pourquoi parler du toit me direz-vous ? Parce que l'hébergement de crise et parfois d'urgence, ne constitue qu'un de nos outils parmi d'autres. Dans la pratique, nous travaillons très souvent avec des jeunes en mal de toit. L'hébergement est d'ailleurs souvent une de leurs premières demandes. Nous souhaitons vous transmettre dans ce qui va suivre, notre travail de réflexion sur ce que peut représenter un toit et particulièrement à l'adolescence.

Mais revenons d'abord rapidement sur l'étymologie du mot toit. Premièrement, le mot toit vient du latin tectum, qui signifie ce qui est couvert, substantif du verbe tegere. Ce verbe contient les notions de couvrir, et au figuré, d'abriter, de protéger. Avec l'idée d'abri, « toité » se dit d'abord d'une étable, d'une porcherie, d'une cabane, et par élargissement, d'une maison. Avoir un toit c'est donc habiter, dans son sens le plus simple. Le toit à lui seul évoque toute la maison. La maison est d'abord un toit. Parfois réduit à un simple treillis de feuillage temporaire, il n'y a pas de maison sans toit. Au 16ème siècle, on retrouve la locution crier, publier, prêcher quelque chose sur les toits, emprunt au langage biblique et allusion à l'usage des orientaux qui conversent d'une maison à l'autre sur les terrasses. Au 19ème siècle apparaît la locution « le toit du monde », qui exprime d'abord l'idée d'attitude, et désigne également en géographie la région du Pamir, le Tibet, la plus haute de la planète.

Après ce détour par l'étymologie, nous allons déployer les problématiques liées au toit rencontrées chez Abaka en trois actes et telles qu'elles prennent souvent forme pour les jeunes.

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Capsule vidéo présentée lors du colloqueCapvidLa recherche d'un toit

 

Acte 1
Planter le décor, quitter un toit

RMvid.jpgRappelons-nous d'abord de l'histoire de Siddhartha qui quitte la demeure familiale afin d'accéder au Bouddha. La fuite de la maison représente alors l'abandon de la famille et de son mode d'existence. Le jeune Siddhartha quitte sa demeure, tous ceux qui y habitent ainsi que tous les liens qui l'y rattachent. La demeure familiale représente pour lui l'existence ordinaire qui offre un refuge, une protection dans l'illusion du confort. Ce faisant, Siddhartha fracture la demeure, il fait éclater le toit. Il s'agit donc de briser le toit pour le rebâtir avec une ouverture, permettant de trouver sa place d'humain parmi les humains. La société occidentale prône depuis le 19ème siècle l'autonomisation de l'individu. Le fait de quitter le toit familial appartient donc à toute adolescence contemporaine. Normalement ce départ fait partie d'un processus d'autonomie progressive de l'adolescent qui est en quête de son identité. Selon Le Scouarnec, l'adolescent en quête de son identité sait qu'il habite mais ne sait plus où il habite. Il doit ainsi établir sa propre maison. Il cherche à créer une unité, une séparation. Il veut signifier qu'il est unique et aussi qu'il n'est pas l'autre. Chez Abaka nous rencontrons des adolescents qui vivent ce processus, cette crise, de manière assez brutale. Pour certains, l'insupportable vécu sous le toit familial ou institutionnel, peut conduire jusqu'à la fugue ; les jeunes se sentant parfois comme des extraterrestres au sein de leur famille ou de l'institution qui les accueille. Pour d'autres, la crise amène à une exclusion. Les parents, la famille, l'institution, n'arrivant parfois plus à dissocier l'enfant de son comportement. Notre expérience nous montre que ce processus d'exclusion fait souvent suite à une histoire familiale qui est elle-même parsemée de ruptures et d'exclusions. L'adolescence concerne donc tout le système familial, les parents aussi sont en adolescence. Nous entendons par là qu'ils sont eux-mêmes bousculés par ce passage adolescent de leur enfant. Ce mouvement prend parfois la forme d'une crise qui est donc à la fois individuelle et familiale.

 

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Capsule vidéo présentée lors du colloqueCapvidLe travail familial

 

Acte 2
Ecrire le scénario, chercher un toit

Parfois les jeunes viennent chez Abaka en cherchant un toit pour quelques nuits ou à plus long terme. Mais que représente ce toit pour eux ? Cette question nous a semblé essentielle, et nous souhaitons vous faire partager le fruit de nos réflexions et de nos échanges en équipe mais aussi avec les jeunes eux-mêmes. Bien entendu, ces différentes fonctions d'un toit se retrouvent également sous le toit familial mais aussi sous d'autres toits institutionnels, toits que fréquentent les adolescents. On parle de l'école, des institutions de l'aide à la jeunesse, des lieux culturels, des lieux de loisirs. Chercher un toit c'est donc avant tout chercher un lieu, un lieu de protection physique et psychique. Un hébergement chez Abaka permet de fuir les dangers de la rue : la violence, la délinquance, la consommation par exemple. Autrement dit, de trouver un lieu où se sentir en sécurité, être tranquille pour quelques nuits. De plus en plus de jeunes viennent à l'heure actuelle formuler chez nous des demandes en lien avec leurs besoins primaires : un toit pour s'abriter des intempéries, de la nourriture, une douche, une aide médicale, etc. Chercher un toit c'est aussi chercher un lieu pour se déposer, pour déposer ses valises. Chez Abaka, le premier temps de travail nous le dédions à l'accueil, à l'apaisement et à la rencontre.

 

 Marie-Hélène Vilaceque2MarieHeleneVilaceque

RMvid.jpgUn toit, c'est aussi un lieu d'intimité, de limite entre soi et les autres. Un séjour chez Abaka peut permettre aux jeunes, au-delà d'un éloignement physique nécessaire, de prendre un temps pour lui, de se recentrer sur lui, de se rassembler. L'éloignement physique ne suffit pas toujours, certains jeunes restent envahis par leurs difficultés familiales. Le rôle de l'équipe est alors de les soutenir dans un retour vers leur intériorité. Nous invitons également les parents restés à la maison, à profiter de ce temps pour se retrouver eux aussi. Pour les y aider, nous leur proposons des espaces de paroles avec le référent famille au sein du service ou à leur domicile. Un toit c'est également un lieu de convivialité, d'échanges entre jeunes et entre jeunes et adultes. À la fin de leur séjour, les jeunes expriment souvent le bénéfice qu'ils ont retiré, de moments de convivialité lors de repas partagés par exemple ou de certaines activités leur rappelant une ambiance familiale.

 Un toit c'est aussi un lieu d'adresse, de soutien, un contenant. La question de la présence à la fois physique et psychique, a souvent animé nos réflexions en équipe, notamment lors de journées pédagogiques. Rappelons que selon Winnicott, pédiatre et psychanalyste, être seul c'est paradoxalement faire l'expérience d'être seul en présence de quelqu'un d'autre. Un toit c'est un lieu d'inscription. Nous sommes attentifs à permettre aux jeunes de s'inscrire symboliquement chez Abaka, de trouver leur place en tant que sujet. Certes, les jeunes s'autorisent eux-mêmes certaines inscriptions clandestines sur nos murs et parfois nettement moins symboliques. Mais au-delà de l'inscription chez Abaka, nous veillons à les accompagner dans un processus d'inscription vers l'extérieur. Un toit c'est aussi un lieu pour prendre de la hauteur, du recul. L'éloignement physique du milieu familial, l'apaisement ainsi que les échanges avec les intervenants ou entre jeunes, permettent à ceux-ci de prendre du recul par rapport aux difficultés qu'ils rencontrent et d'explorer d'autre points de vue. Enfin, un toit c'est un lieu pour construire son propre toit. En effet, beaucoup de jeunes nous demandent de les accompagner dans l'élaboration de leur projet d'autonomie ou de tout autre projet personnel. Nous prenons toujours au sérieux la parole des jeunes. Tout en tenant compte de la réalité, nous veillons à laisser une place pour le rêve.

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Acte 3
Créer son personnage, faire face à la difficulté d'habiter

Au fur et à mesure des années, les jeunes qui fréquentent Abaka ont grandi. Certains viennent sonner à notre porte pour la première fois à l'aube de leur 18 ans, d'autres nous connaissent depuis plusieurs années. La plupart d'entre-eux ont alors à construire un projet d'autonomie tel que nous l'entendons dans l'aide à la jeunesse. Lors de l'accompagnement dans ce type de projet, nous sommes régulièrement interpellés par les difficultés qu'ont ces jeunes à habiter un logement. Mais que signifie habiter ? L'habitation est pour de nombreux auteurs un espace qui serait une continuité de soi, qu'il s'agisse d'un lieu précis, d'un espace plus vaste, le chez soi se définirait comme ce territoire personnel où nous nous sentirions en sécurité et en étant nous-mêmes. Le sentiment de se trouver chez soi quelque part, ne va pas toujours de soi et est lié au sentiment de confiance et de sécurité, intériorisé notamment du fait d'avoir été suffisamment aimé pendant notre enfance. Par ailleurs, au-delà des difficultés des ces jeunes à pouvoir habiter un logement, rappelons-nous que le contexte social actuel rend chaque jour un peu plus difficile l'accès au logement pour les jeunes, ce qui favorise notamment les situations de précarité, d'errance, de sans abrisme. Toutes ces situations sociales qui renforcent les difficultés d'inscription de ces jeunes au sein de notre société.

 

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Réactions des intervenants

Ensemble2


 2IsabelleVerhaegenIsabelle Verhaegen : Je vais parler en tant que médiatrice scolaire, parce que je voudrais parler en tant qu'ancienne travailleuse d'Abaka ou en tant qu'être humain ou en tant que psychologue, mais je pense qu'on m'a invitée en tant que médiatrice scolaire. Et je crois que le mot conflit vient en premier lieu dans ma tête quand je vois tout ça.
Et je pense que l'intérêt d'Abaka c'est de pouvoir donner une place au conflit, de pouvoir dire que le conflit est à vivre et que c'est une richesse de pouvoir l'entendre, le recevoir et pouvoir être dans un lieu où on lui donne la place. Et on n'a pas à chercher une solution, mais on a à chercher sa solution qui nous convient et qui sera toujours conflictuelle j'ai envie de dire. Et je crois qu'autant les scénettes que - et là je vais parler peut-être en tant qu'ancienne travailleuse d'Abakaénbsp;- le quotidien avec ces jeunes montre que ce conflit est une richesse. Il y a une chose qui m'est venue quand je voyais les jeunes, on les voit des années après leur passage chez Abaka. Moi j'étais là quand ils sont venus chez Abaka, au quotidien ce n'était que conflits avec ces jeunes. Aujourd'hui ils sont dans leurs discours, ils sont dans quelque chose de chouette et dans ce qu'ils ont reçu de cette expérience. Mais à l'époque c'était, je ne vais pas dire la guerre, mais dans le quotidien avec ces jeunes on était dans le conflit, et c'est ça qui a fait qu'aujourd'hui ils sont ce qu'ils sont je pense.

 2AliceJaspart2Alice Jaspart  : Alors, moi je vais parler de mon point de vue de criminologue, plus ou moins spécialisée dans la délinquance des jeunes et son traitement. Et en fait je suis super contente ici aujourd'hui de ne pas avoir entendu parler de délinquance. Et je trouve ça vraiment magnifique aujourd'hui de voir un service qui arrive à parler de jeunes en difficulté, en crise, en grande difficulté, en parcours chaotiques, avec peut-être des faits qui ont été commis, mais sont mis au même rang que toutes les difficultés telles que les jeunes rencontrent. Et je trouve que ça c'est vraiment un discours qui reflète, je pense, une pratique un peu à contre courant aujourd'hui par rapport à cette question de délinquance. En fait par rapport à cette image jeune, puisque c'est en fait l'image jeune aussi qu'on renvoie quand on ne parle pas de délinquance mais de travail avec des jeunes en difficulté, en crise, avec ses besoins. Je trouvais aussi que la scénette était assez géniale pour montrer à quel point l'équipe est proche des jeunes, sans être complètement jeune, mais tout en comprenant l'humour jeune, des discours durs jeune, et en même temps les difficultés des jeunes, et en acceptant de se remettre à distance aussi par rapport à leur propre pratique d'accompagnement qui peut être intensive.


 2MichelThiryMichel Thiry  : Au niveau du paysage, le côté hybride me semble tout à fait intéressant, donc de pouvoir se situer de manière complémentaire à des services spécialisés. Donc ça c'est un plus. Et alors par rapport à y rebondir ici au niveau du témoignage, de reprendre ce qu'un jeune disait au niveau de crise, et de plutôt parler d'insécurité. D'ailleurs on tire un petit clin d'oeil ; ce n'est peut-être pas par hasard que le premier président travaillait dans les assurances. Donc effectivement il y a tout ce côté très important qu'Abaka peut apporter dans assurer, rassurer les jeunes qui se retrouvent d'abord en très grande insécurité quand ils s'adressent à eux.

 
2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : Il y a juste un point sur lequel je vais revenir, de mon niveau. Au fond, la plupart de nos maisons, les nôtres, vous et moi, sont des lieux fermés. Oui bien sûr ce sont des lieux refuge, des lieux d'intimité pour nous hôtes, mais ce sont globalement des lieux un petit peu fermés aux autres. Ce que représente dans notre société actuelle une maison comme Abaka, c'est l'espoir de maisons qui incarnent autre chose, et qui sont des maisons ouvertes, qui sont des maisons où on accueille les jeunes. Et on sait combien quand on travaille dans le secteur, ce type de lieu tend à être limité, à disparaître, parfois au profit d'autres lieux pour certains plus jeunes délinquants dont on parlait. Mais en tout cas ces lieux ouverts, je trouve que c'est sans doute un témoin formidable qu'incarne Abaka.

 
2AntoineMassonAntoine Masson  : Je vais paraphraser Amaury puisque je voulais quand même, pour essayer de préciser un peu la spécificité d'Abaka dans le paysage, faire une démonstration par l'absurde. Imaginons que la journée s'intitule « Des murs...  au jeune responsable qui aura compris les conneries qu'il a faites », etc., et qui aura été compris, jugé, médiqué, diagnostiqué. Et donc là on voit vraiment par rapport à ça le contraste avec ce toit où on peut se mettre dessus, on peut se mettre dessous, on peut y créer des fenêtres pour voir le soleil, on peut même rêver à la lune, on peut imaginer qu'on va arriver sur le toit du monde. Et le toit c'est aussi l'ombre, le soleil, passer de l'ombre au soleil, ce qui fait qu'alors vraiment tout ce qui est perçu quand on pense murs et qu'on prend comme un échec quand il y a des allées et venues, ici est compris vraiment comme une sorte de construction, de voyage quasi initiatique auquel Abaka contribue, ponctuellement bien sûr mais de manière très importante.

 
2JeanVincentCouckJean-VinceRMvidnt Couck  :  Ma réflexion est par rapport à la question du non mandat, qui est pour moi très importante. Je pense que l'intervention d'une autorité mandante, qu'elle soit judiciaire ou administrative, peut vraiment très fort stigmatiser les choses et crisper la situation familiale. Le fait qu'il puisse exister des services non mandatés qui puissent aller travailler cette problématique est fondamental. On peut discuter de la présence ou non d'un mandant dans la situation à un moment où à un autre, mais pour pouvoir avoir un espace de parole sans mandant et un travail familial sans mandant, il y a quelque chose de fondamental.

 
2YounessMernissiYouness Mernissi  : Moi je vais parler en tant qu'être humain, parce que personne ne l'a encore fait. J'ai été ému, j'ai été ému par les petites scénettes et j'ai été ému par les vidéos. Parce que ça me renvoyait un peu à mon adolescence, qui était certainement beaucoup moins difficile que la leur, parce que j'avais ma famille et parce que j'avais un toit. Mais ça m'a renvoyé à toutes les difficultés et au mal être que moi j'ai pu ressentir à l'époque. Je pense qu'Abaka c'est ce qu'ils font, c'est se soustraire un petit peu à cette famille, à ce toit, mais c'est ce qu'ils apportent à ces jeunes. Et je pense qu'il n'y a même pas à douter de l'intérêt de ce genre d'association.

 
2AntoineMassonAntoine Masson  : C'est vrai que toute la gageure avec les adolescents, je pense que c'est de faire toujours deux choses contradictoires. Winnicott dit : « Ne pas réprimer passivement, ne pas supporter passivement ». Ici il s'agit d'être ouvert mais sans lâcher le jeune. Et je trouve que la métaphore du toit est finalement assez extraordinaire, parce que ça peut être une manière de protéger sans briser l'horizon. Or, un mur coupe l'horizon. Et donc qu'est-ce qu'on fait quand on protège quelqu'un en lui fermant l'horizon ?

 
2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : Tordons le coup peut-être de nouveau à cette idée qui est un stéréotype. Il y a d'abord des mineurs qui peuvent être en difficulté, voire en danger, et qu'on le veuille ou non, et c'est tout l'esprit de la loi de 65 qui hélas s'étiole, la délinquance n'est que l'un des signes d'une difficulté notamment parfois liée à la délinquance. Donc il y a avant tout des mineurs, et Abaka est un des lieux de passage qui peut aider ces jeunes comme tel. Et donc il y a simplement, et notamment au niveau des mandants entre guillemets, à se reformater par rapport à ça. Mais quand Jean-Vincent parlait du mandat ou du non-mandat, moi c'est un des éléments qui m'a toujours frappé dans le travail avec Abaka, c'est que sans qu'il n'y ait aucun mandat, Abaka pour moi est un type d'institution qui a pu, de manière totalement décomplexée, travailler malgré tout avec des jeunes qui dépendaient des juges tout en conservant totalement leur autonomie. Et donc cette manière de confronter tout le temps les logiques, me semble parfois un petit peu stérile.

 
2AliceJaspart2Alice Jaspart  : Moi je dirais que par rapport à l'ouverture physique, à la question de cette dichotomie ouverture-fermeture, je me disais que le toit, l'ouverture, ça permet les vas-et-vient. Ici on sent que dans cette maison les jeunes peuvent aller et venir. Et les vas-et-vient de jeunes, je pense, permettent quelque part de bousculer le quotidien. De bousculer en fait les objectifs souvent de normalisation qui vont avec un cadre physique plus fermé. Ça permet aussi les vas-et-vient des personnes tiers, des proches. Et dans ce que j'ai entendu, je trouvais que l'ouverture par rapport à la famille était très intéressante, dans le sens où c'est vrai que dans les paroles de jeunes qu'on peut récolter, on a souvent cette question de famille où on a difficile à vivre avec cette famille ; à un moment donné on la déteste, ce n'est pas pour autant qu'on ne l'aime plus non plus. Nous on avait parlé de « famille je vous Hai-me ». Et je trouve que de ce qu'on entend, on sent que cette possibilité est là de travailler avec les familles quand le jeune le veut, suivant les dynamiques, suivant le temps nécessaire. Alors que quand on ferme les lieux, on a plutôt tendance à fermer la porte à certaines personnes qui peuvent être à l'intérieur ou pas, et donc à fermer aussi les liens symboliques.

 
Bernard De Vos  : Vous vous êtes exprimés en tant que psychologue, en tant qu'être humain, moi je vais m'exprimer en tant que voisin. Moi j'habite à quelques dizaines de mètres d'Abaka, je suis passé des centaines de fois devant la porte en conduisant mes enfants à l'école fondamentale, et mes enfants ont plus ou moins l'âge d'Abaka, donc c'est vraiment un service que je connais bien. Et puis au moment où le service s'est constitué, moi j'étais encore directeur de SOS Jeunes et on n'a pas vu d'un bon œil l'arrivée d'Abaka, parce qu'effectivement c'était très proche. Et puis finalement il y a des collaborations très intéressantes qui se sont créées et je m'en réjouis.
Il y a deux mots qu'on a entendu beaucoup : c'est accueillir et accompagner. Et je vais dire que accueillir de manière inconditionnelle, et c'est quand même un des objectifs d'Abaka, ce n'est pas anodin aujourd'hui, c'est un véritable geste politique qui est posé quand on accueille de manière inconditionnelle. Et on sait que dans notre secteur on a plutôt tendance à entendre des renvois de patates chaudes : « ça ce n'est pas vraiment mon critère ; il ne rentre pas ; ce n'est pas une jeune fille, elle a plus de 14 ans, elle n'a pas de problème psychologique. Non, ce n'est pas pour moi... ». Et je crois que c'est vraiment une des richesses d'Abaka. Et puis accompagner. Accompagner c'est aussi un geste politique. Au moment où on parle de suivi, de guidance, de soutien, tous ces termes un peu condescendants. Accompagner, être là, accepter les aller-retour, prendre le temps de travailler, c'est vraiment un geste politique. Ce sont deux gestes politiques forts qui sont posés par Abaka tous les jours et par d'autres services. Et donc je crois que ça vraiment c'est important de le saluer pour ces dix ans.

 
2IsabelleVerhaegenIsabelle Verhaegen  :RMvid.jpg Moi je voulais dire la difficulté pour un service comme ça de pouvoir mettre en avant cette idée d'ouverture, et l'idée du rêve. Moi je pense qu'il y a eu beaucoup de conflits dans l'équipe sur ce point : « Oui mais la réalité qu'est-ce qu'on en fait ? Qu'est-ce qu'on fait de ce jeune qui a peut-être ses rêves et sa manière de fonctionner différente, et puis après il quitte Abaka et il doit quand même faire avec le monde qui nous entoure ? ». Je pense que dans tous les services aujourd'hui qui travaillent à la base avec la parole des jeunes, on est tous avec cette même réalité de se dire : « Voilà, il y a la parole des jeunes, il y a la demande des jeunes, il y a ce dont ils ont besoin pour grandir ». Mais nous on l'entend à notre niveau mais au-dessus de nous, qui l'entend et qui entend en fait quelque chose ? Et je pense que là on a peut-être un rôle politique à avoir, mais je ne sais pas comment faire entendre cette parole que nous on a tellement envie d'entendre des jeunes, comment la faire entendre plus haut pour que la société change un minimum et s'adapte un peu au monde d'aujourd'hui.

 
2AntoineMassonAntoine Masson  : Moi je nuancerais un peu cette question de l'opinion publique, etc. Parce que c'est qui l'opinion publique ? C'est nous en fait. Et je pense que ça n'existe pas comme une extériorité. Et nous avons tous envie d'enfermer ce qui nous fait peur. En grande partie je pense que c'est l'expression de la peur. Et j'ai envie de prendre à partie Bernard De Vos parce que si même lui a eu peur d'Abaka près de chez lui, alors vraiment tout le monde peut avoir peur. C'est vrai.

 
2YounessMernissiYouness Mernissi  : Il s'avère que j'ai eu la chance, il y a quelques jours, d'aller chez Abaka pour travailler avec un jeune, qui va vous présenter un texte après. Je trouve que c'est la place d'Abaka de permettre à ce jeune de réaliser son potentiel, c'est là que c'est intéressant. On parlait d'ouverture tout à l'heure, mais c'est une ouverture d'Abaka qui permet l'ouverture du jeune vers l'avenir. Et cette ouverture vers l'avenir, donc ouvrir grand une porte qui semblait être fermée, je pense que c'est là tout l'intérêt. Moi je pense savoir mieux que quiconque l'intérêt ou l'importance des mots, l'importance qu'elle a eu pour moi, parce que je pense que ça m'a aidé énormément, ça m'a permis de me construire. J'écoutais tout à l'heure parler de mal-être et tout ça, et ça me frappait à quel point j'ai pu déjà l'écrire quand j'avais 17 ans. Et comme en relisant mes textes aujourd'hui, ça n'a pas pris une ride, malheureusement. Mais en tout cas les mots c'est sûr qu'ils ont une place super importante pour moi. Et que réussir pour moi à mettre des mots sur une douleur, c'est ce que fait Abaka avec les jeunes, c'est ce qui leur permet d'avancer. Je fais un peu toujours cette métaphore : quelqu'un qui va chez un médecin, le médecin lui dit « On ne sait pas ce que vous avez », la personne pense qu'elle peut mourir à tout moment, parce qu'on n'arrive pas à déterminer son mal. Mais si le médecin lui dit « On sait ce que vous avez », le patient sait qu'un remède existe. Et à partir du moment où on arrive à mettre un mot sur une douleur, la guérison est possible.


2AntoineMassonAntoine Masson  : La question est de savoir ce qu'est un diagnostic. Alors, une étudiante en médecine m'avait dit qu'un symptôme qui permettait le diagnostic, c'était ce qui parmi les plaintes du patient était utile au médecin. Alors ce que je propose ici c'est quand même qu'un diagnostic d'un jeune, c'est ce qu'on dégage de ce qui lui arrive et qui peut être utile non seulement pour celui qui accueille, le thérapeute, mais utile pour ouvrir une porte et fermer toute une série d'angoisses ou de désorganisations. Donc c'est circonscrire là où on peut faire une fenêtre.

 
2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : Juste dire le danger qu'il y a au diagnostic, c'est-à-dire à l'étiquetage, avec une idée de fonctionner vite, de rentabilité. On va vite étiqueter ce jeune et cette familles en disant « Voilà, problème A,B,C, solution D,E,F ». Je pense que le propre de l'institution comme Abaka, et la plupart des institutions qui sont ici, c'est qu'au contraire on ne part pas du diagnostic. Ce qui a été dit ce n'est pas diagnostiquer, c'est qu'on permette qu'il y a un lieu où je puisse énoncer ce qui fait souffrance chez moi. Et à partir du moment où je l'énonce, je peux construire autour avec les gens qui sont importants. À partir du moment où quelqu'un tient le savoir, qu'il soit avocat, assistant social, psychologue ou autre, vient dire quelle est votre douleur, je pense qu'on est déjà en difficulté par rapport à la construction d'une solution. Et juste pour revenir sur la question de base, cette idée de porte-parole, de redire combien il me semble que c'est au contraire dans le secteur social qu'on permet le plus aux jeunes de trouver la temporalité qui est la meilleure pour pouvoir exprimer les choses. Pour un jeune il faut du temps pour pouvoir dire ce qu'il a vraiment au fond de lui-même et pouvoir le conceptualiser. Au-delà d'abord de ce qui va sortir de manière brute. Et ce temps là, il y a d'autres lieux où il n'existe pas, il est comme resserré. Je pense que c'est un peu le cas au SAJ, je pense que c'est un peu le cas au tribunal. D'où tout l'intérêt de laisser autant que possible le jeune dans ce niveau où on peut prendre le temps, on peut se donner le temps.

 
2AliceJaspart2Alice Jaspart  : Alors, moi j'aime beaucoup la question de la temporalité, donc je voudrais rebondir là-dessus. Parce qu'effectivement dans beaucoup d'institutions, la temporalité va très très vite et elle ne répond pas toujours aux difficultés des jeunes. Et donc je trouve qu'ici, ce qui est intéressant, c'est vraiment le temps pour décanter les relations familiales, le temps pour permettre aussi de s'ouvrir petit à petit à une nouvelle relation, à un adulte peut-être pour qui ça n'a pas toujours été évident. Et du coup, à prendre le temps aussi de voir pour le jeune, une place dans la société, de voir aussi qu'il peut avoir une place dans la société. Et je dis ça parce qu'en fait on avait aussi pas mal parlé de questions de rêves, et c'est quelque chose qui m'interpelle particulièrement chez les jeunes qui sont placés, qui ont des parcours de placements institutionnels assez importants, c'est qu'ils rêvent assez peu. En tout cas ils ne rêvent plus beaucoup ou ils rêvent vraiment en petit, sans aucun côté négatif : une famille, un boulot, un petit boulot et une maison. Mais il y a assez peu de rêves. Et ici j'ai l'impression qu'on peut permettre d'avantage de rêves, d'avantages de rêves individuels, de projections individuelles. Et ça, quand on compare un peu au niveau des recherches sociologiques, entre des jeunes qui sont plus aisés, plus favorisés, et d'autres qui le sont beaucoup moins, on voit toute la place certes de la famille et de l'école, mais on voit aussi la place de la représentation qu'ils ont de leur place à eux dans la société, l'espoir qu'ils peuvent avoir par rapport à ça, et on voit également l'importance des relations extérieures à la famille, d'autres modèles.

 
2JeanVincentCouckJean-Vincent Couck  : Pour revenir à la question de la temporalité, et je rejoins ici ce qui a été dit, c'est vraiment la contradiction avec l'intervention qui est très rapide où le lien peut se mettre et permettre véritablement au travail de se déployer et de construire quelque chose ensemble. Et je pense que c'est ça qui est fondamental, mais avec toutes les difficultés du construire ensemble, avec toute une série de facteurs que ce soit au niveau du logement, d'une certaine paupérisation, etc. D'où toute la difficulté de pouvoir construire un ensemble en tenant compte du jeune, de ses envies, de ses rêves, tout en pouvant l'inscrire dans une certaine réalité. Et c'est vraiment ça je crois tout l'enjeu et toute la difficulté.

Table des matières

 

Ensemble


DEUXIEME PARTIE
... A TOI 

Présentation par l'équipe d'Abaka 
suivie d'un partage de réflexions avec les intervenants

 

Présentation du travail mené à Abaka par l'équipe
Annelise Reiter, psychologue
et Audrey Arcq, intervenante sociale

 2AnneliseReiterAnnelise Reiter, psychologue

RMvid.jpgEn préparant nos dix ans, et en réfléchissant à notre pratique chez Abaka, le concept de toi nous est apparu naturellement. Pourtant nos recherches théoriques montrent que ce concept a été peu abordé par rapport aux concepts associés que sont le moi et le soi. D'un point de vue étymologique, ce mot prend très peu de place dans le dictionnaire. Et à un moment donné de son histoire, le mot toi a même dû être accentué pour pouvoir exister, et sont apparues des expressions comme toi-même, toi tu, etc. L'aspect relationnel, inclus d'emblée dans le concept de toi, nous paraît incontournable dans le travail d'accompagnement d'adolescents. Dans nos accompagnements nous sommes attentifs au fait que les jeunes sont des sujets en pleine construction identitaire et que ce processus ne peut se faire sans l'interaction avec leur environnement : la famille, l'école, les pairs, les services d'aide à la jeunesse, les lieux de loisirs, etc. Le travail de construction identitaire se déroule dans un double mouvement. D'une part le jeune est le toi de l'autre qui est en face de lui et il se construit en étant le toi de cet autre. D'autre part, l'autre qui est en face de lui est également le toi du jeune chez qui celui-ci vient se déposer, se confronter, dans une recherche de lui-même. En tant qu'intervenants chez Abaka, nous devons quotidiennement questionner notre place d'adulte face aux adolescents. En effet, les questions de cadre, de limites, sont quotidiennement questionnées et sont autant d'occasion de travail avec les jeunes. D'autre part, rappelons-nous que les adolescents viennent chercher dans leur relation aux adultes la manière dont ces derniers ont eux-mêmes traversé leur adolescence.

 
Audrey Arcq, intervenante sociale  
Le toi, c'est une personne, un être humain. Lorsque nous avons posé la question aux jeunes, de ce que le concept de toi représentait pour eux, certains ont mis en avant les notions de personnes, d'êtres humains, de besoins fondamentaux d'être reconnu et entendu par l'autre. Pour que le jeune puisse se développer par la parole ou par les actes, il est nécessaire de créer un environnement mais aussi une ambiance dans laquelle celui-ci pourra se sentir en sécurité et en confiance. C'est pourquoi depuis plusieurs années, nous avons beaucoup réfléchi en équipe à la signification et à la mise en place d'un cadre rassurant, à la question de l'accueil et de notre présence aux jeunes. À travers ces moments, nous espérons que le jeune va pouvoir expérimenter des relations humaines lui donnant le désir de se remettre dans le lien social. Trop souvent en effet, les jeunes ont vécu dans leur parcours des situations déshumanisantes où ils ont été stigmatisés et dévalorisés. En tant que service non mandaté, nous travaillons à partir de la demande du jeune. Notre travail est d'accompagner cette demande, de lui permettre d'évoluer, de tantôt pencher du côté du rêve, tantôt du côté de la réalité. L'important, selon nous, est que le jeune puisse progressivement s'approprier quelque chose qui le concerne personnellement. Les jeunes qui sont accompagnés par notre service ont un besoin vital de reconnaissance et d'intérêt pour leur situation singulière. Un besoin de se sentir exister. Cet intérêt pour leur situation singulière, nous devons également essayer de le manifester à travers tous les moments du quotidien. C'est pourquoi toutes nos décisions concernant les jeunes sont prises au cas par cas, favorisant ainsi le travail de subjectivation du jeune.

Table des matières

 

Capsule vidéo présentée lors du colloqueCapvidL'autre toi : le travail collectif

 

Annelise Reiter, psychologue
RMvid.jpgChez Abaka, le regard et l'écoute sont deux portes d'entrée privilégiées dans l'accompagnement des jeunes. La question du regard porté sur les jeunes nous est renvoyée au quotidien par les jeunes eux-mêmes. Ceux-ci nous rapportent des vécus de stigmatisation, d'humiliation, etc. Il est évident que ce regard posé sur le jeune influence directement le regard que le jeune porte sur lui-même et inversement, le regard que le jeune a sur lui-même a des effets sur la manière dont les autres vont le regarder. Au moment de l'accueil d'un jeune, nous souhaitons porter un regard neuf sur celui-ci en ne prenant pas connaissance d'un dossier ou d'informations collectées par la famille ou par d'autres intervenants. D'autre part, tout au long du suivi, nous nous efforçons de valoriser les compétences des jeunes et des familles plutôt que de pointer leurs difficultés. Notre conception du toi nous fait penser au concept de soi réfléchi introduit par Cooley en 1902. Ce concept de « soi réfléchi » ou « soi miroir », signifie que ce que je suis est réfléchi dans le miroir du regard des autres. La perception de soi est le résultat d'un effet de miroir social ; la valeur du sujet étant déterminée par la façon dont les autres le valorisent. Il nous semble dès lors évident qu'un travail sur l'estime de soi fait partie de tout accompagnement. L'estime de soi est une dimension essentielle de l'identité. L'importance du regard de l'autre dans la construction du narcissisme intervient dès les premiers moments de la vie. La plupart des jeunes que nous rencontrons chez Abaka, étant donné leur histoire, présentent des failles dans leur narcissisme. Comme le disait Winnicott, pour aimer un autre ou soi-même, il faut avoir été aimé. Le bébé a besoin de lire sur le visage de sa mère ou d'un autre « caregiver » l'admiration et l'amour qu'on lui porte.

 
Audrey Arcq, intervenante sociale 
Au niveau de l'écoute, une des spécificités de notre clinique, est de considérer chaque moment du quotidien, qu'il soit formel ou informel, comme une occasion de rencontrer le jeune, de saisir ce qui fait sens pour lui, de comprendre ce qui est en questionnement pour lui au niveau individuel, familial ou sociétal. Au niveau des moments formels, l'équipe d'Abaka a construit, au fur et à mesure des années, des moments clés dans l'accompagnement du jeune permettant de favoriser sa parole. Comme par exemple l'entretien d'accueil, les moments d'évaluation durant l'hébergement après une semaine ainsi qu'à la fin d'un hébergement, les réunions avec les jeunes, les moments de démarches concrètes, les entretiens individuels avec le référent, l'assistante sociale ou la psychologue et les entretiens familiaux. En dehors de ces moments plus formels et plus axés sur la parole, nous prenons soin d'aménager des espaces pour rencontrer le jeune autrement. Nous souhaitons lui offrir des moments de présence à travers par exemple les activités de type ludiques ou sportives, comme la roller parade, les jeux de société, le vélo ; les sorties culturelles, le cinéma, le théâtre, les musées ; la gestion du quotidien à travers les tâches ménagères, la préparation des repas, l'entretien du potager ; les actions bénévoles auxquelles nous participons, comme CAP 48 ou la plate-forme sida. Et enfin, les portes ouvertes du mercredi lors desquelles on fait toujours du tennis de table et on mange des crêpes pour les jeunes accompagnés par Abaka.

 
Annelise Reiter, psychologue 
Tous ces moments formels et informels sont bien entendu également des occasions d'échange, de rencontre, de création du lien entre le jeune et l'équipe. Nous pensons que le lien est le préalable indispensable à tout accompagnement psychosocial. Ce lien nous devons le questionner, non seulement dans le sens du lien qui va du jeune vers l'intervenant mais également du lien de l'intervenant vis-à-vis du jeune. En effet, nous nous demandons souvent si tel jeune est en lien avec nous. Et peut-être nous interrogeons-nous trop peu souvent sur notre part de responsabilité dans la relation avec ce jeune. Toute la question est peut-être de naviguer entre le « pas assez de liens » et le « trop de liens ». Trop peu de liens empêche la confiance nécessaire au travail d'accompagnement. Mais parfois trop de liens peut faire obstacle à l'autonomisation d'un jeune, au fait qu'il puisse s'inscrire dans d'autres lieux, etc. Ainsi il nous arrive parfois d'avoir du mal à laisser partir un jeune. La relation entre le jeune et l'équipe se construit dans le temps, c'est pourquoi nous proposons toujours aux jeunes, qu'un hébergement ait été nécessaire ou pas à un moment donné, un accompagnement que nous appelons extramuros, et qui peut s'étaler de quelques jours à plusieurs années en fonction de la demande du jeune. Nous aimons à penser que les différents passages du jeune au sein de notre service sont comme un fil tissé dans la trame de son histoire personnelle. Ceci nous semble d'autant plus important que beaucoup de jeunes qui fréquentent Abaka connaissent des parcours d'errance institutionnelle depuis plusieurs années.

Table des matières

 

Capsule vidéo présentée lors du colloqueCapvidL'autre toi : le travail du lien

 

De toit ...à toi – conclusion

Audrey Arcq, intervenante sociale 
A l'occasion de nos dix ans, nous avons voulu vous présenter le travail d'accompagnement d'adolescents dans un centre de crise. Comme nous l'avons mentionné en début de notre intervention, les adolescents qui sonnent à la porte d'Abaka sont souvent en mal de toit, TOIT. Nous ne pouvons pas faire fi de cette première demande d'un toit qui peut être la leur ou celle de leur entourage. Cependant, cette demande ne constitue souvent que la partie visible de l'iceberg. En effet, dès le premier entretien, nous sommes attentif à mettre le jeune au travail sur ce qui fait difficulté pour lui dans son milieu de vie. Tout au long de l'accompagnement, que ce soit en extramuros ou en intramuros, nous mettons l'accent à la fois sur le travail familial mais également sur la construction d'une position de sujet chez le jeune. Ce travail de subjectivation, nous l'avons dit, passe notamment par la rencontre et le lien, ce que nous avons rassemblé sous le concept du toi, TOI. Ces dernières années, l'évolution de notre public nous a amené au constat de la difficulté du passage à la majorité. Ce questionnement a notamment fait l'objet d'une recherche intitulée « La majorité, un passage redouté » à laquelle notre service a participé, en collaboration avec l'AMO SOS Jeunes - Quartier Libre. Notre expérience dans l'accompagnement de jeunes qui doivent passer par des projets d'autonomie, et donc par le fait d'habiter seul un logement vers l'âge de 17-18 ans, nous montre qu'il est capital de travailler ces questions de subjectivation et de construction identitaire, pour favoriser les chances de réussite de ce type de projet. Ce travail d'accompagnement peut bien évidemment prendre plusieurs années.

 

Table des matières

 


Réactions des intervenants

Ensemble3

 

2IsabelleVerhaegenIsabelle Verhaegen  : Je trouve que c'est une question qu'on se pose tous déjà en tant que parent aussi, de savoir c'est quoi en fait aimer son enfant et c'est quoi offrir une place aux jeunes qui viennent chez nous, si on les laisse se faire du mal, si on ne leur donne aucun cadre, c'est parce qu'on n'en a comme ils disent « rien à foutre ». Alors que si on donne des limites, ça veut dire qu'on a envie de prendre soin d'eux. Prendre soin de quelqu'un c'est aussi l'aider à prendre soin de lui-même et à faire attention à lui. Je crois que les limites elles servent à ça. Et je crois qu'aujourd'hui dans la société on se trompe parfois ou on a parfois eu des messages qui nous ont fait dire qu'il ne fallait plus mettre de limites, qu'on est arrivé parfois à cette idée d'enfant roi. Aujourd'hui on revient un peu là-dessus et c'est là que ça fait aussi toujours débat dans l'équipe de savoir qu'est-ce qu'on accepte ? Où est-ce qu'on met un stop ? Et puis les limites de chacun des membres de l'équipe sont différentes. Et je crois que c'est ça la force du travail d'équipe, c'est de pouvoir s'équilibrer par rapport à des gens qui ont une tolérance par rapport à certaines choses, d'autres qui ont moins de tolérance par rapport à ça, et puis pour finir ça fait quelque chose d'assez cohérent au final.

 

2AntoineMassonAntoine Masson  : RMvid.jpg Quand on travaille avec des jeunes on est toujours devant des dilemmes qui sont un peu la peste et le choléra, et puis on doit inventer quelque chose entre les deux et montrer comment ça se dialectise. Alors, je trouve d'abord le toi, il se dialectise admirablement dans les témoignages, parce qu'on pourrait imaginer que l'adolescent doit devenir un je face à un toi pour qu'il se reconnaisse. Mais en réalité les linguistes disent qu'on ne peut jamais parler à un je. Donc quand on se parle à soi-même, on ne peut se parler que comme un tu. Donc, trouver son identité c'est devenir un tu. Et il y a un jeune qui le dit admirablement « J'ai pu apprendre à me tutoyer ». Ça c'est extraordinaire. L'autre chose c'est que les jeunes disent : « Ça me permet de comprendre où je suis tombé. Et ça me permet de faire le vide pour prendre la bonne décision ». Et donc Platon, au début de la philosophie dans le mythe d'Er le Pamphylien, dit qu'au moment où il faut choisir la vie, le génie de la vie qu'on va être, il faut laisser tous les travaux de côté et se consacrer à une seule tâche, c'est trouver la personne qui nous aidera à bien choisir. Donc je pense qu'Abaka le fait admirablement. Et comme rien n'est simple, tantôt j'ai un peu critiqué le fait que si on commence par les murs, ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas de murs, parce que si vous avez un toit à tout vent il s'envole. Mais alors les murs ont une autre fonction à l'adolescence ; ce n'est pas un mur qui protège et qui enferme, c'est un mur contre lequel le jeune peut lancer sa balle et voir comment la balle lui revient. Donc un mur qui a du répondant. Et donc il faut qu'il puisse se confronter, il faut qu'il y ait des murs. Mais dans le mur il faut faire des ouvertures. Et d'ailleurs à Abaka il y avait des photos et en fait les murs sont devenus des paysages, les murs ont été tout à fait transformés. Et je voudrais terminer juste sur une image d'un poète qui dit que le poème c'est un poing fermé dont il appartient à chacun d'en faire une main ouverte. Et je trouve que les jeunes précisaient ça, comment ils peuvent être fermés sur eux-mêmes, agressifs, et d'avoir quelque chose qui a du répondant sans réponse, et bien tout à coup ils s'ouvrent et ils deviennent un peu une main ouverte.

 
2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : On a parlé de ce toi. Quand j'ai pu lire un peu les abstracts moi ça m'a vraiment intéressé. Et au fond en y réfléchissant bien, toi et moi c'est deux mots de trois lettre. Et au fond ces deux mots si on fait une petite métaphore et qu'on les compare à une chaise, c'est une chaise à trois pieds, c'est peut-être mieux que d'être debout mais ça reste encore fort instable. Et ce qui se fait chez Abaka, ce qui se fait peut-être dans le secteur de la protection de l'aide à la jeunesse, c'est de faire raisonner le toi et le moi de trois lettre en un nous de quatre lettres; c'est quand même beaucoup plus équilibré. Et c'est tout le travail de systémique qui va faire que l'on va devoir travailler. Hors, ça implique les murs, cela implique les ouvertures, mais cet espace-là qui n'est pas que le moi ou que le toi, est ce qui nous fait advenir, je pense, dans le monde des adultes.

 
2AliceJaspart2Alice Jaspart  : Je voulais réagir par rapport à ces questions de pratiques, de postures professionnelles que j'ai observées maintenant dans ce deuxième temps, par rapport au fait que je trouvais très intéressant l'idée qu'on propose un regard neuf. Et donc dans le rapport d'activité il était question justement des sacs que les jeunes trimbalent avec eux quand ils arrivent, des sacs en plastic, déchirés, gros, encombrants, etc. Et le regard neuf c'est aussi un peu l'idée de pouvoir poser son sac et peut-être de le reprendre plus tard en le réparant, en l'allégeant j'espère. Donc je trouve que comme posture, c'est vraiment intéressant, et ce n'est pas si courant non plus, parce qu'on essaye souvent d'avoir la vérité si elle existe - elle n'existe pas - sur un parcours précédent, d'essayer d'avoir des informations sur ce qui a déjà été fait souvent dans une idée aussi de vouloir bien faire, avec un fil rouge, ne pas recommencer ce qui a déjà été fait. Mais ici c'est partir de ce que le jeune veut bien donner, veut bien confier. Et dans le « veut bien donner », je trouvais qu'on retrouve aussi la posture des intervenants qui est dans cette idée, j'ai l'impression, qu'on donne aussi de soi effectivement et on parle de l'adolescent qu'on a été, ça a été évoqué au tout début de l'intervention. Et ça je trouve que par rapport au travail social, c'est intéressant dans les évolutions. Aujourd'hui on a parfois une tendance à voir des travailleurs sociaux un peu comme des ingénieurs qui font bien la différence entre le professionnel et le privé. Je pense qu'ici on peut l'imaginer autrement. Alors, une dernière chose. J'avais envie de tordre le cou à certaines idées par rapport à la question de la délinquance et de la répression, dans le sens – et là je reprends ma casquette de criminologue - où on fait vite le lien entre précarité, difficultés des jeunes et délinquance. Et je trouvais justement intéressant qu'ici on ne parlait pas de délinquance. Et j'aimerais juste rappeler qu'effectivement les jeunes qu'on retrouve plus facilement dans les filets de la justice et du monde protectionnel sont des jeunes qui sont plus facilement accessibles aux organes de la justice parce qu'ils vivent peut-être en rue, parce qu'ils vont frapper à des institutions, mais la délinquance et la déviance ça se retrouve à l'adolescence et ça se retrouve dans toutes les couches sociales.

 
2MichelThiryMichel Thiry  : C'est vrai qu'il y a dans ces questions, la manière dont la relation s'enclenche, qui est quelque chose de très important. Et lors de la scénette on a vu toute la souplesse, la gymnastique dont l'équipe fait preuve, parce qu'effectivement ça demande beaucoup de souplesse, tout cet équilibre à trouver. Il y a le cadre qui est mis en perspective, qui est utilisé, qui permet au jeune d'avancer, parce qu'il y a du cadre à Abaka. Et dans une gymnastique aussi, dont il faut faire preuve pour les équipes au niveau de l'évolution et du contexte général dans lequel la pratique doit se faire. Et j'entendais aussi toute la difficulté, la mise à mal par la précarité de plus en plus grande, des situations des jeunes, la difficulté du logement, ce sont des choses dans notre service qu'on rencontre également. Lors des admissions, le nombre de jeunes qui sont dans des situations très précaires augmente au fil des années, ce qui met en difficulté la pratique.

 
2JeanVincentCouckJean-Vincent Couck  : Pour revenir à la question de départ, au niveau du cadre et de l'écoute, est-ce qu'on est dans deux notions incompatibles ? Non. Il est parfaitement possible au niveau du travail social - et là je reprends la casquette de mandant - de pouvoir avoir un cadre et de pouvoir évoluer dans ce cadre en étant à l'écoute du jeune, en faisant le pari de la confiance dans les moyens, dans les ressources, dans le projet du jeune, tout en le confrontant éventuellement au non respect de ses engagements. Et là, effectivement, le confronter au cadre, essayer de mettre en place avec lui le projet que lui veut mettre en place, qu'il veut construire, en expliquant les conditions qui devront être réunies pour arriver à ce projet et l'accompagner dans la rencontre de ces conditions. Et donc au sein du travail social, ces deux notions, à mon sens, sont complètement complémentaires et permettent effectivement d'avoir une prise en charge adéquate pour les jeunes.

 

2YounessMernissiYouness Mernissi  : Je pense simplement que le regard de l'autre est effectivement primordial pour pouvoir se construire. Et je vais terminer peut-être en citant un de mes textes qui s'appelle « L'adolescence » justement. Et dans ce texte je dis les quatre lignes sur lesquelles je vais ponctuer : « Il y a de la lumière quand tu me regardes, il y a des battements quand tu m'entends, il y a ma peau rougie par le sang, et des sentiments sur leur garde ». Je pense qu'il y a toujours cette insécurité quand on est adolescent, on a peur que le regard de l'autre s'éteigne et qu'on ne soit plus rien, et je pense que c'est ça qu'ils vivent au quotidien ces jeunes-là. Et l'importance d'Abaka et de toutes les personnes qui les entourent, les rend vivants et leur permettent d'avancer et d'avoir cette force.

 

Intervention de Frédéric Van Leew, procureur fédéral  
Cela fait un petit temps que je suis Abaka et quand je vois tout ce qui s'est dit, ça me faisait penser à une citation de Mark Twain « Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait ». Je trouve que c'est une magnifique illustration de tout ce que j'ai vu ici. Deux mots peut-être : d'abord résignation. Je veux dire qu'on est dans une société où on est fort résigné par rapport à la souffrance, par rapport à toute une série de questions, par rapport à une vision hyper institutionnelle des choses. On est dans un pays où on a une grande richesse d'institutions et beaucoup d'initiatives, mais ça fait souvent de nous des tétraplégiques sociaux, c'est-à-dire qu'il n'y a plus que la tête qui fonctionne mais quand il s'agit de faire quelque chose on se sent extrêmement impuissant. Ce qui s'est passé avec Abaka, je trouve que c'est vraiment l'illustration du contraire. On a une série de personnes qui ont pris leurs responsabilités et se sont dit : « Nous on peut faire quelque chose. Et on n'a peut-être pas nécessairement besoin du juge, des institutions ou d'autres choses pour faire quelque chose ». Et ça bravo, parce que malheureusement, il n'y en a pas encore beaucoup des initiatives comme ça. Deuxième mot qui me touche énormément, parce que ça je pense que c'est vraiment le cœur, et j'utilise le mot cœur à dessein, c'est le lien, construire le lien. Quand on est tétraplégique social, on a du mal à faire du lien, on est dans une société où on perd très fort le lien. Quand on travaille dans un mandat on ne travaille pas nécessairement avec la liberté de créer un lien. Et justement, c'est surtout ça qui m'a séduit à Abaka. A l'époque j'étais substitut à la famille/jeunesse, donc j'ai été fort attiré par ça, c'est cette liberté de créer un lien, parce que chaque adolescent est différent, chaque personne est différente, etc. Par exemple tout ce qui se fait extramuros après est extrêmement important, parce qu'un lien c'est aussi créer une histoire, et s'inscrire dans une histoire. Or, trop souvent, notre aide à la jeunesse fait un récit avec un début et une fin, et ce n'est pas la vie ça. Et c'est la grosse difficulté de beaucoup de jeunes, c'est qu'à ce moment-là ils doivent passer d'un récit à un autre récit et chaque fois réinventer le début d'une histoire et chaque fois re-raconter tout. Le lien d'Abaka c'est un lien qui continue extramuros. Alors je vois jusqu'à 18-20 ans, pour moi ça continue jusqu'à 41 ans, puisque une fois par an, alors que ça fait 7 ans que j'ai un peu quitté le monde de l'aide à la jeunesse, je reçois un email de Jacqueline Maun qui me rappelle en disant : « Coucou, on ne t'a pas oublié et tu es toujours important pour nous ». Mais c'est ça vivre vraiment. Et c'est ça la grande liberté, le grand plus d'Abaka. Alors, félicitation pour vos dix ans.

 
2IsabelleVerhaegenIsabelle Verhaegen  : Je pense que ce qui est difficile c'est de faire confiance, de se dire, et je trouve que c'est toute la question de l'assistant ou de l'accompagnement. Je pense que chez Abaka on ne se veut pas être assistant, on se veut être accompagnateur et donc ça veut dire faire naître un peu, ou en tout cas participer à la naissance du toi, du sujet. J'ai beaucoup apprécié la vidéo où Mathias accompagne ce jeune vers le CPAS, et puis Mathias tu dis : « Moi je ne fais rien ». Et c'est vrai en fait, on ne fait rien, c'est juste être là j'ai envie de dire. Et peut-être cette question du regard dans l'accueil, c'est regarder l'autre faire pour lui-même. Je ne sais pas trop bien quoi dire de ça mais j'ai l'impression que c'est très porteur d'être à côté, de regarder l'autre faire les pas vers son avenir et d'être accompagnateur. Et c'est vrai qu'à un moment on se dit : « Bon si je ne suis plus là pour le regarder, est-ce que mon regard, il va encore l'avoir dans sa tête ? ». Il y a quelque chose d'une interrogation sur jusque quand il aura besoin de ce regard-là. Mais je crois qu'on peut effectivement faire confiance aux jeunes, et comme la porte est ouverte ils savent qu'ils peuvent revenir.

 

2AntoineMassonAntoine Masson  : Abaka ne fait pas seulement que regarder le jeune, c'est aussi prêter au jeune un regard. Et là je pense à quelque chose que les frères Dardenne avaient dit lors d'une journée. Je suppose que vous connaissez tous « Rosetta ». Et les frères Dardenne disaient « Nous on n'a rien fait, on a suivi Rosetta avec la caméra ». Et là je me suis dit que quand un cinéaste suit un acteur avec la caméra, en fait il ouvre le champ devant l'acteur. Et donc je pense que cette question de suivre quelqu'un pour ouvrir le champ devant, sans le remplir, est essentielle.

 

2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : RMvid.jpgMais je ne peux m'empêcher de redire combien dans cette démarche il y a quand même quelque chose de paradoxal, puisque la plupart du temps c'est à des jeunes extrêmement abîmés que l'on demande de pouvoir le plus rapidement possible être autonomes. Et donc c'est à ces petits d'hommes qu'on demande de bien marcher, alors que beaucoup d'autres ont le loisir de pouvoir prendre le temps, de ne pas être dans un rite : 18 ans on passe le cap. Et en tous cas à mon niveau, mais je pense que beaucoup d'entre-vous l'on vécu, il y a quelque chose d'extrêmement insécurisant pour les jeunes à l'idée de : « Il faut que je sois capable à 18 ans ». Et à nouveau, les logiques politiques et cette velléité de dire « Il faut », il y a un couperet qui tombe à 18 ans, est quelque chose qui est éminemment interpellant par rapport au développement psychique de chaque jeune dont on parle.

 

Intervention de Xavier Verstapen, Directeur d'un service d'accueil familial  
Je dirige un service dans l'accueil familial et j'ai envie de réagir directement à votre propos, parce que j'ai aussi été en son temps président du CAAJ de Bruxelles. J'avais envie de rajouter une chose. C'est qu'on parle de toit et qu'en fait il y a beaucoup de gens qui ont été sous le même toit. C'est peut-être unique dans une salle qu'il y ait autant de gens qui ont travaillé au même endroit, même des jeunes qui y étaient et qui sont là aujourd'hui. C'est-à-dire le pensionnat Jules Lejeune qui est un peu un grand bateau bizarre dans la région bruxelloise et à la fois en dehors, et que nous sommes très nombreux à avoir travaillé ici et sans doute à avoir vu aussi ô combien tous ces jeunes qui sont placés là d'office sous mandat, sont dans une très grande souffrance et dans une incapacité à vivre ensemble sans un accompagnement vraiment spécifique. Et que sans doute dans les chemins très différents que nous avons tous pris, on a tous à mon avis cherché à pouvoir accompagner ces jeunes avec leurs parents dans cette idée de les mettre en projet et de toujours pouvoir les soutenir et soutenir leurs parents. Parce que je suis confronté pour l'instant à tellement de travailleurs sociaux qui se disent : « Mais bon sang, j'ai investi, j'ai investi, et ce parent-là est de nouveau là ». Et alors on se pose, on lâche tout le monde parce qu'on a investi et qu'on n'a pas réussi à quelque chose. Or, je pense que tous ceux qui sont ici présents de Jules Lejeune et qui sont ailleurs maintenant, sont vraiment dans cet esprit-là. Et je pense que c'est ça ; se retrouver aussi c'est retrouver ce militantisme, cette envie d'aller plus loin et de porter vraiment ces projets de jeunes sans jamais faire la coupure, même si à un moment le lien doit être passé à quelqu'un d'autre.

 

Intervention de Thomas, éducateur à Synergie 14  
Je m'appelle Thomas, je suis éducateur à Synergie 14. Ce qui m'a frappé ici c'est le non-mandat. Parce qu'aujourd'hui on est dans une société où pratiquement tout est formalisé : il faut être mandaté pour avoir des subsides, il faut être contrôlé pour pouvoir obtenir quelque chose. Et je pense que de plus en plus dans le social on perd cet aspect du social parce que le marchand prend le dessus sur le non-marchand, et que cette notion d'entrer comme on veut et en sortir comme on veut va nous manquer, puisque des institutions comme Abaka il y en aura de moins en moins, parce que les critères sont excessivement difficiles. Et donc de ce point de vue je pense que la notion de toit, en tant que lieu où l'on peut vivre, est le début de toutes choses ; quand on n'a pas de toit on n'est rien. Et donc pour s'exprimer, pour pouvoir dire quelque chose, il faut d'abord avoir un toit, sinon on a d'autres priorités. Aujourd'hui si je n'ai pas de toit, je ne peux rien écouter, je ne peux rien entendre, parce que j'ai autre chose à faire. Je pense que le toit est primordial et c'est ce à quoi on est confronté aujourd'hui à Bruxelles pour les jeunes, c'est le toit. Et je pense qu'on va tous travailler pour que chacun puisse avoir un toit avant de pouvoir faire quelque chose après ça.

 

2AmauryDeTerwagneAmaury De Terwagne  : En préparant le colloque, il y a quand même une image qui m'est revenue sur cette idée de maison. C'est un film de Pixar qui s'appelle « Up »/« Là-haut » il n'est pas sorti longtemps. Autour de cette maison qui est gonflée avec des ballons et qui s'envole. Et en terme de métaphore par rapport au toit qui peut être fait. Et à la dernière parole de ce fameux Karl Fredricksen, ce vieux monsieur bourru qui pour finir revient à la vie par cet enfant qui n'était en fait que son double en réalité, double alternatif. Pour finir, alors que pendant tout le film il trimbale cette maison, il choisit de l'abandonner, il choisit de partir. Et il a cette phrase merveilleuse de dire : « Ce n'est qu'une maison ». Et donc un toit au fond n'est qu'un toit, il y a évidemment d'autres choses mille fois plus importantes au final.

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2JeanBlairon

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Une première question me vient spontanément à l’esprit : pourquoi diable faudrait-il une conclusion à tout ça ?
Nous pouvons écarter d’emblée une réponse triviale qui consisterait à dire, avec un peu d’humour : il s’agit d’exacerber l’impatience de tous d’en finir et de passer aux choses sérieuses : la vie, la rencontre, etc.
Non, l’exercice de ce matin nécessite une conclusion, car c’est une prise de risque énorme pour une équipe que de s’exposer en mettant publiquement en débat le sens et la valeur de son action, en se confrontant notamment aux commentaires libres qui ont été exprimés par une série d’experts.

RMvid.jpgSi on parle de sens et de valeur de l’action, nous ne pouvons que penser à cette très belle citation de l’écrivain Bernard Noël : « Le sens n’est jamais qu’un mouvement qui appelle à sa propre poursuite ». Dans ce cas, le rôle d’une conclusion serait peut-être de contribuer à ce qu’une poursuite soit possible.

A quelle poursuite, dès lors, essayer de contribuer ?

Un grand sociologue, le plus grand peut-être, Marcel Proust, parle ainsi de l’activité de romancier : quand un romancier a mis le point final, pour lui c’est fini, mais si c’est bien fini, ça permet que tout commence pour le lecteur.

« Et c’est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l’auteur ils pourraient s’appeler « Conclusions » et pour le lecteur « Incitations ». Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donne des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs.
Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-même), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment même où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit. » (M. Proust, Sur la lecture, Bruxelles, Jacques Antoine, 1985, p. 46.)

On pourrait espérer ainsi que bien des colloques se fixent cette règle de bien se construire pour que leur fin permette que d’autres choses commencent pour tous ceux qui y ont participé.

Dans ce contexte, la question posée par David Lallemand paraît centrale : « Est-ce qu’on ne fait ici que parler à ses amis ? ». Je crois que « le début d’autre chose », après un colloque comme celui-ci c’est qu’il nous permette d’un peu plus parler à l’adversaire qui est en nous, pour que nous puissions lui parler et le combattre dans la société avec tout le respect qu’un bon adversaire mérite.

Je voudrais proposer quatre points d’illustration d’une pareille posture.

Les leçons de Robert Castel

Ce qui m’a paru évident tant dans les présentations de l’équipe, les commentaires des experts, les saynètes que dans les témoignages des jeunes et des familles relayés dans les vidéos, c’est la confirmation de l’intérêt de la distinction proposée par Robert Castel entre les termes « intégration » et « insertion ».
L’intégration, pour cet auteur, ne désigne pas les efforts que les jeunes sont supposés devoir/faire pour s’adapter à notre société ; l’intégration, c’est le fait de pouvoir disposer de son droit fondamental au travail, de disposer d’un travail librement choisi ou librement accepté (Ce sont les termes de la charte européenne des droits fondamentaux.) ; l’insertion, désigne le fait de pouvoir s’appuyer sur des solidarités familiales, sociales ou institutionnelles.
Ce qui paraissait extrêmement évident aujourd’hui, c’est qu’il y a une relation de co-production entre les deux axes (Il s’agit d’une leçon que nous avions tirée de notre recherche participative sur les jeunes qualifiés de « NEET », cf.www.oejaj.cfwb.be/index.php?id=11412); une dégradation sur l’axe de l’insertion, des solidarités, peut compromettre la scolarité et la possibilité de trouver un travail ; inversement, une dégradation de la scolarité (ce qui est désormais de plus en plus lié à la question du travail) peut faire qu’un jeune « ait la haine », comme le disait une jeune fille, qu’il peut être dès lors conduit à s’isoler, etc.
Ne peut-on dire que ce que fait brillamment l’équipe d’Abaka, c’est de tenter de renverser, en termes de co-production, les trajectoires qui pourraient conduire à une désaffiliation, pour reprendre les termes de Castel (On pourra se reporter ici au colloque organisé par le CAAJ de Nivelles, qui explore l’hypothèse d’un lien entre action de prévention et lutte contre la désaffiliation : www.intermag.be/au-dela-de-lindignation.) ?
La co-production des axes de l’intégration et de l’insertion, ça va dans le sens de la descente, mais aussi de la remontée.
Mais, chers collègues, est-ce encore bien le sens des politiques sociales qui sont menées par les Régions et par le Fédéral ? Il est difficile de répondre autre chose que non.
L’Etat social actif, qui considère les jeunes comme déresponsabilisés, désactivés si ce n’est désocialisés, constitue, dans les pratiques qu’il inspire ou qu’il impose, la négation même de ce à quoi nous avons assisté ce matin.

Une première question de poursuite peut s’en déduire : à quand une action communautaire généralisée de tout le secteur de l’AJ, qui, appuyé sur ses succès, nous venons d’en avoir la démonstration, interrogerait les logiques régionales et fédérales de soi-disant accompagnement de jeunes désormais considérés comme déresponsabilisés, désactivés ?

L’existence de l’association est-elle le signe d’un échec ?

Nous avons entendu cette question tout à l’heure. En invitant à éviter toute tentation de flagellation complaisante, je voudrais plaider l’inverse.
En rappelant, comme le Ministre Madrane l’a fait, les composantes de la mobilisation associative qui s’est exposée devant nous : la libre initiative, le combat contre le paupérisme, le combat pour l’accès à l’éducation, nous retrouvons un héritage bien particulier. Ce sont en effet les termes mêmes du programme des prolétariens pendant La Commune de Paris, tel que l’a élaboré Pierre Denis.
La poursuite de ce programme, à travers les luttes des mouvements ouvriers, a donné naissance à l’Etat-Providence et personnellement je ne dirais pas que nous devons assister à sa décomposition si ce n’est l’accepter, voire y contribuer, mais bien que nous devons nous mobiliser pour son développement et son progrès.
Pour Robert Castel, ce progrès ne consistait pas à réduire l’assistance qu’il permet, mais à faire en sorte que l’Etat descende jusqu’à l’individu, pour pouvoir lui fournir les supports qu’il mérite pour se construire, précisément, comme individu - nous dirons comme sujet.

Donc l’existence d’associations comme Abaka ne signe pas un échec mais incarne une tentative parmi d’autres, je l’espère, pour inventer une autre forme d’Etat de solidarité, de responsabilité collective par rapport aux inégalités que subit aujourd’hui la jeunesse.

Le patron des Métallos FGTB, Nico Cué, a appelé tout dernièrement à une alliance avec le secteur associatif et c’est la 2ème question de « début de quelque chose » que je souhaiterais poser :
ne sommes-nous pas d’accord pour reconnaître, dans les conflits du travail ou dans des conflits que subissent ceux qui en sont privés également, une question de subjectivation, question qui nous mobilise précisément dans le secteur de l’aide à la jeunesse ?
En effet, aujourd’hui, dans le monde du travail, l’exploitation passe par l’implication obligée , la rupture du lien (combien d’entreprises ne se sentent plus liées par rien, aucune promesse (faite au moment de l’installation), aucune relation durable avec leur personnel ?) : ne sont-ce pas des termes que nous avons entendus ce matin ?
Peut-être ne serait-il pas aberrant de voir là le terreau d’une alliance inédite possible et le retour d’un mouvement social que personnellement je ne peux qu’appeler de mes voeux (Pour un développement de ce thème, voir C. Mahy et J. Blairon, « Vers un front social beaucoup plus large ? », Intermag, 2014, www.intermag.be/analyses-et-etudes/lien-champ-associatif-institutions/482-vers-un-front-social-beaucoup-plus-large.).

Différence et complémentarité

Ma troisième question de « poursuite » part de l’interrogation « Est-ce qu’Abaka est différent des autres ? » La question est difficile.
Un des aspects les plus intéressants dans leur travail à mes yeux est l’usage du « double référent » ; cette pratique permet que deux porte-parole - celui du jeune et celui de la famille - rendent possible la restauration d’un espace de dialogue, que j’aurais tendance à qualifier d’espace de transaction.
La sociologie des transactions reconnaît que les lignes dans un conflit peuvent bouger, que l’issue vécue comme probable n’est pas d’office inéluctable. Une rupture du jeune et de sa famille devient ainsi une rupture provisoire, puis une autre façon de vivre les liens ; un problème inter-personnel est retraduit en réflexion personnelle, par exemple par le jeune ; la dimension matérielle d’un problème devient aussi une dimension immatérielle et inversement...

On pourrait décrire (j’en pose l’hypothèse) les actions qui ont été exposées comme la mise en oeuvre d’une capacité à nouer des transactions, aptes à faire bouger les lignes dans une situation, dans un conflit. Si cette lecture est possible, une question surgit pour cette association non mandatée, puisque c’est précisément la manière dont l’équipe de RTA a été conduite à décrire le travail des services publics dans l’Aide à la jeunesse, lorsqu’ils sont confrontés à des situations de danger. L’évaluation active de ces situations passe en effet par une capacité de ces agents (SAJ/SPJ) à réouvrir un espace de transaction (Cf. par exemple cette description de la manière de « faire bouger les lignes » dans la recherche d’un accord lire ici).
Les agents de ces services publics sont certes bien différents dans leurs rôles et leurs pratiques que les travailleurs du milieu ouvert, mais ne peut-on aussi décrire en quoi ils sont semblables des travailleurs de l’association ?
A quand, dès lors, une histoire du secteur AJ où on pourrait combiner la manière de parler des différences et la façon de dire l’appartenance ? Il y a une tentation, pour nous tous, de dire qu’on ne fait pas comme les autres, qu’on se distingue des autres et qu’on ne réussit à être ce qu’on est que parce qu’on est les seuls à l’être ? Mais n’est-ce pas un piège ?
Au moins en partie, nos réussites ne sont-elles pas aussi permises par les effets et les traces des échecs des partenaires ? Et inversement, nos échecs ne sont-ils pas, ne préparent-ils pas de temps en temps, nous l’espérons, les réussites d’autres ?
Ce qui marche dans l’association qui nous a été présentée, c’est qu’elle est hybride et complémentaire - et complémentaire de ce qui n’est pas hybride, de ce qui l’est moins, de ce qui l’est autrement.
La troisième suggestion/incitation que m’inspirent nos travaux, c’est qu’on s’attelle à écrire une histoire du secteur qui ne soit pas totalement structurée par les stratégies de distinction.

Subjectivation ou estime de soi ?

La quatrième idée de poursuite est la plus difficile à expliquer brièvement ; c’est un commentaire sur le terme de « subjectivation ».
C’est un thème central dans l’Aide à la Jeunesse, qui reconnaît à chaque jeune en danger ou en difficulté un droit à une aide où il est considéré comme un sujet de l’intervention : l’article 2 du code de déontologie l’explicite fermement : « Le bénéficiaire doit rester sujet de l’intervention ».

Thème central, mais peut-être insuffisamment réfléchi ou précisé.

A ce sujet, je voudrais avancer que je suis insatisfait par la traduction du terme de subjectivation en matière d’estime de soi ou de reconnaissance. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas, c’est bien sûr présent, mais est-ce qu’on est sûr que ce soit le tout de la chose ?
Je vois en tout cas plusieurs dangers à une équivalence des deux termes trop rapidement admise.
D’abord un danger que je présente cyniquement en disant que pour certains on va leur permettre de travailler l’estime de soi et puis rien d’autre ! Par exemple, on a vu apparaître en Région Wallonne la catégorie des personnes « temporairement non orientables » ; il n’est pas totalement impossible qu’elles ne deviennent celles pour qui on ne cherchera plus désormais un travail (que l’on va « sortir » de l’enjeu d’intégration). On risque de travailler avec eux la reconnaissance malgré tout, mais surtout malgré le reste. La subjectivation implique une liberté de construire son existence, ce qui est tout autre chose.

Je pense que la subjectivation c’est aussi, je n’ai pas dit que c’était à la place de, mais c’est aussi le travail d’un certain nombre - c’est un terme d’Alain Touraine - le travail d’un certain nombre de décalages par rapport à ses appartenances, ses ressources, ses projets, à un état d’identité à un moment donné. La subjectivation, c’est aussi la possibilité de se définir comme un individu porteur de droits et donc comme un individu porteur du combat pour que la société soit porteuse de droits pour tous.
Ce n’est pas tout à fait la même chose, c’est le moins que l’on puisse dire, que l’estime de soi. Je pense que l’équipe d’Abaka, à juste titre, a mis le terme « créer » ou « se créer » en avant, y compris en faisant appel à toutes formes de créations pertinentes. Je crois que le travail de subjectivation auquel elle procède, au moins en partie, c’est de renforcer la capacité du jeune de se décaler lorsque ces décalages se dérèglent, c’est-à-dire lorsqu’ils sont trop importants, ou lorsqu’ils se grippent, ou se crispent.
Si ce n’était pas tout à fait faux, nous pourrions retrouver là un écho des réflexions de Michel Wieviorka qui lie les questions de violence et de délinquance à des difficultés de subjectivation ; certains n’ont d’autre choix, parce qu’ils sont devenus des sujets flottants ou parce qu’ils sont tentés de devenir ce qu’il appelle des hyper-sujets, c’est-à-dire des sujets qui adoptent un sens plein et entier, une religion quelle qu’elle soit, et qu’ils se sentent désormais l’obligation d’en devenir les petits soldats. (Cf. le carnet que nous avons consacré à ce travail, Intermag, Carnets, www.intermag.be/michel-wieviorka-subjectivation-et-violence)
Cette perspective nous donnerait une image, une représentation de la prévention comme étant liée intrinsèquement à des questions sociétales.
Nous vivons aujourd’hui dans une actualité de combat contre le terrorisme ; je pense que nous sommes bien placés pour dire que ce terrorisme dans lequel sont supposés verser « certains jeunes », est - je ne tiens pas à l’excuser - trop souvent la conséquence d’une subjectivation contrariée, qu’il est le fait au moins dans certains cas de sujets flottants ou d’hypers sujets.
Si c’était vrai, je pense que le Ministre a dit à juste titre que l’AJ évidemment ne peut pas tout résoudre, mais cela nous conduirait à poser une dernière question de poursuite : comment faire pour que chacun ne reste pas dans son secteur, dans son coin ?
Notre secteur n’aurait-il pas intérêt à se sentir solidaire, en termes de combat pour la subjectivation, avec tous ceux qui, dans le monde du travail, dans le monde de la culture, dans le monde social, se mobilisent pour l’universalité des droits ?

 

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CapvidSlam de Hugo

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2YounessMernissi

 RMvid.jpgLe fait de parler du mal être m'a rappelé un texte. Alors je vous rassure tout de suite, c'était il y a longtemps, je vais mieux. Dans le texte clairement je fais référence au suicide, mais ce n'était pas le suicide au sens propre, c'était métaphorique, c'était la mort d'une partie de moi-même, qui m'empêchait d'avancer, qui m'empêchait d'être bien, et c'était vraiment comme ça que je l'envisageais.

 


« Je suis sur la corde raide.
Pendant que je l'ai au bout du fil et qu'elle déballe des Tout s'arrangera, tu verras, je vois que rien ne va depuis le début du film.
Je devais avoir le premier rôle, je n'ai eu que celui de figurant.
J'ai balayé le désert et imploré le diable, je ne vois plus trop l'intérêt de tout ça. C'est sûr que j'ai fait des mauvais choix, et si un jour je m'en vais choir
je sais qui sera là pour me tendre le mouchoir et pour me relever.
Je ne vous oublie pas les gars, c'est juste que la proéminence de ma tristesse me fait oublier ma chance.
À ne pas utiliser mon cœur, je crains qu'il ne faille l'amputer.
Et ce qui m'énerve ce n'est pas tant que mon cœur s'arrête mais le fait qu'il ne batte plus pour toi.
Moi il irriguait juste mon sang. Toi il t'aimait plus que ces organes mais je m'éloigne.
Je vide un sac sans fond plein de frustrations.
Je n'ai jamais été bien et là je l'ai écrit, Youness plongé dans ses prostrations. J'ai décidé de crever. Ce monde m’écœure, je souffre comme je ris.
Ce que tu lis c'est parce que je n'arrive pas à le crier que je l'écris.
J'ai des idées de me faire du mal pour qu'on ne m'en fasse plus, tout en murmurant par moment des Ne t'inquiète pas pour qu'elle ne s'en fasse plus.
Je n'essaye plus de colmater les plaies ou de plaire, c'est peine perdue.
Je pleure encore comme quand j'ai perdu mon père.
Je ne veux plus pleurer, ça me perturbe.
Moi je voulais juste faire rire, et on m'a cantonné à ce rôle.
Moi je voulais juste qu'on m'aime et j'ai fait ce qu'on attendait de moi même quand je ne trouvais pas ça drôle.
Vingt printemps sont passés.
À trop écouter les autres je suis devenu un peu tout le monde, mais j'ai oublié de devenir moi.
Sur ta page j'ai dessiné des mots. Et j'ai essayé de les colorier avec des émotions mais je n'avais que du noir.
Va mettre de la joie avec cette couleur, c'est vrai, va mettre de la joie avec du noir.
Depuis le début c'est ce que je veux, qu'elle admette que mon mal être dépasse ma lettre et qu'elle ne peut rien pour moi.
Qu'elle comprenne qu'il y avait trop de mots à dire en trop peu de mots.
C'est la fin d'un chapitre. Et j'avais la ferme intention de changer, à défaut de pouvoir changer l'autre ou pouvoir changer le monde mais tout ça c'est trop lourd pour mes petites épaules et pour cette nuque qui se plaint de ce corps, et qui comble du paradoxe, demande le divorce en lui mettant la corde au cou. Moi je cesse de geindre mais j'entends des pleurs autour.
Si j'avais dit au-revoir je ne serais pas parti.
PS : Je pensais qu'en faisant rire on se faisait des potes, mais on se constitue juste un public, rien de plus. Votre clown triste ».

 

    Présentation des intervenants               

 

Introduction

Rachid Madrane

Abaka, Abaki, Abakoi ? - Alain Barbason

Jacqueline Maun

Première partie : De toit...

Présentation du travail mené à Abaka par Annelise Reiter, Jessica D'Hainaut et Marie-Hélène-Vilaceque

Capsule video « La recherche d'un toit »
Acte 1: planter le décor, quitter un toit

Capsule video « Le travail familial »
Acte 2: écrire le scénario, chercher un toit

Acte 3: créer son personnage, faire face à la difficulté d'habiter

Réactions des intervenants

Deuxième partie : ...à toi

Présentation du travail d'Abaka avec Annelise Reiter et Audrey Arcq

Capsule video « Le travail collectif »

Capsule video « L'autre toi, le travail du lien » - De toi... à toi - Audrey Arcq

Réactions des intervenants et du public

Conclusions

Jean Blairon

Clip vidéo « Hugo »

Youness Mernissi

Crédits
carnet

Rédaction
Chantal Calonne
Jean-Pol Cavillot
Reportages vidéo
Ludovic Bouchat
Jean-Pol Cavillot
Captation colloque
Ludovic Bouchat
Montage extraits vidéo
Roxane Haegenars
Montage Internet
Caroline Garzón