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Carnet de l'aide à la jeunesse

Carrefour Jeunesse de Charleroi
Une action communautaire sur la circulation de l'information

* Les titres et fonctions des intervenants sont en regard de la date de réalisation de ce Carnet : décembre 2008

 

Introduction

Carrefour Jeunesse de CharleroiLe monde judiciaire et le monde social sont deux mondes qui doivent travailler ensemble dans le cadre de l'aide à la jeunesse afin de veiller aux intérêts du jeune, mais ils sont aussi deux mondes qui ne se comprennent pas toujours... C'est en tout cas le constat fait au départ par le Service Droit des Jeunes et du barreau de Charleroi. C'est pourquoi ce service a été en 2002 à l'initiative du « Carrefour Jeunesse de Charleroi ». Ce Carrefour mobilise aussi bien des juges, des avocats, des membres du parquet et du barreau que le SAJ, le SPJ ou encore des services privés mandatés ou non. Le but : créer un réseau de partenaires où chacun va questionner de façon permanente ses pratiques en articulation avec les différents partenaires. Il s'agit aussi de réfléchir aux modalités de communication et d'échange entre les acteurs dans le respect des cadres légaux et des pratiques de chacun.

Depuis 2002, le Carrefour Jeunesse a produit des avancées significatives, ainsi qu'une série de réalisations concrètes. Ainsi par exemple, une journée de rencontre entre tous les acteurs du secteur a été organisée en octobre 2007. Trois thématiques étaient au programme de cette journée : l'échange d'informations entre SAJ et Parquet, la problématique de l'aide contrainte et de l'aide sociale, et enfin la question de l'information auprès des services privés et du rôle de l'avocat du mineur.

 

 

webCarrefour Jeunesse de CharleroiEn quelques années de fonctionnement les acteurs du Carrefour Jeunesse ont produit une série de réalisations très concrètes. Ainsi trois outils ont été mis au point : un guide/répertoire, un film de sensibilisation et un site Internet présentant le dispositif ont également été créés sous l'impulsion de ce Carrefour. Le répertoire se veut être un outil de travail pratique pour l’ensemble des intervenants du secteur, utile également dans la création de liens permettant à chacun de s’y retrouver dans le dédale des services de l’Aide à la Jeunesse. Edité une première fois en version papier, mais malheureusement déjà obsolète, une version mise à jour sera donc mise en ligne sur le site www.carrefour-jeunesse.be. Ce site est une des autres réalisations du Carrefour Jeunesse. Outre le répertoire, il contient notamment les actes des journées de réflexion, des PV, des tables rondes organisées, de la documentation comme la jurisprudence de l'arrondissement de Charleroi en matière d'aide et de protection de la jeunesse, ...

Enfin, un film d'animation a également vu le jour : deux animations de 6'et 10' destinées respectivement aux 6-12 ans et 12-18 ans afin de leur expliquer le rôle de l'avocat du mineur.

 

Tout ce travail réalisé - et encore à réaliser - fut possible grâce à la mise en place d'un réseau de partenaires, mais un réseau au sens où le sociologue français Michel Callon l'entend, c'est-à-dire un réseau de partenaires aux intérêts divergents, différent du réseau de coopération dans lequel les protagonistes se réunissent dans une communauté de vues et d'intérêts.

Différents acteurs de ce réseau ont accepté de parler de cette expérience et de l'expliquer plus en détails.

 


 

Historique et contexte

 

Interview de Karine Joliton, Service Droit des Jeunes de Charleroi

 

 

Karine Joliton - Service Droit des Jeunes de Charleroi

Le SDJ de Charleroi est à l'origine de cette initiative du Carrefour Jeunesse. Quel est le contexte de départ ? Pourquoi le SDJ s'est lancé dans cette aventure ?

En 2002, puisque c'est à ce moment-là que le projet est né, nous constations déjà depuis plusieurs mois et dans le cadre de nombreuses situations, que des jeunes et des familles rencontraient des problèmes au niveau de leur défense, ou en tout cas au niveau du soutien dont ils bénéficiaient, parce qu'il y avait vraiment un problème de communication entre les professionnels du secteur judiciaire et les professionnels du secteur de l'Aide à la jeunesse, services privés et autres services d'ailleurs. On se rendait compte que finalement ces difficultés que constataient les jeunes au quotidien dans leur situation étaient souvent dues à un manque de connaissance de la part des professionnels de ces secteurs différents. Et on s'est dit finalement « pourquoi ne pas essayer de mettre ces professionnels en présence et de travailler tous les préjugés que chacun pouvait avoir à l'égard de l'autre ? ». Le manque de communication, le manque de dialogue, c'était vraiment un des points de problèmes principaux. Donc il nous a semblé important, dans le cadre de nos actions communautaires, de pouvoir proposer ce temps de dialogue, ce temps de rencontre entre ces professionnels pour travailler vraiment à une meilleure communication. Donc tout naturellement, nous avons pris contact avec le barreau de Charleroi pour voir ce qui était possible de mettre en place, et le projet est né à partir de ce moment-là. Nous avons pris, ici au service, notre bâton de pèlerin et nous sommes allés rencontrer les différentes institutions du secteur de l'aide à la jeunesse de Charleroi, pour voir les difficultés que eux constataient éventuellement par rapport aux jeunes qui étaient placés chez eux ou qu'ils accompagnaient dans le cadre de leur travail. Est-ce qu'il y avait des problèmes de communication, de dialogue ? On a vraiment fait un inventaire de toutes les difficultés qui ont été rencontrées. Et sur cette base on a proposé une première rencontre, pour mettre ces difficultés en commun et déjà commencer quelque part le travail de contact et voir par la suite comment est-ce qu'on pouvait avancer ensemble sur ces difficultés.

 

Karine Joliton - Service Droit des Jeunes de Charleroi

Comment expliquer que le SDJ finalement soit à l'origine du projet ? Est-ce que le SDJ a une légitimité particulière, au carrefour de ces mondes ?

Effectivement, nous sommes un service d'aide en milieu ouvert du secteur de l'Aide à la jeunesse, service de première ligne, et nous avons également la particularité d'utiliser le droit comme outil de travail. Ce qui fait que nous sommes effectivement à la marge de ces deux mondes. Légitimité donc de ce fait-là, mais également légitimité parce que, en tant que service d'aide en milieu ouvert, nous devons mettre en place des actions communautaires. Les actions communautaires visent à résoudre globalement les difficultés que les jeunes et les familles rencontrent au quotidien. Quand par nos simples actions individuelles nous ne pouvons pas parvenir à résoudre ces difficultés, alors les actions communautaires prennent tout leur sens. C'est vraiment dans ce cadre-là que nous avons réfléchi à ce projet, puisque nous constations que des jeunes et des familles avaient des difficultés dans le cadre de leur défense, sur base de ces difficultés. Donc il nous a paru tout naturel, à ce moment-là, de réfléchir à une action communautaire, évidemment en partenariat avec les acteurs concernés : acteurs du monde judiciaire et acteurs du monde social du secteur de l'Aide à la jeunesse.


 

Karine Joliton - Service Droit des Jeunes de Charleroi

Quelles sont les réussites identifiées par rapport à ce projet ?

La durée. Je pense que c'est déjà assez enthousiasmant de voir que ce projet s'inscrit dans une certaine durée, que les participants motivés amènent beaucoup d'idées et participent vraiment activement à ce projet. L'autre réussite, ce sont les réalisations qui ont émaillé la vie de ce projet. La première réalisation a été le répertoire « Carrefour Jeunesse », qui est devenu obsolète maintenant, mais comme il est actualisé et qu'il va être mis en ligne sur internet, c'est une deuxième vie qui va être donnée à ce répertoire, qui est utile pour tous les professionnels du secteur. La journée d'étude qui a été organisée le 11 octobre dernier sur un thème qui est cher à l'ensemble des professionnels, la question de la communication entre les professionnels, est une journée qui a connu une réussite assez importante également. Le travail qui se poursuit pour approfondir les questions qui ont été soulevées dans le cadre de cette journée est aussi une réussite, puisque ce sont des thèmes d'actualité, ce sont des thèmes clefs très motivants en termes de réflexion. Je pense que la création du site internet sur lequel nous travaillons à l'heure actuelle, en plus de toutes ces questions à réfléchir, c'est une réussite. Le DVD sur le rôle de l'avocat du mineur qui a été réalisé pour la journée d'étude et qui va être diffusé aussi largement au niveau du secteur, c'est une réussite. Donc il y a vraiment des outils pratiques qui ont été réalisés et qui sont utiles. Également tout le travail de réflexion qui est fait avec une représentativité du secteur, une représentativité des partenaires à ce projet qui est assurée, qui rend les réflexions très riches, et qui permet d'avancer sur des questions communes à tous.

 

Karine Joliton - Service Droit des Jeunes de Charleroi

Par contre, est-ce qu'il reste encore des obstacles importants dans cette communication entre les partenaires ?

Evidemment, les questions qu'on aborde dans le cas de nos travaux sont des questions assez sensibles. Et donc évidemment on est toujours à la marge de pouvoir partir dans des conflits entre institutions, entre positions, chacun ayant un peu ses raisons de pratiquer plus ou moins de cette manière et d'exiger des autres qu'ils pratiquent plus ou moins de cette manière. Donc si les débats ne sont pas menés vraiment dans la transparence, avec des objectifs précis et une méthode précise, on pourrait vite effectivement en arriver à ce que le débat s'interrompe et que chacun reste sur sa position. Je pense qu'il est important aussi de pouvoir maintenir le lien avec le terrain. Puisque le groupe de pilotage tel qu'il fonctionne à l'heure actuelle, a vraiment pour mission d'élaguer des questions, d'élaguer des points de réflexion et de proposer par la suite de partager tout le travail qui a été accompli avec l'ensemble des acteurs du terrain. Ce qui fait qu'on va pouvoir peut-être rester pendant trois, quatre ou cinq mois sans donner vraiment de nouvelles à l'ensemble des services du secteur. Ce qui peut parfois donner l'impression aussi qu'il n'y a plus rien qui se passe au niveau du Carrefour, alors que ce n'est pas le cas. Et donc c'est aussi peut-être une des difficultés, de toujours bien maintenir le lien avec le terrain, de toujours entretenir ce fil-là. Et on espère que le site internet sera un outil pour ça, et on réfléchit également à d'autres modes de communication de nos travaux.

 


 

Rencontre avec des participants du groupe porteur

 

Un juge de la jeunesse, deux avocates, la directrice du SPJ, la conseillère du SAJ, deux substituts du Procureur du roi ou encore la directrice d'un service privé de l'aide à la jeunesse.

Quelles sont les raisons qui ont poussé les membres du groupe porteur à faire partie de ce Carrefour Jeunesse et donc à travailler en réseau dans l'intérêt du jeune ?

Ce travail en réseau engrange des réussites, mais tout n'est pas rose ! Des difficultés doivent encore être dépassées et des améliorations restent à faire...

 

 

1. Travailler mieux entre nous

Michèle DRESSE - Directrice du SPJ de Charleroi

Quel était votre état d'esprit au moment du lancement du processus du Carrefour jeunesse ? Qu'est-ce qui vous a motivé à y participer ?

Il y avait déjà eu une initiative précédente, qui s'appelait déjà Carrefour jeunesse et qui avait tenté de réunir les acteurs principaux du décret et où il y avait eu à un moment un dispersement. Donc il y avait eu un peu un abandon de ce projet-là. Et puis finalement le SDJ a trouvé que c'était peut-être intéressant d'y revenir. Il a proposé aux acteurs du décret de se réunir et de voir s'il y avait des sujets sur lesquels on pouvait avancer très concrètement. Parce qu'on est là dans le concret, on est dans le local. Donc ce qu'on veut c'est faciliter l'articulation entre les différentes personnes qui appliquent le décret. Au niveau local, parce que c'est vrai qu'il est difficile d'avoir une influence sur le niveau communautaire. Donc si on peut déjà travailler mieux entre nous ici à Charleroi, et bien c'est déjà un grand point. Et moi ça m'a motivé beaucoup, parce que c'est clair que plus les articulations sont faciles et plus les familles bénéficient de l'aide qui peut leur être apportée.

2. Les réussites engrangées

Michèle DRESSE - Directrice du SPJ de Charleroi

Quels sont, de votre point de vue, les réussites engrangées par cette initiative ?

Je dirais tout d'abord que l'on s'est rencontré dans un contexte convivial. Chacun est venu avec ses a priori évidemment, mais on a pu échanger sur les points de vue des uns et des autres, sur ses difficultés. Chacun a pu mettre des mots sur les réticences qu'il avait à communiquer parfois ou finalement à travailler avec l'autre. Et on a pu constater quand même qu'il y avait de l'huile dans les rouages, très franchement, qui avait pu être mise à ces occasions. Parce que bien sûr la première partie du travail, qui avait trait à la transmission des pièces, a abouti à une journée d'information, le 11 octobre 2007. Il y a eu des actes, et des choses concrètes en sont ressorties. Mais déjà pendant les réunions, il y avait plein de choses qui se passaient. Les gens ont pu se voir parfois en dehors de ces réunions en elles-mêmes. Je pense que c'était en tout cas un pied à l'étrier pour une meilleure collaboration entre tous les acteurs du décret.

3. Les difficultés rencontrées

Michèle DRESSE - Directrice du SPJ de Charleroi

Avez-vous constaté qu'il y avait quand même des difficultés particulières dans le cadre de ces rencontres qui persistaient ?

Il y a le fait qu'on n'est pas seul à décider. C'est clair que si le SPJ pense qu'on pourrait avancer sur tel ou tel sujet qui est proposé par un des partenaires, il n'est pas seul à décider. Donc l'administration de l'aide à la jeunesse à un certain moment, a dû être invitée évidemment parce qu'on ne pouvait pas prendre nous-mêmes des décisions importantes. Et donc comme tout ne dépend pas de nous, on est parfois freiné par ce genre de problématique qui n'est pas impossible à résoudre. Mais c'est clair que si l'on avait les coudées franches pour prendre des décisions, on pourrait avancer plus rapidement.

4. La nécessité du travail en réseau

Michèle DRESSE - Directrice du SPJ de Charleroi

De votre point de vue, le travail en réseau est nécessaire, incontournable ?

Il est incontournable, parce que si on prend l'exemple du SPJ, les problèmes des familles sont multiples. On voit rarement qu'il y a des jugements avec une seule motivation pour arriver à une mesure prise. Si on voit par exemple une famille qui a des difficultés d'argent, elle va difficilement pouvoir se concentrer sur les problèmes scolaires des enfants. S'il y a une menace d'expulsion, on ne saura pas se pencher sur son vécu et ses problèmes psychologiques qui ont amené par exemple à une maltraitance. Donc il faut que les différents services qui ont chacun leur spécificité puissent faire appel les uns aux autres pour compléter cette aide qui ne peut pas s'appliquer sur un seul domaine, qui doit donc être multiple pour que l'aide soit vraiment efficace. Il faut quand même se souvenir que le code de déontologie impose ce travail en réseau, puisqu'il prévoit qu'il y ait une collaboration entre les services. Il prévoit aussi que l'on organise des réunions. Ces réunions permettent de mieux nous connaître, de savoir dans quelle réglementation, dans quelle législation chacun travaille, et parfois tout simplement de connaître le nom de la personne à contacter. Le code de déontologie prévoit aussi que les familles soient prévenues, qu'il y ait des informations qui soient échangées aussi à leur sujet. Donc ça c'est important. Le code de déontologie consacre plusieurs, quatre ou cinq articles à ce sujet-là, alors qu'il en comporte 15. Donc il y accorde une importance vraiment très grande. Alors, ce qu'on peut dire aussi, c'est que le fait de travailler en réseau amène à une co-responsabilité. C'est-à-dire qu'on ne va pas être le seul à chercher les solutions, on ne va pas être le seul non plus à les appliquer. Et ça c'est quand même une garantie pour la famille, que finalement l'aide va être apportée par plusieurs personnes, avec parfois plusieurs points de vue différents, et je pense que ça peut être rassurant pour elles.

5. Travail en réseau : tout ne doit pas se dire

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Est-ce que vous pensez que tout doit se dire entre les différents intervenants ou pas forcément ?

Tout ne doit pas se dire, puisqu'on est tenu au secret professionnel. Le secret professionnel, tout le monde n'y est pas tenu, donc il faut d'abord s'assurer que l'intervenant va avoir les mêmes contraintes que nous à ce sujet. Si on prend les enseignants par exemple, ils ont un devoir de réserve, mais ils n'ont pas le secret professionnel. Donc on ne va pas leur expliquer les mêmes choses qu'un travailleur par exemple de PMS, parce que tout simplement il faut être certain que les informations que l'on va donner vont rester dans le cercle des intervenants, avec l'obligation de ne pas les transmettre. On peut se dire aussi qu'il faut échanger seulement quand c'est nécessaire, et seulement sur les sujets qui sont indispensables à un bon travail. Encore une fois, en prévenant les familles, mais en étant toujours attentif au fait que il faut aussi que les différents services aient le même objectif. Si le CPAS par exemple demande des informations, on sait que lui est attentif à l'aspect financier des choses, ce qui n'est pas le cas de l'aide à la jeunesse. Donc là il faut aussi être très regardant aux informations que l'on va transmettre.

6. Les écueils du travail en réseau

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Selon vous, quels sont les écueils du travail en réseau ?

C'est vrai que tout n'est pas rose dans le travail en réseau. On peut dire qu'on constate au jour le jour que lorsqu'il y a par exemple la dispersion du travail, où l'on ne sait plus très bien qui fait quoi, alors on risque de passer à côté de tas de dangers qui peuvent être importants et qui amènent à des drames. On peut se dire aussi qu'il peut y avoir superposition. C'est-à-dire que plusieurs services peuvent faire la même chose, et donc c'est une perte de temps et d'énergie. Il peut y avoir morcellement, avec l'aide dès lors qui va être mal orientée, parce que chacun va travailler sur un sujet différent qui n'est finalement pas le bon. Il y a également le problème de la « patate chaude », où chacun va se dire « ce n'est pas moi, c'est l'autre », et donc là aussi on passe à côté de graves dangers. Et puis il y a un sujet que je trouve important quand même, dont il faut parler en ce qui concerne le travail en réseau, c'est qu'on est quand même dans un État de droit, que les familles ne doivent pas se sentir cernées par tout un tas d'intervenants qui connaissent tout d'elles et qui finalement ne seront jamais tranquilles ; seront toujours observées, depuis la naissance de l'enfant jusqu'à ce qu'il devienne adulte. Et je trouve que surtout au SPJ, puisque là on est dans la contrainte, c'est encore plus essentiel qu'au SAJ par exemple, il faut qu'à un moment on puisse se dire qu'il n'y a plus besoin qu'il y ait des échanges d'informations entre les services, parce qu'il n'y a plus de dossiers par exemple, et que, il faut que les familles retrouvent leur liberté. Et en tout cas, en matière d'aide à la jeunesse, moi je suis extrêmement attentive à ça, je suis attentive au fait, comme lorsque les gens sont dans la contrainte c'est qu'ils retournent le plus vite possible dans l'aide acceptée, ou bien qu'ils n'aient plus besoin de nous. Et donc par voie de conséquence qu'ils n'aient plus autour d'eux un tas de services si ce n'est pas nécessaire et si ce n'est pas les familles elles-mêmes en tout cas qui ont été chercher ces services. Donc pour moi en tout cas, l'écueil ce serait de revenir à un paternalisme qui ferait que finalement la population soit entourée par des intervenants qui croient tout savoir, alors que franchement on en est très loin.

 

 

1. Des intérêts divergents ou un intérêt commun ?

Pierre-André HALLET - Juge de la jeunesse

Les participants à ces réunions ont des intérêts relativement divergents, en tout cas évoluent dans des mondes relativement différents. Selon vous, quel est l'intérêt commun finalement de toutes ces personnes, de se mettre autour de la table ?

Je ne dirais pas qu'ils ont des intérêts divergents. Ils ont essentiellement un intérêt commun : c'est l'ensemble du secteur de l'aide à la jeunesse. Chacun avec nos attributs, nos fonctions, nos responsabilités, notre autorité, nous intervenons tous dans l'intérêt du jeune, c'est vraiment un critère qui nous réunit tous, ça me paraît évident. Et j'ai envie de dire, avec a fortiori dans ce secteur-là, si on y travaille c'est qu'on a vraiment une passion pour la jeunesse. Donc l'intérêt n'est certainement pas divergent. Les fonctions sont vraiment différentes, les statuts sont différents, les responsabilités sont différentes. Ça c'est très clair. Entre une AMO comme Droit des jeunes et un juge, le moins qu'on puisse dire c'est qu'on ne se situe pas sur l'échelle d'intervention dans l'aide à la jeunesse sur le même pied, au même niveau. Cependant je pense qu'il est vraiment intéressant d'être confronté chacun dans nos fonctions, même si ça fait l'objet parfois de polémiques assez importantes, mais c'est ça qui est enrichissant aussi. Comprenez-moi bien, c'est clair qu'il y a des missions qui sont différentes, les fonctions sont différentes, mais nous avons vraiment un intérêt commun. Et ça nous l'avons ressenti très clairement lors de ces rencontres au Carrefour jeunesse. On est par rapport à la finalité sur la même longueur d'onde. Nous cherchons à faire en sorte que la situation s'améliore dans la région de Charleroi, dans l'intérêt du jeune, point. Ça je pense que c'est très clair, que c'est ce qui nous motive tous à nous réunir, même si nous avons des divergences de point de vue qui sont parfois très conséquentes.

2. Deux réussites essentielles

Pierre-André HALLET - Juge de la jeunesse

Est-ce qu'il y a selon vous des réussites engrangées grâce à ce dispositif ?

A première vue moi je vois deux réussites essentielles. Pour moi la plus importante des réussites c'est qu'on a pu pérenniser la chose : on a un lieu de dialogue qui est maintenant en quelque sorte « institutionnalisé » - le terme est peut-être un peu excessif - structuré et organisé, où les responsables de services sont présents. Et je pense qu'à la longue, même si parfois le dialogue est encore un peu rude, on a une estime réciproque et ça me paraît vraiment essentiel. Seconde réussite : on a eu l'occasion dernièrement d'organiser un colloque qui a eu un franc succès. Ce succès m'a même surpris, parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de monde. Ce qui est d'ailleurs révélateur qu'il y a une demande d'information. Ça a été organisé par le Carrefour jeunesse, je trouve que c'est une formidable réussite également.

3.Les difficultés rencontrées

Pierre-André HALLET - Juge de la jeunesse

Est-ce qu'il y a par contre des obstacles, des difficultés, qui restent importantes notamment en termes de dialogue et d'échange ?

Deux choses. Première chose, je pense qu'il faudrait réfléchir à la composition de ce Carrefour jeunesse. Finalement, c'est un peu étonnant, il y a deux représentants du parquet, deux représentants du barreau, il n'y a qu'un seul représentant pour le SPJ, un seul représentant pour le SAJ, un seul représentant pour la magistrature assise, les juges, et un seul représentant pour l'ensemble des secteurs mandatés de l'aide à la jeunesse. Ça ne me paraît pas très équilibré. Seconde difficulté : c'est de se mettre d'accord sur le sens des mots. Nous venons d'horizons différents, nous venons de cultures différentes, nous avons des formations différentes et il est vraiment difficile de bien se comprendre. Ça c'est vraiment encore un écueil bien présent. C'est bien d'avoir des bases communes au niveau du langage, et ça je me rends compte que c'est vraiment encore une difficulté. Je ne me décourage absolument pas du tout, je pense qu'à force de discuter, de dialoguer, même parfois rudement, on va arriver à un résultat positif.

Une amélioration du dialogue ?

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Un des objectifs était d'améliorer le dialogue et la communication entre les acteurs. Est-ce que vous constatez dans votre pratique quotidienne que c'est le cas, qu'il y a une amélioration ?

Non, je n'irais pas jusque là. Nous nous réunissons à huit et entre les personnes qui sont là présentes, le dialogue soit est approfondi, soit pour certains débute. Parce que nous revenions de loin, dans l'absence de communication. De là à dire que de manière générale dans l'ensemble du secteur la communication circule mieux, non, on n'en est pas du tout encore là. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je pense que ce serait important d'un peu modifier sa composition pour permettre probablement à d'autres représentants du secteur d'être présents et d'être le porte parole de leur association. Ça je pense que c'est important. Autrement dit, je pense qu'il est vraiment essentiel qu'il y ait un retour dans le secteur de la façon dont ça se déroule et que les personnes qui soient présentes soient bien le porte-parole. Si on veut améliorer la communication de manière générale, ça me paraît vraiment un élément important.

 

 

1. La motivation initiale du barreau

Florence JADOUL - Avocate et Présidente de la Commission Jeunesse du Barreau de Charleroi

Quel était votre état d'esprit au début de cette initiative ? Qu'est-ce qui vous a motivé à y participer ?

La motivation initiale du barreau quant à sa participation au Carrefour Jeunesse vient d'un constat qui est que dans les dossiers d'aide et de protection de la jeunesse, interviennent une quantité d'acteurs. Ces acteurs ont des logiques d'interventions souvent très différentes et ils se connaissent très mal. Ce qui fait que très souvent, chacun travaille dans sa sphère d'intervention de manière assez cloisonnée, sans trop se soucier de ce que les autres vont faire. Ce qui selon moi engendre une perte d'efficacité. Donc l'initiative du Carrefour Jeunesse est apparue comme extrêmement intéressante dans la mesure où elle permettait de réunir autour de la table ces différents acteurs, afin de mieux se connaître et à terme de pouvoir avoir une intervention globale beaucoup plus cohérente.

De votre point de vue, quel était l'intérêt commun de tous ces acteurs autour de la table ?

Je dirais que le premier intérêt commun était de pouvoir mieux se connaître, mieux connaître nos logiques d'intervention, mieux connaître nos pratiques quotidiennes, et mieux connaître aussi les difficultés que nous pouvons vivre dans le cadre de notre travail. Un second intérêt était de pouvoir poser sur la table des questions d'intérêt commun, donc des questions qui nous intéressent vraiment tous, même si nous avons chacun des opinions différentes, dans la mesure où nous avons des intérêts particuliers qui sont divergents.

2. Les réussites de l'initiative

Florence JADOUL - Avocate et Présidente de la Commission Jeunesse du Barreau de Charleroi

De votre point de vue, quelles sont les réussites du dispositif ?

J'identifie principalement deux réussites. La première réussite est qu'il y a une meilleure connaissance des uns et des autres. Je dirais qu'une expérience qui a été tout à fait exceptionnelle, en tout cas pour les avocats, était la réalisation d'un DVD sur le rôle de l'avocat du mineur. Ce DVD évidemment vise dans un premier temps les mineurs, puisqu'il y a d'ailleurs une version pour les 6-12 ans et une autre pour les 12-18 ans. Mais je crois que c'est un outil tout à fait appréciable également pour les autres acteurs qui interviennent afin de mieux connaître le rôle de l'avocat et de pouvoir favoriser son intervention, chacun bien entendu dans le respect de son rôle. La deuxième réussite est selon moi d'avoir pu poser certaines questions d'intérêt commun et d'avoir pu susciter un débat autour de cet intérêt commun. Et donc je pense notamment à la réalisation, au mois d'octobre 2007, d'une journée d'étude relative à la transmission d'informations, qui est un thème qui nous concerne tous. Et dans le cadre de cette journée d'étude, nous avons pu avoir des exposés sur la question et aussi des débats très enrichissants, dans la mesure où ils permettaient de réunir les opinions de professionnels d'horizons différents.

3. Les difficultés rencontrées

Florence JADOUL - Avocate et Présidente de la Commission Jeunesse du Barreau de Charleroi

Par contre, est-ce qu'il y a eu quand même des difficultés dans ce dialogue entre les différents acteurs ?

Selon moi, je dirais que la difficulté principale qui est rencontrée actuellement, c'est que par rapport à ces questions d'intérêt commun que nous avons pu poser et pour lesquelles nous avons pu avoir un débat, actuellement nous souhaiterions avoir vraiment des réponses tranchées par rapport à ces questions. Hors ces réponses arrivent très très lentement. Je pense tout simplement par le fait que nous avons des intérêts particuliers qui sont en effet différents. Et il y aurait évidemment un intérêt à pouvoir avoir des réponses à ces questions, pour pouvoir les appliquer dans le cadre de notre travail quotidien, afin justement de pouvoir être plus efficace et de pouvoir avoir une gestion des dossiers beaucoup plus cohérente.

 

1. Le constat de départ

Anne HONNOREZ - Substitut du Procureur du Roi auprès du Parquet de Charleroi - section jeunesse

Est-ce que vous constatiez dans votre pratique quotidienne qu'il y avait un réel problème d'échange ou de communication entre les différents partenaires et est-ce que cela posait problème ?

Je pense que tout le monde est arrivé à ce constat-là, que finalement chacun travaillait dans son secteur. C'est clair qu'on est tous motivés par le même intérêt qui est l'intérêt de l'enfant. Je pense que chacun dans nos secteurs différents c'est ce qui nous anime, c'est cette motivation-là. Mais effectivement, on est arrivé au constat que chacun travaillait dans sa dynamique, dans sa logique, sans spécialement faire attention à ce qui se passait à côté et sans s'occuper spécialement des intérêts des autres acteurs finalement, alors qu'on était tous animés par le même intérêt qui était l'intérêt de l'enfant. Oui, ça je pense que ce constat-là on pouvait clairement le faire.

2. Une réussite: le dialogue Parquet/SAJ

Anne HONNOREZ - Substitut du Procureur du Roi auprès du Parquet de Charleroi - section jeunesse

De votre point de vue, quelles sont les réussites engrangées à travers ce dispositif ?

Pour moi il y en a une certainement, c'est le dialogue entre nous. Et je dirais plus particulièrement entre nous, Parquet de la Jeunesse, et le Service d'Aide à la Jeunesse, qui finalement est notre interlocuteur privilégié, le premier avec qui nous avons des contacts. Je pense qu'il y avait une absence totale de dialogue et j'irais même plus loin, il y avait même une incompréhension. Je pense qu'on ne se comprenait pas. On travaillait chacun avec nos règles. Les règles du milieu judiciaire ne sont pas les mêmes que les règles du secteur social, et notamment au niveau du facteur temps. Puisque pour nous, il y a des délais à respecter, on travaille sans doute plus vite que le travail qui est accompli dans le secteur social. Et je pense qu'à certains moments il y avait une réelle incompréhension entre nous. Ce Carrefour Jeunesse a permis de lever cette incompréhension, et finalement de travailler beaucoup mieux. Nous avons mis en place une certaine méthode de travail qui nous aide beaucoup, aussi bien le Service d'Aide à la Jeunesse que le Parquet de la Jeunesse. Il permet d'éviter les incompréhensions mutuelles. Notamment, je peux citer un exemple concret: quand nous envoyions un dossier au Service d'Aide à la Jeunesse, nous n'avions jamais de retour. Et donc, à partir du moment où ce dossier était envoyé chez eux, on ne savait pas se qui se passait. Ce qui justifiait à certains moments qu'on relançait les enquêtes ou qu'on les interpellait, alors qu'ils ne nous répondaient pas. Alors maintenant on a trouvé une méthode de travail ; dès qu'on envoie un dossier chez eux, on a un accusé de réception et on sait ce qui est fait. Ce qui suscite évidemment un gain de temps pour tout le monde ; on ne sollicite plus spécialement les services de police, et eux on ne les inonde pas de courriers non plus. Et je pense que de cette manière-là les choses sont beaucoup plus claires.

3. Les difficultés rencontrées

Anne HONNOREZ - Substitut du Procureur du Roi auprès du Parquet de Charleroi - section jeunesse

Lors de notre journée de travail en octobre 2007, nous avions choisi un sujet qui était pour moi un sujet fort intéressant : la place et le rôle de l'avocat. Le fait que les services communiquent des informations aux avocats. Et je pense que par rapport à tout ça on n'est pas arrivé au bout de notre travail. Et donc je pense qu'on s'est rendu compte aussi que l'administration est une machine quand même relativement lourde. Je pense qu'au sein de ce groupe de travail, la quasi totalité des personnes qui étaient là avaient envie de faire avancer ce sujet et de permettre un meilleur échange d'informations entre les services, entre les avocats et tous les acteurs présents. Ici on se rend compte qu'au niveau de l'administration c'est quand même lourd à mettre en place et que les avancées ne sont pas aussi significatives qu'on l'aurait voulu.

4. Le travail en réseau

Anne HONNOREZ - Substitut du Procureur du Roi auprès du Parquet de Charleroi - section jeunesse

Pour le Parquet Jeunesse, est-ce que la notion de travail en réseau est essentielle pour pouvoir fonctionner correctement ?

Moi je pense que c'est important. Parce que nous sommes tous animés par le même intérêt, qui est l'intérêt de l'enfant. Et donc moi je pars du principe qu'il faut qu'il y ait un maximum de dialogue entre nous tous et un maximum d'échange d'informations. En plus, le Parquet Jeunesse est vraiment la plaque tournante ; il reçoit les informations du SAJ, du SPJ, s'il y a un dossier pénal qui est ouvert, on peut nous prendre les informations et éventuellement les communiquer, dans la mesure évidemment du respect du secret de l'instruction, du secret de l'information, mais je pense que c'est fondamental. Et le fait de se connaître et de se voir régulièrement, permet plus facilement, ça je pense qu'il faut être clair, permet plus facilement cet échange d'informations. Mais j'insiste bien sûr, toujours dans le respect des règles de Droit pénal et dans le respect du secret de l'information, de l'instruction. Mais je pense que le fait de se connaître fait tomber des barrières et permet un meilleur échange d'informations. Ça je pense que c'est fondamental. Et c'est ce que je retiens moi de tout ce travail en réseau.

 

 


 

Les actions

 

 

Quelle communication entre les partenaires ?
Quels échanges d'informations ? A qui ? Pourquoi et comment ?

11 octobre 2007, à Charleroi, les acteurs du monde judiciaire au niveau de la jeunesse et du monde social se rencontraient lors d'une journée de réflexion. Juges, avocats, membres du parquet et du barreau pouvaient donc échanger avec les acteurs du monde social, tels que les membres des SAJ, SPJ, des services privés mandatés ou non. Ces deux mondes sont en effet amenés à travailler ensemble pour veiller à l'intérêt du jeune mais ce n'est pas toujours facile, la logique sociale et la logique judiciaire sont souvent éloignées.

Lors de différentes rencontres entre les partenaires au sein du Carrefour Jeunesse, il est vite apparu opportun d'organiser une journée de réflexion ouverte à tous les acteurs concernés.

Trois thèmes étaient au programme de cette journée : l'échange d'informations entre SAJ et Parquet ; la problématique de l'aide contrainte et de l'aide sociale, deux réalités difficiles à concilier ; et enfin la question du rôle de l'avocat du mineur, encore trop souvent méconnu notamment aux yeux des services privés. Mais c'est aussi la passation d'informations entre services privés et avocats qui a été abordée. Un débat qui a suscité beaucoup de remous. L'avocat a-t-il accès aux rapports des services privés ? Rien dans la loi ne l'oblige ou l'en empêche, un flou juridique donc qui ouvre la porte à des pratiques très différentes selon le bon vouloir de chacun. Les participants à cette journée se sont accordés pour dire que cette question, sans nul doute, devra être traitée rapidement en profondeur, tout comme les autres questions soulevées lors de cette journée. Des avancées donc mais encore beaucoup de travail !

 

Le rôle de l'avocat du mineur est souvent méconnu et complexe à expliquer. Pour remédier à cela, le Carrefour Jeunesse de Charleroi a produit un film de sensibilisation et d'information. En quelques minutes, les raisons pour lesquelles un jeune peut faire appel à un avocat, les questions du secret professionnel, du coût de l'avocat ou encore de l'audience face au juge sont ainsi expliquées aux jeunes.

 


 

Outil méthodologique

 

Analyse: « Carrefour Jeunesse » à Charleroi - Une action communautaire sous forme d'« intermédiation »

Par Jean Blairon

 

 

L'intiative date de 2002 ; le projet initial est porté par le SDJ de Charleroi, en partenariat avec le barreau de Charleroi : le SDJ fait en effet régulièrement appel au Barreau pour soutenir des mineurs dans certaines actions, recours, etc. Le constat opéré est toutefois que la défense des mineurs peut être insuffisante vu le manque de contacts entre le jeune et son avocat.

Les objectifs de départ sont énoncés comme suit :

  • tenter d'améliorer le dialogue entre les professionnels de l'aide à la jeunesse, qu'ils soient issus du monde judiciaire ou du monde social, qu'ils appartiennent au service public ou au secteur associatif ;
  • renforcer la coordination des interventions, indispensables pour une aide adéquate et efficace du jeune et des familles en difficulté ; à cet effet, rendre la communication entre tous plus efficiente ;
  • initier des interpellations si nécessaires.

Nous trouvons dans ces énoncés à la fois un écho des missions communautaires des AMO (notamment l'évocation classique du thème de « l'interpellation ») et des références à la conception de la prévention qui prévaut dans le secteur de l'aide à la jeunesse (ou en tout cas qui prévalait à cette époque) : l'accent est mis sur les violences quotidiennes, même involontaires, qui peuvent se produire dans les institutions ou les relations entre celles-ci et qui, venant se cumuler à des violences de structures (se marquant dans l'inégalité ou l'exclusion), sont susceptibles de produire chez les jeunes des « comportements de réponse » peu adéquats et souvent répréhensibles : se mettre en danger, retourner la violence contre les autres.

A ce titre, le projet est subventionné par le Conseil d'arrondissement de Charleroi (CAAJ).

Le « groupe » porteur du projet réussit trois avancées :

  • la constitution d'un guide reprenant l'identité, les missions, coordonnées de chacun (services publics, privés, avocats) ;
  • une enquête portant sur les difficultés que les uns et les autres pouvaient être amenés à rencontrer au regard des objectifs précités ;
  • une rencontre (septembre 2002) permettant de rendre raison de l'enquête et de lister des problématiques prioritaires.

 

Sans prétendre évidemment ici nommer des responsabilités ni même les évoquer, force est de constater que le projet, en se déployant, tend à se déliter.

  • Le guide tend rapidement à l'obsolescence, eu égard notamment aux changements importants et fréquents qui frappent les « entités » ou groupes concernés ; sollicité, le CAAJ refuse de subventionner une réédition.
  • Diverses tables rondes sont organisées à partir de 2003, mais elles pâtissent de deux difficultés : organisées sur base volontaire, elles ont tendance à s'éloigner au moins en partie des priorités définies par le collectif en septembre 2002 (ainsi, un groupe se mobilise à propos de la création d'Everberg, sans que le lien avec Charleroi soit centralement pris en compte ; le volontariat conduit à des investissements variables sans que personne ne se sente autorisé à émettre des remarques :comment reprocher à des volontaires de s'investir insuffisamment ?

Le délitement relatif ainsi que l'éclatement partiel du projet (4 sous-groupes de travail sont créés, avec des fonctionnements, des rythmes et des résultats très différents) produit son enlisement : à partir d'un certain moment, les choses ne paraissent plus avancer.

En 2005, toutefois, plusieurs partenaires réexpriment leur intérêt : le SDJ est interpellé par certains services privés de l'aide à la jeunesse ainsi que par des magistrats à propos de « l'avancement » du projet ; une évaluation est décidée1.


Elle est confrontée à deux paradoxes : aucun protagoniste n'a fait défaut et on ne peut incriminer les actions des uns ou des autres, cependant le projet a perdu son rythme ; malgré cet enlisement, l'intérêt des partenaires ne faiblit pas.

  1. C'est à ce moment et dans ce cadre évaluatif que RTA est sollicité. Dans les pages qui vont suivre, nous ne relatons pas la logique d'intervention (et notamment les étapes de son déroulement), dans la mesure où elle est secondaire. Nous souhaitons plutôt mettre l'accent sur les conditions de cohérence et de pertinence de ce type d'action.

 

L'évaluation trouve son centre de gravité dans un nouveau plan de référence : la sociologie de l'acteur-réseau, développée par l'équipe de l'École Supérieure des Mines de Paris, notamment par Michel Callon.
A partir de l'analyse des conditions de réussite d'un tel réseau2, des réajustements sont opérés, qui permettent au projet de se redéployer. Nous présentons ici ces conditions, sans qu'il soit nécessaire de développer comment les protagonistes du « Carrefour Jeunesse » de Charleroi les ont progressivement mises en oeuvre. Qu'il suffise de dire qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, ces conditions sont toutes remplies.

Les conditions de réussite que nous évoquons ne correspondent pas à une succession standard : chacune doit être activée autant que possible ; c'est au cas par cas que des priorités séquentielles3 se dégagent.

a) Une problématisation commune

Un premier point consiste à reconnaître que nous ne sommes pas dans le cas de figure d'un réseau de coopération4, à savoir un réseau dont les protagonistes sont réunis dans une communauté de vues et d'intérêts. Nous avons à faire à l'inverse à un réseau d'acteurs dont les intérêts peuvent être clairement divergents, ou à tout le moins ressentis comme tels. Les avocats, par exemple, comme le SDJ peuvent être amenés à s'opposer à telle ou telle décision prise par les autorités, s'ils estiment qu'elle n'est pas conforme à l'intérêt du jeune ; les instances entre elles ( TJ/SPJ ; Parquet/SAJ), appartenant à des mondes différents ou à des orientations différentes d'un même monde (SAJ/SPJ), peuvent vivre leurs relations sur le mode de la concurrence ou du rapport de force, etc.

Reconnaître ces divergences comme irréductibles est un premier pas ; trouver une « problématisation » commune, un second. Par problématisation, il faut entendre à la fois une manière de formuler des problèmes et une « association » d'acteurs qui, se reconnaissant en elle, acceptent d'envisager de « lier leur sort » à la recherche d'une solution.

Il faut noter qu'une fois cet « accord »  obtenu, la définition des acteurs va bouger, puisque la représentation que chacun se fait de l'autre va être amenée à bouger.

Pour qu'une problématisation semblable puisse réussir, il faut que les conditions suivantes soient réunies :

  • un « primum movens » doit exister, et réussir à se rendre indispensable : ici, c'est le SDJ qui demande l'évaluation, en s'appuyant sur les interpellations qui lui sont adressées et sur les réussites déjà engrangées;
  • une formulation qui permet à ce réseau d'intérêts divergents de se réunir ; en l'occurrence, il s'agit d'une question : nos relations (et non les actions de chacun en tant que tel) rencontrent-elles l'intérêt des bénéficiaires ?
  • Un « point de passage obligé », concret : décider si oui ou non Carrefour Jeunesse continue, décision qui doit être prise après l'évaluation.

b) Un « intéressement »

Il s'agit en l'occurrence des actions qu'il s'agit de mettre en place pour « stabiliser » les définitions et relations nouvelles permises par la problématisation. Ces actions relèvent d'une « inter-médiation » parce qu'elles ne peuvent être menées que par un acteur qui réussit à se mettre « entre » tous les autres, pour faire circuler les informations, sceller les alliances, stabiliser les formulations.

Le SDJ est tout indiqué pour jouer ce rôle : ayant un pied dans chaque monde, il possède dans chacun une légitimité forte. A une condition : c'est que le travail d'intermédiation se substitue à ses velléités éventuelles d'interpellation à propos des actions menées par le réseau.

Mais l'intéressement passe aussi par la circulation d'objets techniques (des « acteurs non humains » dans la terminologie de Callon) : en l'occurrence un site internet prendra le relais du « guide » imprimé évoqué ci-dessus, puisque la souplesse de ce support permettra une actualisation permanente.

Un intermédiaire ne « s'impose » que par une relative dissociation par rapport à d'autres scénarios. En premier lieu, c'est l'alliance SDJ/avocats, comme « animateurs » du réseau précédent qui doit s'effacer devant la nouvelle formule. Mais il existe aussi beaucoup d'autres « associations » possibles et éventuellement concurrentes – ne serait-ce qu'en termes d'investissement-temps : les réunions de concertation avec les magistrats initiées par la Direction Générale de l'aide à la jeunesse, des réunions de coordination entre services privés, les réunions de l'Union des Conseillers et Directeurs, etc. Certes il n'y a pas de concurrence directe entre ces projets différents, mais il convient que « Carrefour-Jeunesse » retrouve et garde une spécificité suffisante pour conduire chaque protagoniste à y investir en tant que tel.

L'enjeu concerne tout le déroulement du projet, dans la mesure où, dans bien des cas, une « avancée » locale peut dépendre ou concerner aussi d'autres groupes, d'autres arrondissements, d'autres niveaux de responsabilité. Le travail de l'intermédiaire est de fait très complexe, puisqu'il doit aussi « se tenir entre » une extension du projet éventuellement non maîtrisée (d'où un risque de dilution du réseau, voire sa disparition) et une réduction stricte au local, qui peut manquer d'efficacité.

Dans le cadre de ce travail, l'intermédiaire reconnu peut certes prendre des initiatives : convoquer des réunions, en rédiger les rapports, contacter les protagonistes... Mais « être entre » ne veut pas dire piloter, que du contraire. C'est une condition sine qua non de l'intéressement (le projet ne doit pas devenir implicitement « le projet du SDJ », il doit rester, comme nous allons le voir un projet collectif). Pour marquer cette différence, les réunions sont animées par un extérieur (RTA en l'occurrence). Un fragile équilibre doit être respecté, en gardant à l'esprit que l'efficacité est celle du processus collectif, non celle qui ressortit aux idées ou choix de l'intermédiaire.

c) L'enrôlement et les porte-parole

Un tel réseau d'acteurs à intérêts divergents ne peut fonctionner que si chaque protagoniste y joue un vrai rôle, que si des négociations multilatérales permettent à l'ensemble de tenir et de se consolider.

En l'occurrence, deux questions devaient être résolues : qui doit participer ? Sous quelle forme ?

Il est vite apparu que tous les protagonistes devaient participer si l'on voulait avoir quelque chance de succès : il s'agissait donc de mettre au poste de pilotage le Parquet, le Tribunal de la Jeunesse, les Conseillers et Directeurs de l'aide à la jeunesse, les avocats, les services privés.

Quant à la forme, il est clair que chacun des protagonistes devait se trouver en permanence sur un strict pied d'égalité et avoir des possibilités égales de participer aux décisions sur la vie du réseau.

La solution ne pouvait passer que par :

  • l'instauration d'un groupe de pilotage (« groupe porteur ») où les protagonistes peuvent se rencontrer sur un pied d'égalité;
  • la mobilisation de « porte-parole » légitimes de toutes les instances concernées pour participer au dit groupe-porteur.

Les différences de fonctionnement, de culture et de taille des protagonistes doivent être prises en compte pour assurer la légitimité des porte-parole : à certains moments au moins, ils doivent « engager » leur groupe dans une orientation ou une décision. Différentes formes de légitimité ont été mobilisées : par l'action (des réunions de consultation et de concertation, formelles ou informelles), par la position (par exemple pour les chefs de service), par élection/désignation, etc.
L'essentiel ici est que chaque protagoniste soit laissé libre de son système légitimité, à charge pour lui de « l'entretenir » voire de la vérifier.

d) Une vigilance de tous les instants, une transparence suffisante

On imagine sans peine que l'institution d'un pareil réseau dans la durée implique une forte vigilance.

Voici quelque points significatifs.

Un équilibre ressenti comme tel par chacun doit être maintenu dans le groupe porteur : aucun protagoniste ne doit être sur-représenté aux yeux d'un autre.

Pour l'intermédiaire, plusieurs conditions doivent rester réunies : l'exécution de ses tâches techniques (rapports, convocations...) doit être sans faille ; il convient qu'il garde sa position d'intermédiaire, ce qui lui impose de ne pas prendre d'initiatives trop marquées en termes de contenus ou d'orientation, si ce n'est précisément dans l'intermédiation ; il s'impose qu'il ne revendique en rien la réussite du projet collectif.

Pour les porte-parole, outre l'entretien de leur légitimité, il importe que les groupes qu'ils représentent se sentent toujours concernés et mobilisés et y trouvent aussi leur intérêt. Par exemple, l'organisation d'un colloque public (en octobre 2007) où chaque membre de chaque entité a pu participer, a constitué un moment déterminant, qu'il conviendra de renouveler périodiquement, sous une forme ou sous une autre.

Quant à l'exigence de transparence minimum, elle porte sur le fait que par rapport aux relations des protagonistes entre eux, aucune action ne soit entreprise (surtout de nature conflictuelle) sans qu'un minimum d'information préalable ne soit communiqué.

  1. Pour une présentation plus détaillée de cette théorie, on se reportera à J. Fastrès, « La structure de l'environnement : les AIS, acteurs d'un réseau ? », in Polymorphisme, paradoxes et dilemmes - Les difficultés de la fidélité institutionnelle, magazine Intermag. Ce travail et le présent article se réfèrent prioritairement au texte de M. Callon, « Eléments pour une sociologie de la traduction, La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », in L'année sociologique, 1986.
  2. Ces priorités conduisent à choisir « par où commencer ».
  3. Sur l'étude de ce type de réseau, voir C. Bartholomé, « Il faut travailler en réseau !», magazine Intermag, décembre 2007.

 

Ce dernier point suffit à évoquer toute la distance qui sépare une action communautaire par l 'intermédiation d'une pratique d'interpellation. Il ne s'agit évidemment en rien de dresser une hiérarchie de valeur entre ces deux logiques d'action, mais bien d'insister sur les conditions de pertinence (en cas de réseau d'acteurs à intérêts divergents) et de cohérence (les conditions à respecter par l'AMO si elle assume le rôle d'intermédiaire) de la logique d'action qui s'est recommandée pour le Carrefour jeunesse de Charleroi.

L'obligation pour l'intermédiaire de se tenir strictement à un rôle qui implique à la fois transparence (ne pas utiliser les informations reçues dans un autre contexte), ouverture (parier sur la définition réciproque des acteurs, favoriser l'évolution des identités) et modestie (s'en tenir rigoureusement à un rôle (apparemment) technique – mais qui est tout autre) constitue une exigence très élevée et relativement vertueuse : en aucun cas, il ne peut s'agir de « tirer à soi » la réussite de l'action, alors que l'intermédiation la rend objectivement possible.

Nous nous trouvons certainement là dans une innovation culturelle, qui implique en outre un investissement important dans la formation des travailleurs, pour qu'ils puissent être au diapason des exigences élevées qui sont posées.

 

 


 

* Les titres et fonctions des intervenants sont en regard de la date de réalisation de ce Carnet : 2008