Aux confins du confinement

Par Jacqueline Fastrès et François Debatty

 

Dans un premier Carnet Les services résidentiels au moment du confinement : un outil réflexif, nous avons suivi, avec le SRG l'Aubépine, les péripéties vécues par un service d'hébergement tout au long du confinement.

Début juin. Depuis quelques temps, on « déconfine ». Avec ce néologisme1 créé à l’occasion de cette pandémie, c’est une nouvelle tranche de vie entre-deux, ni tout-à-fait dedans, ni tout-à-fait dehors qui commence, ce moment indéfini, qui s’est mis à exister sui generis, et que tout le monde s’est déjà approprié. A cette occasion, nous avons souhaité proposer une réflexion sur ce qu’il y a peut-être à retirer de la période « confinement » pour qu’elle n’ait pas été qu’une parenthèse pénible où on n’aurait fait que « gérer ».

Nous entamerons cette réflexion avec un détour par les travaux de Jacques Ardoino. A quelques semaines d’un autre choc mondial (les attentats du 11 septembre 2001), il présentait, dans un colloque, l’importance, dans la pédagogie et le développement des apprentissages, de différencier étonnement et surprise2. Loin d’être une réflexion linguistique théorique, cet apport est au contraire une base de réflexion pour l’action éducative.

Dans une seconde partie, François Debatty, directeur du SRG l’Aubépine, développera les observations positives de l’évolution des jeunes, des familles, de l’équipe, à la suite des actions mises en place pendant le confinement et souvent basées sur l’imprévu, l’irrationnel et le surprenant.

 

Notes

1-Comme le fait remarquer le lexicographe Alain Grey, spécialiste d’Emile Littré. Cf. « Petit abécédaire des mots qui nous assaillent en temps de pandémie », propos recueillis par Valérie Marin La Meslée, https://www.lepoint.fr/societe/petit-abecedaire-des-mots-qui-nous-assaillent-en-temps-de-pandemie-18-04-2020-2371947_23.php, publié le 18/4/20 (consulté le 7/6/20).

2-Jacques Ardoino, « Discernement entre pédagogie de l’étonnement et pédagogique de la surprise ? » Colloque AFIRSE de Pau (Formations initiales et continues au regard des recherches de la philosophie de l’éducation), avril 2002.

 

 

Pour différencier étonnement et surprise, Ardoino se base sur l’étymologie des termes1.

« Etonner vient du latin tonare, tonner, extonare ; c’est, littéralement, l’effet du tonnerre sur notre sensibilité. On y est comme frappé de stupeur. Admiration, stupeur, stupéfaction, ébahissement, nous ne sommes pas très éloignés de la fascination, de l’hypnose, effets que nous attribuerons à une supposée transcendance, fut-ce- celle de chefs d’œuvre, mais qui ne doivent pas faire oublier les risques plus terre à terre de domination. En tout cas, ce ne seront certainement pas les conditions idéales ou optimales de l’esprit critique que nous y retrouverons.

Surprendre est un composé français de prendre (sur-prendre) signifiant : 1° action par laquelle on prend, ou on est pris, à l’improviste ; 2° action d’attaquer à l’improviste ; 3° artifice par lequel on obtient quelque chose en s’adressant à quelqu’un à l’improviste ; 4° émotion, état de celui qui est surpris ; 5° ce qui surprend, chose inattendue ; 6° plaisir ou cadeau fait à quelqu’un, de manière à le surprendre agréablement (Le Robert). »2

Certes, on peut voir des ressemblances, des sens communs aux deux termes, liés aux émotions, à ce qui est ressenti, subi, éprouvé. On pourrait paresseusement les décréter synonymes.3

Mais Ardoino leur trouve des différences irréductibles, qui ont toutes leur importance dès qu’il s’agit de leur impact sur la relation éducative.

 

L’étonnement

« L’étonnement est un état psychologique provoqué par des phénomènes inattendus, que l’on reste incapable d’expliquer, ou, plus simplement, de reconnaître. »

L’étonnement se réfère donc à quelque chose qui vous tombe dessus, cause un choc, qu’il soit positif ou négatif. Ce qui arrive nous ébranle parce qu’il renvoie aux limites qui sont les nôtres : il y a rupture brutale par rapport au connu, au maîtrisé, au prévisible, à l’anticipé, au routinier, au rassurant, qui nous laisse bras ballants, fragilisés, perdus dans la comparaison entre un connu et un inconnu.

« Ce qui provoque l’étonnement, peut être une chose, un son (celui du tonnerre ou la luminosité de l’éclair) mais n’est pas forcément personnalisé, subjectivisé pour autant, notamment parce qu’il est dépourvu d’intentionnalité. » Il n’y a pas d’autre en face, il y a autre chose.

« L’autre de l’étonnement, à la limite, c’est la nature, qui est bien la première expérience humaine de l’altérité, du fait de l’incommensurabilité des forces mobilisées par celle-ci, opposant, mais de façon impavide, indifférente, sans désirs ni stratégies, des limites au sujet (un des sens profonds de l’autre en tant que valeur : l’expérience des limites rencontrée par chaque subjectivité). »

L’autre est ici « abstrait, épistémique, universel, mais évidement dépourvu, dans ces conditions, d’intentionnalité, de volonté, de désirs, propres, particuliers, singuliers. »

 

La surprise

Pour Ardoino, « il subsiste dans la surprise quelque chose d’irréductiblement différent, parce que non nécessairement contenu dans « l’étonnement », c’est-à-dire la relation concrète, vivante, bien marquée entre le sujet et l’autre. La surprise est impensable sans altérité explicite. La construction du terme surprise implique l’action, fonction, elle même de l’autre humain, co-présent dans la situation, au moins autant que l’état, et de ce seul fait, suppose l’interaction. »

Là où l’étonnement est provoqué par quelque chose de dépourvu d’intentionnalité, « l’intelligence de la surprise est toujours plus ou moins phénoménologique (…) Il y a jeu, conflit, entre plusieurs consciences. ». On se heurte à l’autre humain, « désirant, sensible, pulsionnel et ré-pulsionnel, stratégique, calculateur », qu’il s’agit de prendre en compte. L’autre est alors « hétérogène et non plus seulement différent (qui peut marquer la distinction sans sortir du même) ».

Par toutes ses caractéristiques essentielles, l’étonnement reste pur. « Je suis étonné, incontestablement ému, peut-être bouleversé, mais mon identité reste encore relativement intacte. Je suis affecté, mais non encore vraiment altéré. La surprise introduit l’idée de mélange, avec la prise de conscience de la réalité de l’autre. Au delà du choc initial, s’ouvrent, désormais, des possibilités d’hybridation et de métissage (...). Création, transformation, changement, s’entrevoient possibles à partir de la reconnaissance d’un pluriel longtemps répudié, refusé, qui se trouvait, par ailleurs, refusé, nié, au nom d’une éternité et d’un ordre rassurants. (…) L’altération, action plus qu’état, comme dans altérité, s’y révèle profondément heuristique quand il s’agit de transformation ou de « modification » (Michel Butor). »

Là où l’on est affecté par l’étonnement (touché, bouleversé, empêché, autrement dit tourné vers l’intérieur), on est altéré par la surprise (transformé, rendu autre, mis hors de soi, tourné vers l’extérieur).

« Psychologiquement, psychosociologiquement et sociologiquement, je suis altéré (et lui, de son côté) quand l’autre m’influence, quand il m’apporte ou quand je lui prends, quand nos idées respectives s’entrecroisent, s’opposent, se combattent, se confrontent, à travers les échanges, les rencontres, au cœur même des situations et des pratiques. Il n’y a proprement, là, métissage culturel, ni fusion, ni synthèse, ni assimilation, ni intégration, mais pluriel à la faveur duquel, c’est, chaque fois, et pour chacun, l’autre qui pose des limites aux fantasmes de « toute puissance », voire de solipsisme ou d’autosuffisance. »

Là où l’étonnement demande une explication, la surprise convoque l’implication. « Nos identités s’élaborent ainsi, plus encore qu’elles ne se construisent, autant, sinon plus, à partir de l’autre, des autres, que de nous mêmes. Cette « expérience des limites » est l’une des conditions les plus fondamentales d’une formation personnelle, effectivement soucieuse du cheminement propre accompli par chaque sujet, pris, ici, dans sa particularité et sa singularité, c’est à dire dans son histoire et dans son vécu, avec ses caprices, ses aléas et sa fantaisie, et non seulement représenté en fonction de trajectoires modélisées et rationalisées d’un être humain ontologique et universel. »

 

Tableau récapitulatif

 

 

 

Etonnement

 

Surprise

 

Statut

 

Etat psychologique

 

Action/Interaction

 

Déclencheur

 

Une chose dépourvue d’intentionnalité

 

Un conflit entre plusieurs consciences,
une altérité explicite

 

Le choc

 

Le nouveau
le différent

 

l’autre humain l’hétérogène

 

L’autre

 

Abstrait, universel « la nature »
(y compris humaine)

 

Concret, spécifique « l’humain »
dans sa trajectoire hic et nunc

 

Conséquence

 

On est affecté

 

On est altéré

 

Réaction

 

Explication

 

Implication

 

Covid19 : l’étonnement majeur

L’article d’Ardoino, écrit quelques mois après le 11 septembre 2001, paraît fort actuel à plus de 10 semaines du sauve-qui-peut général du 17 mars 2020, qui nous a tous jetés précipitamment sur les routes pour rejoindre nos domiciles où nous avons vécu terrés, rivés à nos écrans, professionnels et médiatiques, en état de sidération. C’est bien un terrible étonnement qui s’est emparé de nous tous : nous avions entendu parler (nous en entendions parler tous les soirs aux infos) de ce virus qui nous a fait découvrir une ville chinoise inconnue de beaucoup d’entre nous, bien qu’étant une mégalopole aussi peuplée que la Belgique. Mais c’était loin. Et nous nous sentions en sécurité, à l’autre bout du monde. Ces choses-là, ça n’arrive qu’aux autres. Ces autres dont nous ne nous préoccupons guère, ces autres que nous préférons voir différents plutôt qu’hétérogènes. Ces autres auxquels nous ne nous frottons pas, entités un peu abstraites. 11 millions d’habitants, une entité abstraite. Statistique.

Et bien que le danger se rapprochait, nous n’arrivions pas à y croire. La vague enflait, arrivait en Europe, remontait depuis l’Italie, et nous n’y croyions toujours pas. Ce virus, ce quelque chose dépourvu d’intentionnalité, anesthésiait nos capacités critiques.

Et ça nous est tombé dessus. Dans pandémie il y a « pan !». Ce coup de fusil que nous nous sommes tous pris en pleine figure, avec la déclaration du conseil national de sécurité : confinement ! Et sauve-qui-peut, bureaux abandonnés, calendriers bloqués sur la date fatidique, et rues désertes.

Dans tous les secteurs, nous avons vécu l’expérience de cette terrible limite : ne pas être capables de réagir, si ce n’est d’agir tout court. Ne pas savoir quoi faire. Sauf que certains secteurs n’ont pas eu d’autre choix que d’être sur le pont, tout de suite. De faire quelque chose, parce qu’en face l’autre humain nécessitait qu’on le fasse.

Il a fallu du temps pour que les effets de la foudre s’estompent, nous permettant de nous ébrouer. Maladroitement bien souvent. Pas capables de penser autrement qu’avant mais plus capables d’agir comme avant. Avec des balises et des principes qui nous guidaient depuis longtemps, soudain inopérants, incongrus, inutiles, voire contreproductifs. Des principes et des balises qui continuaient à courir sur l’ère, comme des paquebots qui n’arrivent pas à s’arrêter, quittes à se prendre l’iceberg, pourtant annoncé. Nous laissant une seconde fois sidérés : que faire quand ce qui était réputé marcher ne marche plus, est déstabilisé, rendu impossible ? Se contenter, comme Fernand Deligny le dénonçait déjà, de « la solution unique et tragique qui s’impose faute de mobilité » ? Se contenter de regarder « le reste du monde qui s’en va à la dérive sans qu’on fasse un geste pour sauter sur ce qui tourne »4 ?

Alors, peut-être, ne reste-t-il que la surprise ? L’acceptation de prendre les choses comme elles sont ? Les gens comme ils sont, là où ils sont ? Sauter sur ce qui tourne ? Sauter sur l’occasion ?

La surprise serait-elle l’antidote à l’étonnement, en permettant « une onde, un frémissement un mouvement léger à peine perceptible qui est un immense soulagement car il suffit à me faire basculer dans un mouvement retrouvé et le monde vivant qui m’attend. (…) Ce premier geste balbutié est une clef qui m’ouvre toutes les circonstances qui m’attendent et non une petite lucarne sur moi-même. »5

 

Notes

1-Ardoino a choisi le Robert pour asseoir ses définitions. Pour notre part, nous y préférons le Littré, plus complet et plus documenté.

2-Jacques Ardoino, « Discernement entre pédagogie de l’étonnement et pédagogique de la surprise ? » Colloque AFIRSE de Pau (Formations initiales et continues au regard des recherches de la philosophie de l’éducation), avril 2002. Dans la suite du texte, les citations d’Ardoino concerneront toutes cet article.

3-Le Littré nuance cependant : « La surprise est ce qui saisit à l’improviste ; l’étonnement est ce qui étourdit, crée un ébranlement moral. Par conséquent, la surprise est plus faible que l’étonnement ; on peut être surpris sans être étonné. La surprise est aussi autre chose que l’étonnement : être surpris c’est voir ce à quoi on ne s’attendait pas ; être étonné, c’est en recevoir un certain coup qui arrête et ébranle. »

4-Fernand Deligny, Graine de crapule, suivi de Les vagabonds efficaces, Paris, Dunod, p 205.

5-Idem, Ibidem.

 

Cette période « Covid » a mis en lumière et en évidence les opportunités et les limites du modèle de fonctionnement de notre société organisée par des plannings, des prévisions, des objectifs à atteindre, des procédures, des directives… En d’autres mots, une logique rationnelle et instrumentale dont :

  • le rythme et les effets ont été malmenés par l’« étonnement Covid »,
  • les actions et réactions ont soutenu et permis la lutte collective contre le virus,
  • les actions et réactions m’ont aussi semblé, parfois, éloignés des rythmes et besoins humains.

Au-delà de notre modèle organisationnel et de sa façon de réagir à une crise inattendue, cette dernière a aussi mis en évidence les échecs, les erreurs, les manques, les inégalités et leurs renforcements, criants et faisant partie de notre modèle de société actuel.

Je ne veux pas négliger ces échecs, ces erreurs, les améliorations possibles et nécessaires, la mise en évidence des inégalités vécues, produites et renforcées ni les causes, les résultats et les questions posées par cette période.

Je ne veux pas non plus m’emparer de ce virus et de l’état de siège dans lequel il nous a placés pour crier plus fort qu’avant « qu’il nous faut plus de moyens pour faire encore un peu plus de la même chose que ce qu’on n’arrivait pas déjà à bien faire avant ».

Non, je voudrais simplement que ce virus nous donne l’idée de valoriser et d’investir justement dans le secteur à profit social dans son ensemble, et à mon niveau dans l’aide à la Jeunesse en particulier, mais ceci pour permettre un travail de qualité qui ne soit pas « comme celui d’avant », mais qui soit bien « un travail d’aide à la jeunesse actualisé, qui tienne compte des apprentissages de la crise Covid19 et des avis « 2020 » des jeunes, des familles, des équipes ».

En d’autres mots : utiliser le fait qu’on a « s.u.r.v.i » (-survécu-) au « v.i.r.u.s » pour ne pas attendre un prochain cataclysme pour mettre en question, clairement et qualitativement, notre travail d’aide et de protection de la jeunesse.

Un travail d’aide à la jeunesse qui se donne les moyens de se voir autrement, et plus particulièrement un hébergement qui se donne la possibilité d’être un réel outil appartenant aux familles et aux jeunes et de conjuguer, pour tous les jeunes, deux dimensions fondamentales pour qu’un hébergement puisse prétendre aider un jeune : l’éloignement du milieu familial conçu par les adultes et le jeune comme une opportunité, même minimale ET la collaboration entre les adultes : parents et équipes du réseau d’aide, même minimale.

Un hébergement ne réunissant pas ces deux dimensions-là pose, particulièrement lorsqu’un virus nous oblige à « nous confiner en sécurité là où nous sommes censés être en sécurité sans le vivre comme une opportunité portée ensemble », des questions auxquelles il m’apparaît complexe de répondre sans malmener, d’une façon ou l’autre, le droit du jeune et des familles.

Mais l’idée générale de ce carnet sera, plutôt et pour s’emparer d’abord des apprentissages et idées surprenantes générés par cet état d’étonnement, de prendre aussi le temps de se poser la question des occasions de réussites liées à cette période inédite et particulière, précisément par sa composante « imprévue, imprévisible et irrationnelle »…

Je voudrais proposer de prendre le temps de ce carnet pour mettre à l’honneur, aidé par les observations synthétisées dans l’outil « structure croisée édité au 05 Juin 2020 », le côté «  clair » de la force – covid, car 2 observations m’y invitent : les paroles positives, les belles idées, les avis et les énergies incroyables des jeunes, des familles et des équipes pendant cette période d’une part ; l’observation de la qualité des « changements produits potentiels » par cette période sur les cheminements dans les points de vue et dans les actions pratico-pratiques des jeunes, mais aussi sur ceux des familles et des équipes…

Simplement, et de mon point de vue de directeur d’un SRG, en partant du postulat suivant : une période imprévue et imprévisible, parce qu’elle nous place de fait et sans contestation possible, dans un fonctionnement « hors des radars des prévisions, stratégies et autres implémentations méthodiques et rationnelles », doit produire des impacts qui, eux aussi, peuvent s’avérer en dehors de ce qu’on aurait prévu dans un contexte « prévisible » ou conforme à « ce que nous avons l’habitude de vivre ».

Comme une route barrée par des travaux nous amène, en partant travailler le matin, à vivre et rencontrer des choses pas prévues en quittant notre domicile (être en retard, être énervé, devoir chercher et trouver un autre chemin, voir d’autres paysages, respirer d’autres odeurs, etc., etc.), la période COVID, que nous le voulions ou non, a dû avoir des effets aussi imprévus qu’imprévisibles.

Tentons, dans ce carnet, de nous arrêter sur la face positive, les réussites et autres bonnes idées, de ces imprévisions ; de sorte à en faire, pourquoi pas, le ferment d’une actualisation de l’aide avec hébergement qui souhaite tenir compte, au mieux qu’elle peut, de ses limites, de ses opportunités, des bonnes idées des jeunes, des familles, des équipes, et des chemins alternatifs d’accompagnement dessinés par l’imprévisibilité du contexte Covid.

Pour ne rien vous cacher, le modèle « moins habituel » ou « hors des plans et matrices dictés par certains champs de la connaissance ou du pouvoir, et moins par d’autres » m’intéresse particulièrement, en tant que personne et aussi en tant que directeur de SRG.

A l’Aubépine, lorsque nous le pouvons et en parallèle avec d’autres registres de fonctionnement collectif, nous essayons de laisser la possibilité aux choses d’arriver « par surprise également », parce que parfois, ce sont ces dimensions-là qui dominent toutes les prévisions, recommandations et autres dispositions réglementaires, étudiées ou préconisées.

Par exemple :

  • se lancer dans un projet sur base d’une idée motivante concrète, sans savoir d’emblée où cela nous mènera ou si cela est argumentable et incontestable de tous les côtés ;
  • suivre l’intuition d’un jeune, de l’équipe, d’une famille relativement à la direction du projet d’un jeune, quitte à se tromper pour pouvoir ensuite mieux accompagner ce jeune ;
  • organiser une fête à l’extérieur sans compter sur les prévisions météo de Google mais aussi sur le fait que ça se passera bien et au soleil dans tous les cas ;
  • s’investir en temps et en moyens, sans compter ou prédire, dans divers projets toujours reliés aux besoins des jeunes, en comptant sur « la magie » des rencontres, idées et actions collectives pour réguler l’investissement intuitif réalisé au départ par les qualités produites au fil du temps par les « rendus divers et exponentiels de l’investissement flou de départ » ;
  • ouvrir les portes d’une institution dont l’essence est la protection, la sécurité, l’éloignement des risques… et compter sur les surprises et l’imprévu s’engouffrant par les « autres » passant cette porte ouverte pour améliorer l’énergie collective, la modifier, l’alimenter… ;
  • etc.

Ce sont des exemples, en vrac, d’actions collectives menées par l’équipe qui ne sont pas, de façon assumée, uniquement prédites, planifiées et censées produire un résultat attendu déterminé.

Comment expliquer, effectivement et durablement, un changement familial soutenable pour un jeune, un projet de vie se dessinant avec talent, un projet prenant forme sur base d’énergies divergentes qui se relient, une fête réussie ou n’importe quelle action individuelle ou collective positive sans tenir compte que, quelque part au milieu des prévisions, plannings, stratégies et autres analyses, s’est glissé quelque chose de l’ordre du hasard, de l’énergie, de la nature, du ressenti… en d’autres mots, de la « surprise ».

Et pourquoi ne pas l’assumer un peu plus, un peu mieux, ou au moins déjà un tout petit peu ?

A l’école, à la haute école, à l’université, y a-t-il une place suffisante laissée à « la surprise » ?

Je ne le pense pas.

Et pourtant, bien malin celui qui pourra, même bardé de diplômes nombreux et d’expériences pratiques multiples, m’expliquer de A à Z l’histoire de la poule et de son œuf, celle de l’humain et de l’univers, celle de la genèse des idées ou celle de quoi que ce soit de vivant, sans se retrancher à un moment ou l’autre, si petit soit-il, derrière l’argument « magique », « intuitif », « spirituel », inexplicable par des prévisions, des objectifs et des résultats attendus… Une part de surprise, inexplicable, constitue notre monde et la vie qui s’y déploie.

Il est vrai que l’école nous permet de suivre des formations relatives à la citoyenneté, à la philosophie, aux religions et à toutes ces matières qui dépendent des humains et de leurs accords collectifs ou plus ou moins collectifs pour expliquer ce qu’ils vivent. Mais qu’en est-il des autres cours, ceux d’économie, de mathématiques, de français, de sport, de dessin, de langues… Prévoient-ils, dans leurs nombreux modèles explicatifs rationnels, de faire du champ de la surprise et de l’imprévisible une des composantes indéniables de leurs explications ? J’ai sans doute manqué d’assiduité à l’ensemble des cours que j’ai, peu attentivement, suivis. J’ai une très mauvaise mémoire. Mais je suis sûr d’avoir beaucoup de souvenirs d’adultes qui m’apprennent avec passion que « il n’y a qu’à », « il vous faudra », « il suffit dès lors de », « cqfd », « voilà donc comment on peut expliquer que… », « moi j’ai déjà fait beaucoup donc je sais… », « ça fait 25 ans que je, donc je sais », etc. J’ai bien moins de souvenirs d’adultes qui m’apprennent aussi, en assumant avec passion, que « tout est possible ! », « essayons – sans savoir vraiment le résultat attendu », « ça je ne sais pas, c’est « magique », nul homme ne l’a compris avec certitude et tous les hommes se posent la question, ça fait partie de la vie ».

Oui, Socrate nous disait déjà « Je sais que je ne sais rien », et nous l’avons tous appris à l’école ou en d’autres lieux, mais en avons-nous suffisamment inspiré nos modèles d’explications et de sens ?

N’aurions-nous pas intérêt de commencer, humblement, par mieux assumer cela, pour en tirer, peut-être, de nouvelles façons de construire nos idées et actions ?

Et si la période « COVID » telle que celle que nous venons de traverser et poursuivons d’aplatir, était une opportunité pour ce champ de la surprise de prendre place, en collaboration avec les autres champs d’explications, dans nos modèles d’organisation et de compréhension collectives ?

Ceci dans le sens où chacun, du jour au lendemain et dans le cadre évolutif des directives et mesures collectivement édictées pour lutter contre le virus, a dû également se souvenir de la possibilité de laisser les choses se faire, par nature et par surprise également, sans connaître exactement ni les raisons pour lesquelles les choses étaient faites, ni le résultat précisément produit par ce qui était en train d’être fait, à propos de ce truc dont on ne sait pas exactement ce qu’il est ni sera…

Dans tous les cas, cette période « floue » a été une occasion d’occasions inhabituelles, potentiellement « surprenantes » dans le sens « à impacts ni prévisibles ni souhaités a priori »…

Dans l’optique proposée ci-dessous, je proposerai ici de prendre le temps d’observer, de mon point de vue de directeur de SRG, les impacts observés « positifs, souriants, agréables, inattendus mais portés par le jeune et sa famille », a posteriori, de l’obligation de notre service de fonctionner en « mode surprise », de façon directement reliée à ce foutu virus, et en lien direct et prenant son sens par-là, sur l’accompagnement avec hébergement de mineurs y ayant droit.

Cet exercice visant, par l’utilisation de l’observation de ce que nous avons fait « surpris par ce virus », à soutenir la mise en perspective nécessaire et permanente de notre action collective prétendant lutter contre les inégalités en aidant les jeunes à devenir ceux qu’ils souhaitent malgré les difficultés et avec l’aide d’un éloignement temporaire de leur milieu familial de vie, participatif.

 

Observations des impacts de la période de crise Covid19 (relevées par l’équipe de coordination : François Debatty et Stéphanie Parmentier)

Je propose de fonctionner en énumérant, le plus simplement et clairement possible, les impacts relevés positifs. Je ferai l’effort de ne pas les compléter par des « mais... », « Malgré.... », afin de faire uniquement ce que ce carnet prévoit, à savoir observer les effets imprévus d’un contexte imprévu, positifs du point de vue de la participation des jeunes, des familles, des équipes à la précision de leur dispositif d’aide incluant une mesure d’hébergement.

1. Impact observés chez les jeunes et leurs familles

  • Participations lucides des jeunes et des familles, dans l’urgence du 18 mars, à des projets de « confinement » à inventer avec l’équipe du SRG, rejoignant la direction du dispositif d’aide en cours.
  • Présence des jeunes, mobilisés par la crainte ? par la surprise ? par le défi ? par l’étonnement, sécurisés par l’équipe ? par eux-mêmes ? par leurs familles ? par les « directives » ?, présence pour inventer avec nous le « milieu de confinement » le plus adapté possible à leurs besoins du moment, et conforme au cadre actuel de leurs programmes d’aide.
  • Dans le chef des familles, pas de positions « d’abus du contexte du confinement », qui ne modifie en rien la teneur des mandats consentis ou contraints d’éloignement temporaire du milieu familial.
  • Respect par les jeunes et les familles des nombreuses directives (SRG, école, famille, CNS) pourtant très étonnantes et parfois très « incroyables » si on les regarde avec un regard d’« avant Covid19 ».
  • Positions sujettes des jeunes et des familles, questionnant des adultes n’ayant pas de réponses, si ce n’est celle de faire au mieux que nous pouvons pour rester en bonne santé, bien dans nos baskets et en tentant de garder en tête nos idées et positions, notamment relatives aux droits, également hors santé sanitaire, des jeunes.
  • Appels à l’aide nombreux des jeunes et des familles vers l’équipe.
  • Appels précis de soutiens divers et nombreux.
  • Propositions nombreuses et majoritairement soutenables pour tous, de la part des jeunes et des familles, pour que la période « confinement » soit soutenable, en passant par des allées et venues entre divers lieux de confinement, sans les mettre à mal.
  • Participations des jeunes aux trajectoires scolaires (repli, ouverture, etc.). Disponibilité des jeunes pour reprendre le chemin de l’école quand possible. Participations des familles aux modalités de cours à distance, quelles qu’elles soient.
  • Positionnement du jeune et de la famille dans le dispositif d’aide modifié par le Covid adapté en cours de confinement, avec des demandes observées en fin de confinement de « revoir les termes et modalités de la mesure d’éloignement ».

Plus particulièrement, au niveau des jeunes :

  • Participation des jeunes, demandes de leur part pour « adapter les modalités d’hébergement » en fin de période covid pour « ne pas revenir à la situation d’avant et tenir compte des apprentissages imprévus de cette période imprévue :
    • confirmation avec précision de temps d’hébergement nécessaire en SRG ;
    • consolidation d’un accueil hybride entre hébergement et réseaux d’aide et/ou de soutien ;
    • mise en projet et planification d’un retour en hébergement ;
    • consolidation du réseau d’aide et/ou de soutien ;
    • etc.
  • Les jeunes ont eu des occasions1 qui, nous semble-t-il, ont été condensées, rapprochées, intensifiées par la crise. Un jeune a poussé loin sa passion pour la cuisine : cuisine turque avec notre volontaire européenne confinée, cuisines quotidiennes pour le service, pâtisseries et desserts quotidiens, participation à un atelier cuisine avec un cuistot confiné, accueil de sa maman pour un restaurant gastronomique et distancié dans la yourte durant le confinement, date bloquée pour une nuitée à passer en boulangerie… ; divers jeunes ont crié leurs besoins de vélos, de vêtements de sports, toujours possibles mais souvent moins prioritaires pour eux. Les vélos ont été réparés, achetés, les chaussures de sport ressorties, les jeunes ont activement participé aux tâches extérieures et intérieures (nettoyage, cuisine, hygiène), participation à des chantiers particuliers (Potager, construction de meubles Cocorona, etc.). Une jeune a mobilisé son vélo pour effectuer les trajets SRG-Famille par le ravel seule, un jeune a avancé dans son projet de vie et de passion en se dotant de matériel de sono pour poursuivre son rêve d’organiser une soirée, une jeune a appris, seule, à se retrouver seule en KOT, surprise à ses 18 ans par le virus l’obligeant à vivre loin de l’équipe le passage douloureux vers le monde adulte au milieu des contextes « distancés » nombreux (des CPAS, allocations familiales, etc.) ; des jeunes ont pris le temps correctement de colorier, dessiner, chanter, jouer, etc. ; les jeunes ont rangé leurs chambres, triés leurs habits, etc., etc., ...

 

  • Paroles des jeunes « grâce au confinement… » :
    • « Je me suis rendu compte que je pouvais me débrouiller sans le foyer »
    • « J’ai pu vivre un long moment en famille et me rendre compte que cela me faisait du bien »
    • « Être éloignée de ma sœur physiquement m’a permis d’améliorer mes relations avec elle »
    • « Je me suis rendu compte que les éducateurs me manquaient, j’ai eu peur qu’ils tombent malades »
    • « J’ai pu vivre les mêmes moments en famille que mes frères et sœurs »
    • « J’ai appris à respecter des directives sanitaires »
    • « J’ai compris que l’Aubépine était présente pour moi, même si je n’y était pas physiquement »
    • « J’ai pu vivre une expérience dans une famille »
    • « J’ai pu être entendu dans mes idées et propositions »
    • « J’ai eu plus confiance en moi et j’ai envie d’avancer dans mon projet d’autonomie »
    • « Mes parents ont repris contact avec moi et j’ai pu leur parler calmement »
    • « Je me suis rendu compte que je m’inquiétais de la santé de ma famille et qu’ils étaient importants pour moi »

 

  • Paroles des familles « grâce au confinement… » :
    • « Je vous remercie de nous faire confiance pour prendre soin de mon enfant »
    • « Je me rends compte que l’Aubépine est attentive à notre bien-être et celui de notre enfant durant cette période »
    • « Nous nous sommes rendu compte que vous étiez là pour nous pour nous aider en déposant des jeux, de la nourriture, des idées pour apaiser les tensions, … »
    • « Malgré les fermetures de beaucoup de service d’aide nécessaires, nous avons vu que vous étiez toujours présents et réactifs en cas de problème »
    • « J’ai pu me rendre compte des difficultés d’un retour de mon enfant sur du long terme. Je me remets en question sur ma façon d’agir avec mon enfant »
    • « Moi après ça, je pense que mon enfant ne reviendra pas au SRG, on ne va pas pouvoir laisser cela comme ça »
    • « Dites, comment on va faire avec le déconfinement, il faut qu’on se voie »

 

2. Impacts observés sur l’équipe

  • Sentiment d’avoir été « protégés », entendus dans cette période si particulière.
  • Rester calme grâce aux directives claires du service : protection, bienveillance et permanence de l’accueil. On fait au mieux qu’on peut sans s’énerver. On verra où ça nous mènera.
  • Se rendre compte de l’importance de notre travail.
  • Mobilisations permanentes et différentes des « modèles habituels » : travail en mode « camp » ( = plusieurs journées de suite dans l’institution), travail en mode « hors la loi » ( = plus de 11 h de prestation de suite), travail en « équipes-silos » ( = gestion de la semaine par une équipe, de la semaine d’après par une autre), interventions nombreuses en extérieur au sein des milieux de confinement externes ou hybrides, mobilisation supplémentaire pour soutenir le lien et le travail scolaire, le lien et le travail familial, le lien et le travail thérapeutique, le lien et le travail personnel, projets, idées, etc.
  • Amplification des propositions et actions créatives : jeux, cuisine, ateliers, moments détente, projets, chantiers, constructions, sports, …
  • Sérénité, calme, rapidité et qualité d’adaptation collective aux modalités de travail changeantes, surprenantes et impactant la santé et la sécurité professionnelle et personnelle.
  • Utilisation du moment « surprise », vécu entièrement pour ce qu’il est et ce qu’il permet. Pas de perte de temps à « souhaiter que cela soit fini », « revenir à l’anormal » (sic), etc.
  • Propositions permanentes, créatives, sécures et sereines envers les jeunes et leurs familles.
  • Accords collectifs pour les différentes décisions prises dans le cadre des directives sanitaires/légales/mandatées, parfois sans pouvoir respecter littéralement ces directives, en les interprétant au mieux que nous le pouvions, en tant que nous, SRG Aubépine.
  • Solidarité, bienveillance et respect mutuel des rythmes et positions professionnels, personnels et familiaux légitimement différents pour chacun.e.

 

3. Impacts observés sur nos fonctionnements collectifs « SRG » :

  • Pas de position de « repli sur nous-mêmes, sauve qui peut ça brûle ».
  • Positions d’ouverture.
  • Consolidation des positions d’accueil, d’ouverture des portes et d’expérimentation, même en période de crise.
  • Consolidation du service « SRG », prise de recul sur le sens et les fondements de nos interventions + utilisation de la structure croisée « confinement » et de la structure croisée « débuter une aide avec hébergement », alliant la participation des jeunes et des familles et la qualité de l’aide qui prétend leur être due.
  • Période permettant, bien mieux et bien plus que « d’habitude » ce que nous revendiquons, à savoir essayer, tenter, se tromper, recommencer, avec les jeunes et les familles, sur les fondations de leurs droits, limites, idées et compétences.

 

4. Impacts observés sur nous, coordinatrice et directeur :

  • Nous rendre compte que nous pouvons, en équipe, traverser n’importe quelle crise.
  • Prendre conscience encore plus de l’importance de notre travail au sein de la société.
  • Grâce à cette crise, les compétences des jeunes et des familles ont été mises encore plus en évidence.
  • La mise en lumière des capacités des jeunes, des familles, de l’équipe de s’adapter, de créer, d’innover.
  • Apprécier l’obligation de devoir passer d’un modèle de fonctionnement « prévu et prévoyant même les surprises » à un modèle de fonctionnement « surprenant qui amène des prévisions et des imprévisions ».
  • Préciser et consolider mon point de vue sur le travail d’aide à la jeunesse, sur le travail en général en tant qu’action sensée, que passion, que besoin et nécessité, sur les priorités et dominations de notre société et sur les possibilités et moyens de participer, humblement mais concrètement, aux choix de ces priorités et à la volonté d’être, le moins possible, dominé ou dominant.
  • Passion de participer, en cours de crise, aux nécessaires questionnements collectifs (fédération, services de formation, équipe, secteur, réseau), à tout le moins ceux qui ont été possibles à questionner pratiquement (mail, vidéo-conférence, réunions…).
  • Nous ne souhaitons pas « planifier », prédire, organiser à l’année, parce que nous savons que notre travail change chaque jour, et nous souhaitons ces changements pour les jeunes et les familles ! Mais nous avons vu, avec le Covid, qu’il était aussi possible de mieux « surprendre », de mieux « essayer », de « mieux se tromper ». J’espère que cela nous aura appris à mieux bricoler pour accompagner les jeunes et leurs familles avec qualité.
  • Réelle motivation à réfléchir à des façons de rendre « planifiées et planifiables » des temps « COVID », réguliers, à l’avenir, pour ne plus rester, un temps même un tout petit peu trop long, sans se donner les moyens d’une nouvelle occasion pour un jeune, d’un effet surprenant pour une famille, d’une intervention collective étonnante !

 

Je me disais, avant, que je changerais de boulot le jour où j’aurais l’impression d’enfiler des pantoufles en venant bosser. Je me dis aujourd’hui que le jour où j’aurai des pantoufles, avant de rendre ma démission, je commencerai par m’imaginer qu’un virus nous place en confinement, assuré par les surprises que mes pantoufles pourraient produire, avant de me diriger vers le canapé pour regarder une série...

 

Notes

1-Pour Fernand Deligny, l’éducateur est un pourvoyeur d’occasions qui permettent au jeune de voir le monde et soi-même différemment. « Créateur de circonstances, voilà l’éducateur aux prises avec toutes les inerties. Bon courage. Je lui conseille de se garder un mode d’expression personnel. Ne serait-ce que pour absorber cette petite mousse de délire qui bulle autour de toute action intense.
Lorsque j’étais responsable d’un centre ou d’un pavillon, il m’est arrivé de me sentir compositeur. Il m’est arrivé de confondre collectivité d’enfant et jeu d’orgue. Naissait une musique de révolte ornée d’humour qui formait autour de moi une bulle, un univers où je vivais à l’aise. Escroquerie aux vies confiées. ». Fernand Deligny, Graine de crapule, suivi de Les vagabonds efficaces et autres textes, Paris, Dunod, 2004, p. 212.

 

 


Annexe
Les évolutions des trajectoires des jeunes à l’Aubépine, du 18 mars au 5 juin

 

 

Pour ce nouveau numéro de nos carnets post-confinement, nous proposons de développer une série de controverses relevées par l’Aubépine au long de ses réflexions sur la prise en charge des jeunes en situation de pandémie comme celle que nous sommes toujours occupés à vivre. Dans une première partie, nous contextualiserons la notion de controverse ; la seconde partie regroupe celles pointées par François Debatty, directeur de l’Aubépine.

 

 

Agir dans un monde incertain

Les sociologues de l’innovation, Michel Callon en tête, travaillent depuis longtemps, à l’Ecole Supérieure des Mines de Paris, sur la question des controverses technologiques, et en particulier sur l’utilité de ces controverses pour faire progresser la science. Il y a près de 20 ans, dans leur ouvrage au titre si évocateur « Agir dans un monde incertain », Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthes ont montré tout l’intérêt des controverses et la manière dont elles se déploient et se précisent en se frottant à des acteurs différents, aux points de vue divers, ce qui permet de rapprocher ce qu’ils nomment « la recherche confinée », celle qui se mène dans le strict enclos des laboratoires, et la « recherche de plein air », celle qui inclut des citoyens que la question traitée touche de près ou de loin (associations de familles de malades, etc.). En effet, un certain nombre de problématiques émergentes, du fait même de leur émergence, relèvent plus du registre de l’incertitude (la seule chose dont on est sûr, c’est qu’on ne sait pas grand-chose de la question) que du risque (les données sont suffisamment connues pour permettre un balisage de paramètres du problème et des scénarii de réponses fiables).

Au tout début du déconfinement en France, Callon et Lascoumes, dans un article consacré à « penser l’après » Covid1, mettent en exergue et commentent cette phrase d’Emmanuel Macron, adressée à la télévision aux Français le 14 avril 2020 :

« « Ce soir je partage avec vous ce que nous savons et ce que nous ne savons pas »2. Voilà un Président de la République qui revendique ouvertement son ignorance tandis que des experts reconnaissent publiquement que le Covid-19 est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Oui – les temps changent ».

Les auteurs considèrent que la pandémie du Covid-19 modifie considérablement les règles du jeu sanitaire, habituellement aux mains des experts qui officient en laboratoire, même si le public est appelé à contribuer à certains moments (enquête, etc.), mais de manière encore très passive :

« Participer sans mot dire, ce n’est pas vraiment participer ».

Avec le Covid, l’attitude est désormais « Nous ne savons pas, et pour savoir, nous avons besoin de votre coopération active » (c’est nous qui soulignons).

« Dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, suite à la décision gouvernementale de sortir progressivement du dé-confinement, des cadres généraux ont été fournis avec les gestes barrières à respecter. Mais comment procéder, très concrètement, dans un lycée de 2000 élèves, dans une crèche de 40 enfants tout au plus âgés de 3 ans et placés dans un espace de 100 m2, sur un chantier de BTP, dans un restaurant, dans un Ehpad ? Comment assurer dans tous ces cas les conditions minimisant les risques de contamination ? En disant qu’on ne sait pas vraiment comment procéder, on accorde, pour une fois, aux personnes concernées un espace de liberté : on les incite à proposer des solutions viables et à imaginer collectivement des dispositifs adaptés. Certes, c’est l’ignorance qui favorise cette délégation, laquelle demeure néanmoins limitée. L’ignorance rend cependant possibles une redéfinition des rôles et une nouvelle forme de contrat entre sciences et sociétés, entre chercheurs et profanes. » Et les auteurs d’ajouter : « Ce n’est pas la même chose d’essayer de convaincre quelqu’un que la terre est ronde ou de lui dévoiler les raisons pour lesquelles il est nécessaire d’agir de telle ou telle façon si l’on veut éviter un pic de contamination. Dans un cas on éduque, dans l’autre on cherche une collaboration qui laisse ouverts à la fois l’interprétation des règles de distanciation proposées et les choix qui restent à faire. ».

C’est dans le cadre de cette collaboration, non explicite mais néanmoins suggérée, que l’identification des controverses en jeu peut se révéler intéressante.

On peut penser qu’elle incarne une forme de participation parmi d’autres à ce qu’implique une situation d’incertitude par rapport à laquelle le pouvoir politique, actant son ignorance, essaierait de mobiliser les apports de tous.

Qu’est-ce qu’une controverse ?

Par controverse, il convient d'entendre :

  • des positions qui divergent (voire s'affrontent) ;
  • qui ont toutes deux une forme de légitimité (bien que cela puisse être une légitimité de nature différente : sanitaire, éducative, économique, sociale...) ;
  • qui sont capables de mobiliser un argumentaire en bonne et due forme, qui tient la route.
  • Et qui sont portées par des groupes qui s’agrègent, en donnant de la force à la position qu’ils soutiennent.

Les controverses sont fécondes, car elles font avancer la réflexion sur des voies de solutions possible à un problème qui semble insurmontable.

« L’entrée par les controverses a une vertu heuristique : la controverse est un chantier ouvert qui oblige les acteurs à expliciter leurs positions, à faire connaître leurs preuves, à modifier leurs épreuves… […]. On retient donc des affaires où les incertitudes usuelles du social, de la politique, de la morale se trouvent compliquées par l’instabilité des connaissances scientifiques ou techniques et par l’absence de faits considérés comme indiscutables. »3.

Ce ne sont pas les controverses scientifiques et autres qui ont manqué depuis le début de la pandémie : autour de l’hydroxychloroquine, de l’utilité des masques, du nombre de personnes par bulles, etc. Elles en ont engendré bien d’autres, certaines qui touchent le grand public, et sur des points qui dépassent le strict cadre de la pandémie (télétravail ou pas par exemple), d’autres qui concernent plus un secteur, comme ici, l’aide à la jeunesse.

Les controverses n’attendent pas des crises de l’ampleur du Covid 19 pour se déployer, y compris au niveau micro des services eux-mêmes, sur des choses du quotidien ; elles apparaissent avec l’évolution du travail, qui introduit le doute (qui est une position intellectuelle honnête). Les controverses doivent être tranchées, dans un sens ou dans l’autre, ou déplacées par des concessions raisonnables. Faute de l’être, elles ne permettent pas une position institutionnelle claire, ce qui laisse les travailleurs dans l’insécurité (fais-je bien ce que je suis censé faire ?) ou dans un positionnement individualiste si ce n’est caractériel (puisqu’on ne sait pas, je fais comme je veux). Bien évidemment, avec la pandémie et le côté totalement inédit de sa gravité, les controverses qui sont apparues sont d’une tout autre ampleur, et bouleversent parfois en profondeur les « évidences » installées par routine.

Dans ce carnet, nous vous proposons de partager, sans prétention d’exhaustivité, quelques-unes des controverses identifiées par le SRG l’Aubépine depuis le début du confinement, et la manière dont elles ont été tranchées. François Debatty, son directeur, les a narrées spontanément à la première personne, ce qui reflète les débats intérieurs qui ont été les siens et qu’il a partagés avec son équipe. Ces passages sont en italiques bleu dans le chapitre qui suit. Nous nous sommes quant à nous employée à les contextualiser.

Notes

1-M. Callon et P. Lascoumes, « Penser l’après : le covid-19 pousse les scientifiques hors de leurs laboratoires », https://theconversation.com/penser-lapres-le-covid-19-pousse-les-scientifiques-hors-de-leurs-laboratoires-137336.

2-La suite de la phrase est celle-ci ; « Nous finirons par l'emporter mais nous aurons plusieurs mois à vivre avec le virus. Avec humilité, il nous faut aujourd’hui décider et agir en tenant compte des incertitudes avec lucidité, […]. »https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/04/13/adresse-aux-francais-13-avril-2020.

3-C. Méadel, « Les controverses comme apprentissage », Hermès, La Revue 2015/3 (n°73), pages 45 à 50, https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-3-page-45.htm#re2no2.

 

 

Ces controverses proposent d’opposer 2 actions-affirmations afin de se donner la possibilité de mettre en questions 2 façons différentes, parmi d’autres, d’envisager l’action relative à notre travail d’accompagnement de jeunes, à la lumière de la période « Covid ».
Opposer des propositions, pour se permettre d’inventer dans l’espace de leurs contradictions toutes une séries d’autres possibilités d’agir, d’interagir, de travailler au mieux et au plus proche du sens que je souhaite, personnellement et chaque fois que possible collectivement, trouver dans le temps que je passe dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse plutôt qu’en d’autres lieux.
Ces controverses, exprimées en termes d’actions collectives, sont des possibilités d’agir qu’une équipe de SRG a pu et peut se donner, à tout moment, avant le Covid, pendant le Covid, après le Covid.

Le paradigme de départ et ses controverses dérivées

Toute controverse se développe dans un paradigme particulier : en l’occurrence, pour la crise du Covid19, les premiers moments qui ont imposé le confinement appartiennent à un paradigme sanitaire, qui s’est imposé via les experts et via le relais médiatique : à ce moment, c’était l’incertitude radicale, pour paraphraser Michel Callon, qui s’est imposée : on ne connaissait pas cette maladie nouvelle, on n’avait aucune idée de la manière de la soigner ; elle avait juste prouvé sa redoutable dangerosité et la fulgurance de sa contamination.

La seule solution collective qui est apparue est un confinement strict.

Par contre, des controverses sont rapidement apparues, par exemple sur l’étendue exacte de la mesure de confinement : quels secteur étaient considérés comme des services indispensables, à maintenir durant le confinement ? Ainsi l’aide à la jeunesse faisait partie de ce groupe, mais en lanterne rouge. L’indécision s’est rapidement marquée, dans de nombreux secteurs, dans la difficulté d’avoir des directives sectorielles claires. Cela a eu des impacts certains dans les équipes, qui se sont retrouvées, elles aussi, face à des controverses, dans leur quotidien. Les dimensions déontologiques et éthiques n’en sont pas absentes.

Les controverses identifiées a posteriori à l’Aubépine à propos de cette phase portent sur le positionnement institutionnel qui a dû se préciser, localement, pour affronter le problème.

  • Attendre les directives pour cadrer >< Proposer des directions dans le cadre, ou pas

J’ai observé divers positionnements en terme de « directives ». Des écoles ont fermé leurs portes après 2 jours de confinement, communiquant déjà sur une reprise « pas avant septembre », là où d’autres attendaient patiemment que des directives sectorielles ne viennent cadrer les choses.
Et, par ailleurs, les directives et mesures sectorielles, que ce soit pour l’enseignement, l’aide à la Jeunesse et pour tout autre secteur ou collectif cadrant, sont, pour « paraphraser » Sophie Wilmès en fin d’un des CNS, des « directions générales » prise pour le collectif, qui suivra cette direction, certains strictement, d’autre au minimum. Mais, globalement, le mouvement est dirigé dans un sens, pas un autre.
Entre « vouloir tout décider ou inventer seul » et « attendre le dernier moment pour décider et respecter sans aucune interprétation la directive cadrante », il existe aussi une série de possibilités hybridant les 2 positions.
De notre point de vue, la position a bien été de respecter « strictement le mieux possible... » les directives CNS et la direction collective prise par le gouvernement, mais la réalité contextuelle (enfants sans école, familles sans contacts avec leurs jeunes, enfants poursuivant de vivre des souffrances non confinables) nous ont fait prendre des positions, sujettes, au mieux possible dans le cadre des directives mais qui n’ont pu, toujours, strictement les respecter.

Cette controverse porte au fond sur la légitimité à dire l’intérêt général : qui est habilité à le représenter : les autorités politiques organisées pour ce faire en un Conseil National, les agents locaux ?…

  • L’emballement de la pensée dominante >< la pensée sujette opposée

La controverse que nous venons de décrire s’est en quelque sorte déclinée d’une manière pratique autour de la manière légitime de suivre les directives : la manière de les suivre impliquait-elle une exécution à la lettre ou fallait-il faire quelque peu place à des pensées autonomes (souvent inspirées par d’autres dimensions que sanitaires) ?

Particulièrement le Jeudi 13 mars je pense, en quelques heures et pendant notre réunion d’équipe, dans la yourte installée dans le jardin du SRG, avec à l’ordre du jour « que fait-on avec ce virus qui semble arriver ? », beaucoup de changements et décisions sont intervenus.
Au sortir de la réunion, des rendez-vous en nombre étaient annulés, des événements supprimés... En quelques heures puis journées, l’avis collectif de « comportement à avoir » face à ce virus que quelques jours plus tôt, certains ne connaissaient pas, s’était imposé.
Le 18 mars, il ne nous semblait même plus étonnant que ce confinement (mot que nous n’employions pas 5 jours plus tôt...) s’impose. Il nous paraissait même intéressant de le prévenir au mieux, avec les jeunes.
Ce « retournement » de « pensée collective » m’a étonné. J’ai vu, comme nous tous, l’avis de tous changer, au moins un minimum, certains strictement, d’autres très peu, mais de façon générale l’avis collectif avait pris une direction, pas une autre.
La pensée sujette opposée, c’est pour moi un avis, porté seul s’il faut, mais qui est au moins en partie opposé à la direction prise par la pensée dominante.
Dans le cas de la crise du Coronavirus, certaines pensées sujettes qui me concernent, je veux dire par là que ce sont des pensées que j’ai eues et que j’ai encore, ont été peu exprimées par moi, maladroitement dites et reçues, sources de crispations. Et, je pense que c’est parce que ces idées contiennent, en elles, quelque chose qui s’oppose à la direction générale prise par la pensée générale.
Par exemple : souhaiter que l’école continue, questionner le port du masque, rapatrier les personnes âgées à leur domicile, vouloir serrer dans ses bras ses familiers lors d’un décès ; sont des positions sujettes, que je tiens ou ai pu tenir personnellement en étant bien dans mes baskets, mais qui s’opposent tellement à la pensée dominante emballée qu’elles ont été non tenues, simplement.
Nous avons fermé les écoles strictement ou presque, pour ne pas prendre de risque pour des personnes âgées que nous avons pourtant laissé « ensemble dans des lieux pas top au niveau sanitaire confiné », que nous avons pour certaines laissé mourir pour ne pas risquer de saturer nos outils de soins, et que nous nous sommes interdits d’aller saluer, tous ensemble, sur leurs lits de mort ou au cimetière.
Nous avons peu utilisé ce contexte pour vivre, avec nos enfants et au sein des écoles, des moments de recherche collective de solutions innovantes et alternatives, alliant respect des connaissances scientifiques et sanitaires et participations des avis des uns et des autres.
Nous avons majoritairement interprété les mesures de confinement avec des idées confinées, fermées, protectionnistes et sécuritaristes, dans la lignée de l’action collective dominante.
Peut-être aurions-nous pu aussi rester conscients de nos possibilités autres, en augmentant les espaces dédiés aux écoles, en augmentant les personnes prenant soin des écoliers, en se saisissant de ce problème pour en faire des solutions pour l’école tout en s’opposant au virus.
Dans tous les cas, cette controverse donne la place à une diversité de possibilités. Et, il me paraît plus évident de poursuivre, dans l’intérêt du sens de son travail, de tenir des positions qui soient même un minimum opposées à la pensée dominante, dans le cas où le travail en lui-même, n’est pas déjà strictement confinable.
C’est le cas de l’hébergement de mineurs en danger, qui ne vont pas être jugés « plus en danger » simplement parce qu’un danger supplémentaire (sanitaire) s’est ajouté. Cela nous a « obligés » ou « permis » de continuer à penser, aussi et en parallèle à la pensée dominante, de façon sujette voire opposée.
Par contre, l’enseignement, que nous avons « jugé » confinable, dans le sens « arrêtable », n’a sans doute pas pu se donner autant d’occasions d’inventer ses solutions pour « se poursuivre malgré tout »...
Cela m’amène à proposer de poser la question suivante : « Pour préparer une éventuelle prochaine période imprévue, que pensons-nous de l’enseignement ? Doit-on utiliser le détour du numérique pour éviter de se poser la question de sa nécessité ou pas ? Ne serait-il pas de bon ton, en parallèle à un effort bien connu et nécessaire de modernisations et d’actualisations du modèle d’enseignement, de resouligner l’instruction comme droit, inaliénable ? »...

Les controverses qui touchent au périmètre des missions et à leurs modalités

La crise du Coronavirus est venue perturber la manière habituelle de travailler dans le secteur de l’hébergement, avec des bénéficiaires réputés en danger, raison pour laquelle ils ont été provisoirement écartés de leurs familles. Ces controverses portent la réflexion sur le périmètre et les limites des missions en SRG, mais aussi sur les manières de les mettre en œuvre.

  • Héberger un groupe intra-muros >< Soutenir les hébergements individuels extra-muros

Ces 2 opposés théoriques sont des façons d’interpréter la modalité d’aide avec hébergement. L’équipe d’un SRG pourrait, théoriquement, exclusivement héberger un groupe de jeunes vivant ensemble, de façon « confinée », en « vase clos ». Cette façon d’héberger, en cas de Covid, donnerait lieu à une fermeture stricte des portes de l’institution autour des 15 jeunes pris en compte, et de l’équipe devant poursuivre d’être présente pour eux.
L’équipe d’un SRG pourrait, autre possibilité théorique, utiliser le lit qu’elle a pour chaque jeune pour situer les moments que le jeune ne peut passer avec qualité au sein de sa famille, de sa famille élargie, de son réseau de soutiens divers. Cette façon d’héberger, en cas de Covid, donnerait lieu à des confinements des jeunes hors des murs du SRG, au sein de leurs espaces de vie famille/réseaux/soutiens dont la qualité des moments qui s’y tiennent est soutenue et consolidée par l’équipe et l’outil SRG.
Ces 2 positions pouvant s’opposer peuvent aussi se rencontrer. On peut connaître, pour chaque jeune, pour chaque groupe, pour chaque SRG, des situations situées entre ces 2 opposés, les mélangeant, les hybridant.
Sur un plan sanitaire, puisque le SRG « avec hébergement collectif » nécessite des rotations de personnel, l’option « confinement en lieux externe clos et non collectif » nous a semblé à prioriser, si possible, puisqu’elle permet au jeune de vivre au sein d’un groupe fixe d’humains, sans interactions extérieures.
Sur le plan du droit du jeune, les solutions externes à l’hébergement institutionnel, si la qualité et le respect des droits des jeunes y sont soutenus, nous semblent également à privilégier chaque fois que possible dans l’intérêt des jeunes.
Ceci nous amène à dire que, virus ou pas, toutes les ressources, en temps, en moyens, en personnels, disponibles et mobilisables par notre équipe pour construire, mobiliser, consolider, inventer, questionner les familles, familles élargies et réseaux de soutien des jeunes, sont à revendiquer.
Lorsque nous réfléchissons par cette controverse (IN ou OUT des murs du SRG), nous précisons nos besoins de « plus de ressources humaines », non pas pour mieux « héberger collectivement un groupe de jeunes », mais bien pour mieux « soutenir, consolider, étoffer, améliorer, questionner, inventer un réseau de soutiens efficient pour chaque jeune, qui dort calmement au sein du SRG le temps que ce réseau, avec sa nécessaire participation et le temps qu’il faudra dans tous les cas, se construise et existe pour lui ».
Par ailleurs, cette controverse dit autrement deux façons de vivre pratiquement l’outil SRG : y laisser le temps passer entre 2 dates, celle d’entrée et celle de révision de la décision qui a fixé cette entrée, ou utiliser chaque seconde du temps fixé au sein du SRG comme une occasion de nouvelles intentions « dans et hors SRG » dans le sens : découvertes de nouvelles activités, de nouvelles personnes, d’idées autres, de nouvelles solutions personnelles, familiales, scolaires, de toutes nouvelles occupations pas nécessairement vécues au sein du SRG, mais mobilisables à l’aide du temps laissé disponible hors de difficultés actuelles en famille. Utiliser ce temps « SRG » à des fins positives, actives et porteuses d’effets en ce compris au niveau des difficultés familiales, directement ou indirectement, par le jeune ou par le système.

On peut sans doute prolonger ce raisonnement par un questionnement sur la place de l’institution d’hébergement : dans une chaîne institutionnelle dont il est un maillon, spécialisé, certes, mais pas d’office prédominant ou au cœur d’un cercle spécialisé (et séparé d’un cercle « ordinaire ») dont il est le noyau ?

  • Se voir, se sentir, se toucher, fabriquer ensemble >< télé-travailler ou se rencontrer en visioconf’

Deux façons de travailler qui sont, théoriquement, opposées. Le confinement a situé le travail, quel qu’il soit, quelque part entre ces 2 propositions.
En SRG, où le contact physique et la présence sont le centre du travail, le télé-travail n’est pas possible et les modèles de réunion sans possibilité de se voir, sentir et vivre les accords et désaccords ont été des expériences peu concluantes, ou même pas tentées pour ne pas franchir certains caps sans les avoir décidés, ensemble, hors urgence.
Cette controverse ouvre une série de possibilités, diverses, de modèles hybridant ces 2 formes de relations, communications et interactions.
A titre personnel, j’ai terminé cette phase de confinement un peu plus convaincu encore que la communication numérique (bien que je l’utilise, la développe comme outil de qualité au sein de notre SRG, et la considère comme une invention formidable et haute en possibilités) ne correspond pas à ma nature ni à mon intuition, et demande une série de précautions, postures collectives et positions pour ne pas limiter les critiques, participations et pensées réellement sujettes.
J’espère, de nouveau tout à fait personnellement, que la crise du coronavirus ne va pas valider dans le sens commun, telle une idée qui se répand tellement vite et massivement qu’elle en devient incontestable, l’idée de l’école via écran. Je ne pourrais pas, quoi qu’on en veuille, me sentir concerné par cette école qui n’aurait plus le sens que j’arrive à lui donner, celui de la rencontre pratique, vécue, grisante et étonnante avec des autres, copains, copines, professeurs, humains.

Les controverses sur le travail en réseau

Le travail en réseau fait partie des obligations déontologiques du secteur de l’aide à la jeunesse. Le coronavirus a parfois bouleversé en profondeur les manières habituelles de faire. Comment et avec qui travailler en réseau, pour construire quels réseaux ?

  • Collaborations entre adultes >< Oppositions entre adultes

Lorsque j’oppose les concepts d’opposition et de collaboration entre adultes, je ne parle pas d’« Opposition sur le sens ou l’intérêt de l’aide due au jeune, contrainte ou pas », mais bien d’« Oppositions sur les modalités d’actions collectives des adultes qui participent à l’aide due aux jeunes, contrainte ou pas ».
Il m’apparaît insensé d’opposer les « types d’aide » dues aux jeunes, telles que nos collectifs les ont organisées : prévention, aide en milieu de vie, aide avec hébergement, aide intensive, aide urgente, aide avec collaboration, aide contrainte, etc.
Ces types d’aide sont, pour moi, des facettes d’une même volonté publique et collective, celle d’aider les jeunes à pouvoir bénéficier de leurs droits, à devenir ceux qu’ils souhaitent.
Cette façon d’utiliser les ressources et énergies collectives pour aider les jeunes à bénéficier de leurs droits peut prendre différentes formes : contraindre les adultes à laisser leurs enfants bénéficier de l’aide, collaborer avec les adultes dans le même bénéfice sous-tendu, aider au départ du lieu de vie, aider au départ d’un lieu d’hébergement, etc., etc.
Le fait que les adultes s’opposent entre eux tel que proposé dans cette controverse, ne se réduit pas à opposer aide contrainte et aide consentie, au contraire.
Je parle ici du fait de travailler ensemble, familles, intervenants, jeune, autorités mandantes, etc. Que l’aide soit contrainte ou consentie pour le jeune, les adultes qui interviennent pour mettre ce droit en œuvre peuvent collaborer ou s’opposer.
Au sens strict, cette controverse, à l’Aubépine, nous amène à ne travailler que sur base d’une collaboration, minimale, entre les adultes ; et ce également dans le cas d’une aide mandatée et contrainte.
Plus loin, cela nous amène à envisager l’ensemble des intervenants pour les jeunes comme des collaborateurs, permettant au jeune de bénéficier d’un réseau d’aides reliées par une volonté commune. Ne pas perdre de temps, au sein de ce réseau, dans des oppositions stériles, est une position que nous tenons.
Cette position de collaboration minimale peut être, par exemple, la volonté que la participation de l’Aubépine (rendue obligatoire par un juge de la Jeunesse par exemple, donc contrainte) soit la plus courte, et la plus vite clôturée possible. Ce n’est qu’en collaborant activement que nous pourrons atteindre cet objectif commun de façon efficiente et qualitative.
C’est une autre façon de dire que, sous réserve d’une participation au programme d’aide d’un jeune qui est soit le résultat d’un jugement, soit d’une collaboration précisée et argumentée entre adultes, nous voulons participer à des dispositifs d’aide pratiques, efficients et collectifs, plutôt que de perdre du temps, au sein d’un temps qui doit être dévolu à l’aide, à s’opposer sur les types ou formes d’aide à mobiliser.
Pendant le confinement, nous avons observé une mise en lumière objective des impacts constructifs et concrets pour le jeune des situations de collaboration et de participation des adultes et des jeunes au sein des dispositifs d’aide, qu’ils soient consentis ou contraints.
Nous ne pouvons le nier, et cela nous aide, aujourd’hui, à tenir avec un peu plus de solidité cette position pédagogique de collaborations par les participations, ou, à minima, d’opposition à l’opposition stérile entre adultes qui organisent, ensemble, une aide due à un jeune.

Ce raisonnement pose aussi la question de la manière de structurer le « droit à l’aide » : est-il admissible ou recommandé de le faire d’une manière segmentée, sur base d’une répartition organisée au préalable ? Dans ce cas, prévenir sera par exemple défini par rapport à la visée « d’éviter qu’un jeune doive entrer dans le système de l’aide à la jeunesse », ce qui peut sembler curieux s’agissant du droit à une aide spécialisée dont l’État se fait le garant. La position adverse ouvre la possibilité à des collaborations inédites ou inhabituelles, qui se structurent par rapport à la situation du jeune et de sa famille ; si les possibles se multiplient ainsi, les difficultés du choix et de la « composition » des aides s’accroissent en proportion.

  • Hébergement = « punition » > < Hébergement = « opportunités »

Cette controverse oppose théoriquement et de façon volontairement caricaturée, la façon dont la modalité « aide avec hébergement » est conçue : soit comme une « punition » par ce qu’elle est ou par les raisons qui l’ont amenée, soit comme une « opportunité de solutions, de droits et d’actions ».
La controverse précédente et celle-ci peuvent être organisées, ensemble, dans la structure croisée proposée ci-dessous. Celle-ci pourrait avoir de l’intérêt pour se situer, avec le service mandant et la famille, en début, en cours et en fin d’accueil :

Chap 7 controverses SChEMA

Dans ces 4 cas, le boulot peut se faire mais est fondamentalement différent. C’est l’avis/la participation du jeune, pour ce qu’il est possible de l’entendre et.ou pour lui de l’exprimer, qui va permettre à l’accueil d’être possible ou pas, et d’être situé véritablement dans tel ou tel champ de la structure croisée.
Surtout dans le champ 1, c’est selon moi l’avis du jeune, sa participation, sa façon de vivre malgré tout « positivement » le temps en SRG qui va aider à l’accueillir. Si le jeune, lui aussi, s’oppose à l’accueil en SRG dans le champ 1, cela me paraît très « à côté de la plaque d’une part », très impossible voire inhumain pour les adultes (les parents et les travailleurs qui vont « accueillir ») d’autre part.
Quelle que soit la zone, l’avis du jeune, son accord/désaccord doivent aussi être pris en compte. Ce serait bien de pouvoir situer les situations d’accueil, avec le mandant, aussi en fonction de l’avis du jeune :

  • Participation / Opposition du jeune
  • Participation / Opposition des parents
  • Participation / Opposition des adultes
  • Aide consentie / Aide contrainte

On pourrait penser que participation et opposition des parents est un synonyme d’aide consentie ou contrainte, mais je n’en suis pas si sûr, comme expliqué au point B.
En début d’accueil (sommes actuellement en cours d’accueil pour 3 situations), nous disons que nous nous situons, en tant que SRG, et quel que soit le type de mandant (SPJ, SAJ, TJ), dans une volonté de travailler en ZONE 4, c’est -à-dire de prendre le temps de concevoir ensemble, y compris avec les parents, le jeune, le réseau d’aide et de soutien, l’aide avec hébergement comme une opportunité et une occasion d’opportunités imprévues et imprévisibles ET dans un accompagnement qui passe par une collaboration, minimale mais qui ne s’encombre pas d’oppositions infructueuses pour le jeune, entre les adultes.
Il est aussi possible que l’aide collective apportée, avec hébergement, se situe dans une zone différente selon les points de vue du jeune, de son papa, de sa maman, du réseau d’aide...
Une idée me paraissant soutenir l’action collective efficiente serait de travailler à pouvoir rassembler, dans le respect des rythmes divers, les situations des différents adultes autour du jeune en zone 4, au moins de façon très minimale.
Et, sinon, à minima pouvoir reconnaître et nommer les termes des oppositions comme ceux des collaborations me parait nécessaire, afin de pouvoir soutenir les actions possibles dans le registre des collaborations et participations existantes, à côté des divergences reconnues.

Il existe toutefois une autre façon possible de raisonner sur cette problématique (une autre façon de construire la controverse qui la traverse). Elle porte sur le positionnement des protagonistes : voit-on le positionnement de chacun comme pré-existant aux relations avec les autres protagonistes ou à tout le moins séparable d’elles ou le voit-on comme le produit, éventuellement changeant, de ces relations ? Cette controverse recoupe la controverse mise en lumière par Michel Wieviorka1 sur le sujet : le sujet est-il une propriété de l’individu indépendamment du social ou la capacité à se conduire en sujet de son existence est-elle le résultat d’un certain type d’interactions sociales ? Il nous semble que le secteur de l’aide à la jeunesse est concerné au plus haut point par cette controverse sur le sujet.

  • Rester dans les clivages du connu >< se saisir des opportunités offertes par l’imprévu

Cette controverse redit autrement la volonté de l’Aubépine de se saisir, à coté et dans le respect des divergences pour peu qu’elles soient dites, connues et reconnues, des convergences permettant des opportunités d’actions collectives.
Ceci, dans la volonté d’utiliser ces petites actions collectives (jeunes, parents, SRG, mandant, réseaux) possibles dans le champ de la collaboration comme des possibilités, si minimes soient-elles, imprévisibles mais potentielles, de changements, d’avancées, de solutions ; en ce compris et de façon directe ou indirecte avec effet sur le système familial générateur, d’une façon ou l’autre, de l’aide mandatée pour le jeune.

  • Revenir sur des oppositions passées >< Imaginer des collaborations futures

Pour écourter et exemplifier par le covid qui nous intéresse dans ces carnets, cette controverse permet d’envisager toutes les possibilités existant entre « choisir de passer les 3 prochaines années à revenir sur le confinement, ses problèmes, erreurs, solutions, opportunités... ou choisir, sur base d’un inventaire observatoire précis, de construire des idées pour agir ensemble, dans le futur, en cas de Covid ou de tout autre contexte imprévu.
Pour revenir sur l’école, cette controverse opposerait le fait de « passer du temps à revenir sur le pourquoi des fermetures d’école en 2019-20 » et le fait de « passer du temps à se poser la question de la possibilité ou de l’impossibilité, virus ou pas, autre cataclysme imprévu ou pas, de fermer l’école »...

Les controverses sur les besoins pour le futur

  • Avoir plus pour faire la même chose mieux >< Avoir ce qui est juste pour soutenir le même objectif autrement

Cette controverse oppose 2 objectifs à atteindre théoriquement envisageables par une volonté commune, celle d’augmenter l’investissement financier public dans le secteur que d’aucuns qualifient (fort imparfaitement sans doute) de « à profit social », en ce compris dans l’Aide à la Jeunesse.
Le point de départ de cette volonté commune est de concevoir l’investissement dans le secteur et dans les actions larges à plus-values sociétales comme des possibilités pratiques de soutenir l’économie et les réalisations dignes d’un maximum de citoyens, plutôt que comme un coût à compresser quitte à diminuer les lits d’hôpitaux, les matériaux de soins sanitaires, les encadrants et mètres carrés disponibles dans les écoles, les intervenants et moyens mobilisables pour aider les familles faisant face à des exclusions, etc.
Si on se place dans une position de souhaiter qu’une partie, juste et suffisante, des ressources publiques soient investies au sens positif du terme dans le secteur à profit sociétal, c’est bien en concevant ce secteur comme une série d’équipes d’adultes en collaboration, participatifs et soutenant leurs mutualisations, synergies et rencontres dans l’intérêt des jeunes et de la société.
Un secteur à profit sociétal ayant cette posture solidaire, ouverte, décloisonnée et préventive, ne peut s’encombrer de « tirer la couverture aux écoles, ou aux hôpitaux, ou à l’Aviq, ou à l’Aide à la Jeunesse, etc., etc. ». Encore une fois, il s’agit plutôt de porter ensemble et de façon articulée et tout aussi coordonnée et collaborative avec les services publics, un réseau d’actions à profit sociétal, riches de leurs diversités, et justement fournies en termes de ressources financières pour arriver aux objectifs, publics et collectifs, qui sont les leurs.
Au sein de ce souhait de « investir plus et mieux dans le secteur à profit sociétal », prend place un investissement, au niveau qui est le mien via notre action « SRG », dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse, et précisément dans les services résidentiels en ce qui me concerne.
C’est de cet investissement dont parle cette controverse. L’argent nécessaire pour les SRG pourrait être utilisé pour « mieux héberger collectivement un groupe de jeunes », ce qui théoriquement pourrait produire une hausse des éducateurs garantissant à minima l’hébergement collectif. Mais cet argent pourrait aussi théoriquement être utilisé pour mieux articuler le service que produit un lieu d’hébergement avec l’ensemble des autres services pour le jeune, dont son réseau de soutiens et toutes les possibilités externes aux murs d’un SRG, consolidant et étoffant les réseaux de soutiens de chaque jeune.
Ce qui, théoriquement (et comme repris, au moins partiellement) dans le mémorandum de l’interfédération de l’Aide à la Jeunesse pourrait produire une augmentation de ressources d’éducateurs, d’intervenants psycho-sociaux et de toutes autres ressources humaines garantissant la mise au travail, au départ d’un hébergement nécessaire pratiquement à un instant « t », de toutes les solutions possibles dans les réseaux de soutiens des jeunes, famille et lieu de vie.
Cette controverse nous amène, à l’Aubépine, à souhaiter effectivement pouvoir bénéficier des ressources humaines supplémentaires, nécessaires pour permettre à chaque jeune accueilli en SRG la garantie que le temps passé « en hébergement » permette une activation réelle de la recherche de solutions et de la mise au travail de son réseau de soutiens, hors du SRG et visant à ne plus rendre nécessaire l’hébergement hors de ce réseau que de façon limitée ou nulle.
Pour nous, il ne s’agit pas uniquement de bénéficier de plus de personnes pour mieux accueillir 15 jeunes en SRG, mais bien de bénéficier des personnes nécessaires permettant que le SRG soit vécu par chaque famille comme un outil de solutions, d’idées et d’occasions soutenant la (re)construction collective de solutions familiales ou de réseau, bientraitantes pour le jeune.
Actuellement, nous pratiquons cette façon d’héberger, au mieux que nous pouvons, et en répartissant une partie du travail nécessaire « au sein de l’hébergement collectif » sur l’équipe complète, éducateurs et tout le reste, sur les bénévoles, les volontaires, les étudiants, les volontaires européens, les stagiaires, les services partenaires et toutes les idées possibles permettant, dans le cadre de notre agrément et de nos engagements, d’investir un maximum de temps, de qualité et d’idée avec les familles, réseaux de soutiens et occasions externes au SRG, pour les jeunes que ce dernier prend en compte.

Il s’agit ici d’une controverse qui porte sur la visée du secteur, sur son avenir, sur son inscription dans la société : quelle importance accorder à l’aide spécialisée, quels sont les rapports que ses agents veulent entretenir avec d’autres « producteurs » dans la société, comment vont-ils se définir en conséquence ? Comme « producteurs de subjectivité » (à côté de bien d’autres), comme le suggérait Félix Guattari ? Comme des « réparateurs » de l’éducation pour une partie oubliée de la population ?
Pour montrer une fois encore qu’une controverse aide à poser des questions pratiques, nous la déclinons ci-dessous en questions stratégiques concrètes.

  • Penser à un après crise soutenable >< Panser les plaies renforcées de la crise et par la crise

Cette controverse m’invite simplement à regarder les réactions diverses que j’ai pu observer autour de moi et ressentir aussi, diverses, au plus profond de moi ; entre le « sauver sa peau et en venir à tenter de profiter de tout, même du virus ! » et le « vivre la difficulté imprévue, y faire face, de façon consciente et entière, pas en se protégeant et en investissant dans un après crise avant même d’avoir pris le temps d’accueillir et de transformer le problème en cours, d’y faire face sans perdre la face ».
Cette controverse m’invite personnellement à questionner la façon dont les impacts de la crise, financiers surtout et à propos de registres et secteurs particuliers d’activité, ont été rapidement mesurés avec des propositions compensatoires rapidement mobilisables. Ceci concerne, par exemple et en particulier, les plaies de la crise dans le système économique de marché. (Cessation des activités économiques productrices de travail et de richesse, donc investissement rapide de deniers publics pour maintenir la production de richesses sans production de travail : indemnités covid pour entreprises attestant de X jours de non-travail par exemple).
D’un autre côté, les plaies ouvertes bien avant la crise, que cette dernière a mises en lumière et renforcées, en premier lieu les précarités et les exclusions vécues par nombre de familles et jeunes, en second lieu le sous-investissement public provoquant des carences, replis et fermetures dans les services à profit sociétal (hôpitaux, écoles, AAJ, Aviq, Culture, etc.), ces plaies-là ont été celles qui nous ont occupés, en SRG, avant, durant et après la crise.
Mais j’ai eu le sentiment que c’était pourtant d’autres plaies, post-crise et liées à la crise elle-même, qui occupaient les réflexions, actions et investissements débloqués rapidement en cours de crise.
Notre SRG a pu compter sur 5.000 euros de renfort, par notre secteur, pour engager un renfort d’un mois temps plein. Ceci est nécessaire. Mais cela ne fait que panser une petite partie du problème, celui créé par la crise, à savoir une surcharge d’heures de travail. Mais cela ne permet pas de soutenir le travail qualitatif et justement financé d’un SRG qui souhaite soutenir les réseaux des jeunes, virus ou pas.