Carnet de l'aide à la jeunesse
Institut Cousot :
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Introduction
Dinant, janvier 2007. Un directeur d'école poignardé et grièvement blessé par un élève. Un tragique fait divers, qui fait brusquement la une des JT et de la presse écrite, qui bouscule les agendas politiques, qui provoque une vague de solidarité et d'indignation. Comme un atome dans un accélérateur de particules, cela part dans tous les sens. Puis, l'agitation retombe, et l'école poursuit son chemin. Mais c'est justement dans ce calme médiatique, celui d'avant et celui d'après, que les choses se passent. Car l'institut Cousot est de ces écoles qui investissent dans la prévention; et si le drame a secoué toute la communauté éducative, il ne l'a pas fait trembler sur ses bases.
C'est cette dialectique entre le champ et le hors-champ, entre ce qui est montré et ce qui ne se voit pas, que nous avons voulu interroger dans ce carnet. Mais nous avons aussi voulu montrer le rôle ambigu joué par les médias dans la situation. Près d'un an et demi après les faits, un bilan loin des projecteurs.
Nous avons voulu faire un retour sur les faits et leur enchaînement, côté cour et côté jardin. Quelles sont les réactions des uns et des autres, tout de suite après l'agression ? Et après, quand du temps a passé et que les médias se sont lassés?
Rappel des faits
Le lundi 22 janvier 2007, Pierre Jacquet, le directeur de la Communauté libre Cousot à Dinant, est frappé de 7 coups de couteaux par un élève de 16 ans, qui venait d'être renvoyé pour trafic de haschisch au sein de l'établissement. Le jeune homme était inscrit depuis peu dans l'école. Il venait du Kosovo avec sa famille, installée dans la région, et en attente de régularisation.
C'est la consternation parmi les élèves et les enseignants. Les cours sont suspendus, la presse s'empare de l'affaire.
Deux jours plus tard, les élèves sont de retour en classe, où ils sont pris en charge par leurs titulaires et où ils peuvent parler de l'affaire et se décharger des émotions accumulées. Puis, en cortège, toute l'école se rend au centre hospitalier où le directeur est soigné, avec un slogan sur une bannière : "soutien à notre directeur, confiance en notre projet éducatif".
Les élèves : " Confiance en notre projet éducatif "
Ce n'étaient pas que des mots pour tous ces jeunes. Autant, autour d'eux, les médias relayaient-ils l'information et les réactions de tous bords se faisaient-elles jour, autant le mot d'ordre interne était " retour à la normale ", autrement dit " confiance en notre projet éducatif ". Loin du tintamarre médiatique, la solidarité se jouait sur un tout autre registre. " Ce fait divers aurait pu nous démotiver. C'est l'inverse qu'il produit ", commente le sous-directeur, Jean Colot.
Les réactions fleurissent partout, et notamment sur la toile. Dans " enseignons.be ", une enseignante, légitimement scandalisée par l'agression, se demande pourquoi il n'y a pas de réactions d'enseignants sur le forum : " La violence est-elle devenue à ce point banale ? Fait-elle déjà partie de notre quotidien ? ". Des élèves de Cousot répondent, et leurs réponses sont éloquentes.
" Chère Madame, je suis une élève de l'école Georges Cousot, j'étais présente lorsque tout ça s'est passé, il n'y a pas de commentaires tout simplement parce que tout le monde aimerait trouver la paix et continuer la vie telle qu'elle était avant dans l'école. Notre directeur est un homme fort sympathique qui nous a appris plein de choses et nous a surtout appris le respect donc on veut oublier cette histoire et se concentrer sur nos cours et sur la convalescence du directeur. Cet élève n'était présent que depuis une semaine à l'école, les autres élèves de Cousot auraient été incapables de faire ça, car chacun éprouve énormément de respect et de sympathie pour le directeur. " Et un autre : " N importe koi kom si les prof allai exprime leur réaction sur un site c po une attraction se ki c passe hin !(…) Mettait vous a notre place (prof eleves) et vous comprendrez pk les prof ne s expose pas sur le net comme si il n avai ke sa a faire! "1
Et sur la page d'accueil du site de l'école, Pierre Jacquet écrit ces mots : " Depuis le 22 janvier, je suis plus conscient encore que la violence verbale ou autre, la vengeance, les armes de tous types n'arrêteront jamais un conflit que ce soit à Dinant, à Binche, en Palestine ou à Bagdad. Je suis encore plus convaincu que la paix passe par le dialogue et la communication non-violente. En tant qu'élèves, parents, éducateurs, nous devons investir dans ce domaine. (…) Malgré cette traversée difficile, qui est loin d'être un échec, notre école a pu manifester toutes ses valeurs dans la dignité. Puisse-t-elle rester un milieu de vie humain où l'on forme et éduque non seulement aux compétences professionnelles mais aussi à l'ouverture, à la citoyenneté responsable et à la vie spirituelle. "2
Dans le monde enseignant, la solidarité se marque par un mot d'ordre de grève bien suivi, et à l'échelle locale, par une manifestation. Le 28 février, les élèves et le corps enseignant de 4 écoles dinantaises (Cousot, Bellevue, l'Athénée royal et l'institut technique d'Herbuchenne) se réunissent sur le pont de Dinant pour remettre à la Ministre Arena une charte commune, dénommée "Ruban vert pour le respect", et comportant dix articles travaillés en classe3. Le texte a été élaboré par 16 élèves de première année (4 par école), accompagnés par 4 professeurs et par un médiateur scolaire.
Des rebondissements et des réactions très médiatisés
Arrêté à la gare de Dinant après son acte et d'abord placé par le juge de la jeunesse au centre fermé de Braine-le-château, le jeune agresseur est ensuite transféré au centre psychiatrique de Titeca. Il fugue par deux fois, en avril et en mai, se rendant ensuite volontairement dans les heures qui suivent. Ces escapades ne sont pas sans inquiéter l'école, qui craint une récidive, mais elles font aussi grand bruit médiatiquement, et la comparaison avec le " laxisme " montré à l'égard de Marius, l'agresseur de Joe Van Holsbeeck, assistant à un match de foot pendant son séjour en IPPJ, fait flores. Richard Fournaux, le bourgmestre de Dinant, s'en empare. Il réclame des excuses de la part de la Ministre Fonck, en charge de l'aide à la jeunesse à la Communauté française : " L'internement et le suivi d'un jeune ne doivent pas ressembler à une cure de santé agrémentée d'excursions au foot ou en ville organisées ou décidées par le délinquant lui-même."4 A quoi Catherine Fonck répond que Titeca n'est pas du ressort de l'aide à la jeunesse.
Des amalgames, il y en aura beaucoup autour de cette affaire. Par Richard Fournaux lui-même notamment, le lendemain même de l'agression. Il déclare à la RTBF que "l'auteur des coups de couteau est serbe et ces gens-là pour le dire poliment ont une manière violente de régler leurs problèmes"5. Il récidive quelques jours plus tard, en insistant sur les origines du jeune homme. Ce qui provoque l'ire du Centre pour l'égalité des chances, qui lui envoie un courrier : " c'est attribuer à l'ensemble d'une communauté des caractéristiques violentes comme s'ils ne pouvaient s'exprimer que de cette manière-là ". Le MRAX envoie même un courrier à Didier Reynders, président du MR, famille politique à laquelle Fournaux appartient, pour dénoncer un " amalgame qui constitue un terreau pour le racisme ordinaire ". Fournaux a fini par s'excuser et nuancer ses propos. Malheureusement, le MRAX avait vu juste. Quelques temps plus tard, à propos d'une jeune fille violée par deux jeunes, un blog titre : " Viol à Dinant : encore un coup des gentils Kosovars ? " et va jusqu'à illustrer le thème par une affiche de la pièce de Shakespeare " le viol de Lucrèce ", dans laquelle on peut lire en filigrane la question de l'occupation d'un pays par une force étrangère6.
Des interpellations et des réactions politiques en sens divers
Le 24 janvier, le Secrétariat Général de l'Enseignement Catholique publie un communiqué de presse pour témoigner son soutien à l'école et à son directeur, et pour proposer des pistes de réflexion " à l'écart de tout empressement réglementaire et décrétal ". Ces pistes sont au nombre de quatre, dont deux concernent les limites du champ de l'école et deux autres l'encadrement.
- Dans le cadre d'inscriptions d'élèves au passé scolaire et/ou judiciaire violent (le jeune homme avait déjà eu maille à partir avec la police pour des faits de vol avec violence), les autorités de l'établissement ne devraient-elles pas, dans le respect des règles de confidentialité, être informées de ces antécédents de manière à ne pas devoir affronter la gestion d'un risque grave sans connaissance de cause ?
- A quelles conditions l'école peut-elle être un lieu adéquat d'accueil et d'encadrement de ce type de jeunes ? Quelles sont les limites des missions assignées à l'école ?
- La limitation des heures de coordination à 3% maximum du temps scolaire n'est pas adaptée, ces heures étant consacrées aux tâches d'éducation, d'accueil et de coordination de projet.
- Les moyens des centres PMS sont insuffisants, et il est nécessaire de revoir le mode de calcul des effectifs pour un encadrement amélioré et plus équitable.
Marie Aréna, Ministre de l'Enseignement de la Communauté française, interpellée au Parlement de la Communauté à la séance du 23 janvier, condamne les faits et rappelle les actions menées pour lutter contre la violence scolaire, en particulier les médiateurs, les équipes volantes et les SAS.
Le MR, par la voix de Françoise Bertieaux, chef de groupe au Parlement de la Communauté française, réitère sa volonté d'instaurer une commission " prévention et sécurité ". Le MR fustige le gouvernement de la communauté française pour ce qu'il qualifie d'un " refus idéologique de prendre en charge la délinquance juvénile " et rappelle qu'en son temps, Pierre Hazette, ministre MR de l'enseignement, avait proposé des centres de rescolarisation et de resocialisation, baptisés " école des caïds " par leurs détracteurs.
En juin, après les fugues du jeune agresseur, l'Institut Cousot, par la voix de son avocat et de celui de Pierre Jacquet, se porte partie civile. Il s'agit là de la partie strictement judiciaire de l'affaire. Mais d'autre part, sur les questions plus politiques, les avocats tiennent une conférence de presse durant laquelle ils présentent une motion prise le 31 mai par le pouvoir organisateur de l'école. L'équipe éducative avait en effet été choquée par l'attitude de certains politiques, tous partis confondus, qui " récupéraient " l'affaire, et souhaitait dire que derrière ce " bruit médiatique " et cette agitation politique, rien n'était fait au niveau de l'investissement dans l'éducation et au niveau des moyens. L'avenir de l'école et de la société était en jeu, derrière le fait divers.
- www.enseignons.be - l'orthographe est de l'élève.
- http://www.cousot.net/editorial.php
- La campagne du ruban vert est inspirée du modèle français, instauré depuis 2001 dans les collèges, et qui choisi chaque année un thème lié au respect dans l'école, et relayé par le magasine Okapi.
- http://www.dhnet.be/infos/faits-divers/article/173268/liran-a-encore-fugue.html
- cfr le site de la RTBF : www.rtbf.be
- http://la-route-nous-appartient.skynetblogs.be/tag/1/Institut%20Cousot
Plus d'un an après, sur quels points l'école a-t-elle (ou non) obtenu satisfaction quant à ses demandes qui relèvent d'un niveau politique (meilleur encadrement, etc) ?
AFW - Nous n'avons pas obtenu grand'chose en définitive.
On a obtenu la possibilité d'avoir des postes supplémentaires d'éducateurs en Région wallonne, ce qui a fait dire aux politiques qu'on avait " doublé les moyens ". Il s'agit de postes APE . C'est assez compliqué à obtenir, il faut faire une demande officielle à l'enseignement libre, puis cela passe au Ministère, et il faut appuyer la demande avec un dossier solide. Lorsque nous avions vu Marie Aréna, nous avions insisté sur la nécessité d'organiser un meilleur encadrement. Mais sur le terrain, même avec ces nouveaux postes, cela reste totalement insuffisant.
JC - Nous avions mis l'accent sur le fait que toutes les écoles ne sont pas sur pied d'égalité. Nous n'avons pas le même public que d'autres écoles de la région, mais les normes sont les mêmes pour toutes. Nous avons 675 élèves sur trois implantations, en technique, professionnelle et CEFA, et 4 éducateurs pour tout gérer… et il faut 683 élèves pour avoir un cinquième poste. C'est ça la réalité du terrain. Seule solution : puiser dans les heures NTPP pour créer des postes d'encadrement éducatif, mais c'est au détriment du pédagogique ; dès lors, il est facile de dire " les élèves ont un niveau de plus en plus bas". Je pense qu'il faut, dans nos filières, pouvoir éduquer avant de pouvoir enseigner. Et éduquer, cela veut dire, pour un éducateur, s'arrêter dans la cour, prendre le temps de parler avec les élèves et de les écouter, mettre le doigt sur ce qui va et sur ce qui ne va pas, prévenir des sanctions (parce que éduquer, c'est aussi sanctionner, et l'élève doit savoir à quoi il s'expose et comprendre la sanction). Si tout cela n'est pas fait - et avec un encadrement faible, ce n'est pas possible de le faire, ni d'être autre chose que des " pions " -, les élèves ne seront pas dans de bonnes conditions pour se consacrer à leurs études, d'autant que dans les familles, ils trouvent peu d'intérêts pour leurs études, et que c'est à l'école que l'investissement doit se faire. Et si on met les moyens NTPP dans l'encadrement, on ne peut les mettre pour dédoubler des classes, par exemple.
AFW - En dehors de cela, nous avons aussi reçu un peu d'argent pour une formation de 3 jours à la gestion des émotions. 30 professeurs ont ainsi pu suivre cette formation.
Mais tout cela reste fort dérisoire, et sur le combat politique, on ne nous consulte pas. L'enveloppe est fermée, nous a dit Madame Arena, qui nous a pourtant longuement écoutés. Après l'agression, elle amis l'accent sur les vertus des nouveaux dispositifs comme les équipes mobiles. Mais pour nous, c'est inefficace, non que ces gens travaillent mal, mais il faut le temps qu'ils soient disponibles, et c'est trop tard. C'est à l'interne et sur le moment qu'il faut réagir. On doit beaucoup compter sur nous-mêmes. Même chose pour la semaine santé-citoyenneté : aucun budget ne nous est alloué. Alors on se débrouille, pour faire venir des spécialistes sur la drogue, la violence, etc.
JC - On a de plus en plus l'impression que la société se décharge de tout sur l'enseignement, et qu'en plus on nous traite comme des entreprises (finances, sécurité, élections sociales, etc.), sauf que nous n'avons pas les moyens d'une entreprise. Exemple : le conseiller en sécurité, obligatoire, est rémunéré sur des heures NTPP. Tout cela grignote les missions centrales de l'école. Il n'y a pas de volonté ni du politique ni de la société d'investir dans l'éducation. On préfère agrandir les prisons... C'est interpellant.
L'école a-t-elle mis en place des dispositifs particuliers, pour l'accueil des élèves, pour l'encadrement, etc. ?
AFW - Dans le contexte décrit, on se débrouille à l'interne. On a 44 heures NTPP qui sont consacrées à l'encadrement, pour un conseiller en éducation, qui est là depuis 2 ans, et pour un conseiller en régularité, en plus des 4 éducateurs " classiques ". Ces deux personnes ne font que du travail d'écoute et de dialogue avec les étudiants. Pour le conseiller en éducation, cela fait une trentaine d'interventions par jour, en moyenne. Il prend en charge l'aspect disciplinaire, pas comme un préfet sanctionneur, mais dans un travail d'écoute et de dialogue ; il essaie de comprendre pourquoi tel élève a commis tel acte, s'est retrouvé dans telle situation, il fait intervenir le professeur qui a été impliqué, ou l'éducateur, ainsi que des extérieurs : agents des PMS avec qui nous avons d'excellentes collaborations, le SAJ ou le SPJ, les AMO.
La conseillère en régularité s'occupe des élèves qui sont dans des formes de décrochage très variables, sévères, mais aussi légères (quand le jeune vient avec sa mallette vide, il nous signifie quelque chose). Fin septembre, elle avait une vingtaine d'élèves à suivre ; à Noël, elle en avait 120, et à Pâques 150. Elle est aussi en contact avec les services sociaux, les AMO, les AS de police, les familles, le CPAS, etc.
Ces 44 heures NTPP sont rendues possibles par l'enseignement libre (la commission zonale), qui met solidairement à disposition un certain nombre d'heures.
On ne peut compter que sur nos forces et sur la collaboration qu'on a avec de nombreux services. C'est essentiel d'avoir un réseau, pour avoir des compétences élargies. On ne travaille pas repliés sur nous-mêmes.
A l'institut Cousot, une semaine est consacrée, chaque année, à des thématiques qui concernent la citoyenneté. Les AMO Locales sont de la partie.
La communauté scolaire Georges Cousot, à Dinant, est une des 4 écoles secondaires de la petite ville, qui draine de nombreux élèves des communes avoisinantes. L'institut comporte des filières technique et professionnelle et un CEFA.
La semaine santé - citoyenneté est organisée depuis plusieurs années, au mois de mars, à l'intérieur de l'école. Elle est gérée en coordination par un comité formé notamment de la sous-directrice, du CEFA et du PMS.
Objectif : on suspend le cours normal de la scolarité pour se pencher à fond sur des thématiques importantes pour les jeunes, dans un objectif de prévention. Des questions de santé et de sécurité (sexualité, assuétudes, alimentation, sécurité routière) sont abordées. Un Télévie est organisé. Un travail d'ouverture à l'autre et à la tolérance est opéré, via toute une série d'initiatives qui demandent chaque année une mobilisation importante.
La semaine s'articule autour d'outils variés, coutumiers ou moins coutumiers de l'école, et dans un vaste partenariat avec des opérateurs locaux. Sont ainsi mobilisés, par exemple, les CPMS, la police, des associations diverses, ainsi que les deux AMO locales, Globul'in et Dinamo.
- Globul'in anime, depuis une dizaine d'année, une radio d'école, Fun Cousot (elle le fait aussi à l'institut ND). Organisée pendant le temps de midi, elle vise à favoriser les processus d'accrochage chez les jeunes ainsi que la communication et les interactions entre les différentes composantes de l'école.
- Dinamo propose une animation " éveil citoyen ", permettant fort librement, au départ des ressentis de chacun, de débattre sur la question de la citoyenneté, dans un espace de parole protégé. En démontant les mécanismes de pensées, l'AMO se donne comme objectif de travailler sur le recul critique par rapport aux stéréotypes et aux généralisations et de favoriser une prise de conscience des rôles de chacun.
Mais l'école ne se contente pas de confier à l'externe les questions de prévention. Elle envisage la question comme un tout, qui se travaille aussi à l'interne, avec l'investissement des enseignants et des élèves. Ainsi, par exemple, la création d'une pièce de théâtre, jouée par des élèves de 3è technique de transition. Gros travail donc pour ces jeunes acteurs, mais aussi pour les autre classes, qui ont travaillé avec leurs professeurs pour réfléchir à la thématique de cette pièce.
Loin d'être une simple parenthèse dans la routine et un empilement d'animations disparates, la semaine santé-citoyenneté se veut un moment d'articulation d'idées, d'outils et de partenariats au service d'une réelle politique de prévention, qui est travaillée tout au long de l'année.
" Bienvenue sur nos ondes Fun Cousot, (103.3 FM), la radio des jeunes par les jeunes et pour les jeunes "
Midi à l'Institut Cousot. Comme chaque lundi, mardi et vendredi, l'émission radio de l'Institut Cousot démarre. Cela fait une dizaine d'année que le projet est lancé et depuis 2000, la radio d'école émet sur une fréquence FM. L'effervescence de ruche du petit local s'est brusquement calmée et les jeunes animateurs du jour, casques sur les oreilles, sourcils froncés, se concentrent sur leur texte.
Madou Demarthe, l'animatrice et cheville ouvrière du projet, travaille à Globul'in, une des deux AMO dinantaises. Elle se souvient des débuts.
" A l'époque, Globul'in était déjà présente dans l'école, on faisait des écoutes-midi : un éducateur et un assistant social se tenaient à disposition des élèves en difficulté. De là est venue, peu à peu, par des discussions entre l'école, l'AMO et le CPMS, l'idée d'une " radio ". Enfin, au début, c'était juste des élèves qui venaient mettre de la musique, diffusée dans la cour de récréation. Le matériel était rudimentaire. Puis on a eu quelques subsides de la Communauté française, on a pu s'outiller un peu mieux, et on a commencé à produire des émissions. Quand on a obtenu une fréquence radio, c'est devenu plus sérieux. Il a fallu structurer mieux les émissions, sinon c'était tout et n'importe quoi. On a fait une enquête auprès des élèves et il en est ressortit une demande d'émissions d'actualité générale et sportive, et des émissions spéciales sur les groupes, les chanteurs, etc. Et maintenant, cela fonctionne plutôt bien. "
Madou a sa méthode pour faire fonctionner la radio. Pas question de courir après les jeunes. " Je viens dix minutes avant l'émission. On me connaît, on sait que je suis l'animatrice de la radio, et puis doucement l'accueil se fait. Ce n'est pas du jour au lendemain, surtout quand un groupe quitte l'école à la fin de sa scolarité. Il faut reconstituer un nouveau groupe. Il faut circuler dans la cour, discuter avec l'un et l'autre, et un nouveau groupe se reforme. Mais c'est eux qui doivent vouloir s'investir, moi je suis juste à leur disposition. "
Les jeunes qui s'investissent dans la radio ne sont pas triés sur le volet. Madou accueille tout le monde. " Au départ c'était tout public, mais pour le moment c'est beaucoup des jeunes en décrochage. Je ne sais pas pourquoi, mais en tout cas pour le moment c'est comme ça. Alors qu'avant c'était beaucoup des 5ème et 6ème, donc c'était déjà des gens beaucoup plus à l'aise au niveau de la communication, au niveau de tout, et là pour le moment c'est beaucoup des jeunes plus en décrochage, qui ont des difficultés de structure. "
Le travail de Madou s'inscrit dans le volet collectif des missions de l'AMO. L'objectif est de vivre et travailler ensemble. Mais les impacts individuels sont bien présents, déjà pendant le travail collectif ; de plus Madou prend parfois en individuel, après les cours, des jeunes qui souhaitent lui exposer leurs problèmes.
Il arrive aussi que le PMS envoie des jeunes vers le projet radio, considéré comme un bon moyen de reprendre confiance en soi. Ce que Madou confirme. " Quand ils viennent ici c'est " je suis timide, je n'ose pas ". Si, tu vas oser, et tu vas voir, tu y arriveras ! Ça ne vient pas du jour au lendemain. Il faut qu'ils apprennent à prendre confiance en eux, à ne pas être angoissés au moindre pépin, ce qui est très dur. Devant le micro, il y en a pour qui ça fonctionne tout de suite et il y en a d'autres à qui il faut des semaines et des semaines avant qu'ils ne puissent seulement lire leur texte, et puis alors petitement ça va, et ils restent ou ils partent, ça dépend. Ce n'est pas toujours facile de faire en sorte que certains ne soient pas rejetés par le groupe, les jeunes sont très sélectifs. Mais il y en a quelques uns que je connais qui ont investi au niveau d'autres projets de l'école également. Donc je me dis allez, c'est un démarrage, c'est un point d'ancrage pour aller vers ailleurs et je pense que c'est bien comme ça. "
Le souhait de Madou, depuis longtemps, était que les enseignants s'approprient davantage l'outil radio, que l'action s'autonomise. C'est en bonne voie, puisque depuis l'année scolaire 2007-2008, elle n'est plus sollicitée qu'une fois par semaine. La relève est assurée à l'interne.
Dinant. La vie. Ville. Solidarité. Le monde. Le respect. Le choix. La jeunesse. Responsabilités, au pluriel. La joie. Racisme. Unis. Des mots que de jeunes élèves de 3ème secondaire, option sociale, prononcent, chacun à leur tour. Des mots spontanés, mais qui ne sont pas lancés au hasard. Des mots qui traduisent leur vision particulière d'un autre mot, d'une valeur : citoyenneté.
Des mots, en plus, qui sont prononcés dans un contexte particulier. Il n'y a que quelques semaines, en effet que Pierre Jacquet, leur directeur, a été poignardé par un de leurs condisciples.
Nous sommes à l'Institut Cousot, en mars 2007, dans le cadre de la " semaine santé-citoyenneté " que l'école organise depuis des années. Comme chaque année, c'est l'AMO Dinamo qui prend en charge cette animation dénommée " éveil citoyen ". Et pour la cause, l'AMO a décidé de ne pas mettre en exergue cet événement qui taraude l'école depuis le fatidique 22 janvier. On va laisser les jeunes dire ce qu'ils ont à dire, tout simplement.
" Aujourd'hui, mon collègue et moi, on est venus pour l'animation ". Et la directrice de Dinamo, Françoise Penet, et son collègue Stefan de Buyser, de brosser rapidement le cadre dans lequel cette animation va se passer. Un tableau tapissé de deux affiches vierges, des marqueurs de couleurs et des pots de peinture, et des jeunes installés en cercle.
" Vous vous êtes rendus compte déjà de la manière dont vous vous êtes placés dans la classe, dans le local, que ce n'est pas un cours que nous allons vous donner; nous allons vous demander d'être vraiment actifs, de participer et l'animation, le contenu de l'animation, ce qui va se passer, ce qui va se dérouler ce matin et bien ça dépend de vous. Il se pourrait qu'il y ait des sujets qui soient plus sensibles. Donc s'il y a à certains moments des choses qui peuvent être en relation directe avec l'école, avec son corps professoral ou avec des choses plus personnelles qui sont liées à votre classe et bien ça ne sort pas d'ici. " Le ton est donné, l'animation démarre.
Les animateurs demandent aux jeunes de se présenter, d'abord par leur prénom, puis en se levant et en allant mettre une trace sur une des affiches, grâce à la peinture. Une trace, n'importe quoi, qui les caractérise, comme cela leur vient. Enfin, il leur est demandé de noter un mot sur l'autre affiche, un mot qui évoque pour eux le thème de la citoyenneté.
Regards furtifs, rires étouffés, puis quelqu'un se décide, maladroit et audacieux : " je m'appelle Lionel " ; il prend les couleurs, trace un signe, puis un mot. " Dinant ". Le reste du groupe suit, et les deux affiches se transforment en étendards, l'un coloré, bigarré, mélange hétéroclite de signes et de symboles, l'autre couverte de mots comme autant de slogans. Dinant. La vie. Ville...
Le débat peut commencer.
- Aurélien a débordé sur mon dessin.
- C'est un problème ?
- Non.
- Alors pourquoi tu en parles ?
- Parce qu'il a pris ma place.
- Il y a plus de rouge comme couleur.
- Ca vous fait penser à quoi ?
- le sang
- la colère
- l'amour.
- Moi je vois le vert, l'espoir.
Suit un débat sur le yin et le yang, la face positive et la face négative de toute chose, le bon et le mauvais. " Tout l'espace a été utilisé, commente l'animatrice. Il y a une variété de signes, et puis voilà, c'est un peu comme une photographie d'un peu de tout ce que vous êtes tous, c'est ce que vous avez voulu nous dire à votre façon. Certains y verront des symboles, d'autres simplement un signe, une trace. Et puis c'est très rare, c'est arrivé peut-être une ou deux fois en plusieurs années d'animations, quelqu'un n'a pas utilisé son pinceau mais a utilisé un doigt pour nous faire une trace, donc on garde une trace d'un doigt aussi, de couleur en plus. Et puis il y avait le signe de solidarité, de tolérance et de non violence qui est aussi présent. "
"C'est beau, conclut une fille. On va la reprendre en classe pour la mettre au-dessus du tableau, sur le thème du respect."
On passe aux mots. Une fille épingle le seul mot négatif qu'elle repère dans la liste. Racisme. Et les arguments de sortir. Ne pas juger sur les apparences. Et des métaphores. Quand on est nus, on est tous pareils. " C'est cela que les 3è ont mis en lumière, hier, dans la pièce qu'ils ont jouée ". Un garçon choisit le mot " choix ". On devrait pouvoir avoir le choix, mais il y a des lois, on ne peut pas non plus aller braquer comme ça ". Le débat décolle, on s'est échauffés. " Mais non, le choix, c'est celui que tu as de choisir ta vie, rien à voir avec les lois ". " Tout le monde n'a pas le choix, vous avez vu la fille qui nous a parlé de son pays hier, elle n'avait pas le choix de ses études, de son mari ". " J'ai entendu à la radio que cela ça être interdit de forcer les gens à se marier ".
Puis un garçon choisit le mot " Dinant ". Les brouhahas cessent. " Quel rapport entre Dinant et la citoyenneté ? " demande l'animateur.
" Je trouve que Dinant c'est une ville ou quand même les nouvelles circulent vite. Et je ne sais pas, moi, Dinant, c'est ma ville natale, et je ne me vois pas mourir ailleurs qu'à Dinant, voilà, c'est tout ". Un ange passe.
Les animateurs enclenchent une seconde phase : on visionne un film composé de micro-trottoirs où d'autres jeunes expriment leur point de vue sur la citoyenneté. Qui devient bientôt une immense scène où se joue la vie quotidienne. Les élèves s'excitent sur des remarques, acquiescent ou désapprouvent. On parle liberté, travail, chômage, puis on tombe d'accord pour débattre sur la question de l'âge de la retraite. Et voilà ces jeunes de 15 ans qui ont des tas de choses à dire sur la retraite, l'égalité, et pourquoi un maçon il peut finir plus tôt qu'une secrétaire, c'est dégueulasse, non mais tu ne te rends pas compte c'est un boulot plus dur. Et en plus, il a commencé sa carrière plus tôt. Et l'argent, combien on a, comment on vit. Et qui paie, comment ça marche la solidarité? Et la passion, qu'est-ce qu'on en fait quand un métier représente tout ? Choisir, être heureux.
La sonnerie met un terme à la discussion. Déjà ? On n'a pas vu le temps passer. C'était bien, il faudrait faire cela plus souvent. " On a pu entendre les avis des autres, on ne pensait pas qu'ils réagissaient comme ça et puis maintenant on connaît un peu mieux les personnes avec qui on est tous les jours ". Rendez-vous est pris. Les jeunes s'ébrouent, sortent de la pièce. Restent des couleurs et des mots sur des affiches. Dinant. Unis. Une façon de dire l'indicible ?
Dans le cadre de la " semaine santé-citoyenneté ", le temps suspend son vol. Le temps scolaire se met au service d'un temps de réflexion, et les matières scolaires cessent de poursuivre leur propre but pour servir un projet. En cette année 2007, avant l'agression du directeur le l'Institut, les projets étaient déjà sur les rails depuis un moment. Et notamment, celui de Bernadette Loriers, professeur d'expression et de communication, et de sa classe de 3è technique de qualification. " Ce sont des jeunes qui ont quatre heures d'expression par semaine. J'aime chaque année de partir sur un projet un peu plus long que d'habitude. Et j'avais l'an passé participé à un projet théâtral avec des jeunes adolescents de Profondeville, un projet qui avait été dirigé par Anne Yernaux1. Cette année-ci, en fonction du thème qui m'intéressait beaucoup pour mes jeunes ici à l'école, j'ai demandé à Anne la permission de rejouer la pièce, la permission m'a été accordée et je me suis dite pourquoi pas jouer ça pendant la semaine santé-citoyenneté ici à l'école, puisque le thème est évocateur, bouleverse un peu les consciences et est intéressante pour nos jeunes et pour le public aussi et même pour les adultes. C'est le thème de l'intolérance et du rejet de l'autre. "
La pièce en question s'appelle " fils de pub ", et elle démontre par l'absurde toute la cruauté de l'intolérance et du rejet, qui n'est pas qu'une question de racisme. C'est aussi une question de formatage, notamment celui imposé par la société de consommation. Par un cruel retournement de situation, la pièce démontre que tout le monde peut être l'arroseur arrosé, et que chacun, se croyant à l'abri du rejet, peut être rejeté parce que ne portant pas l'uniforme standardisé imposé par la publicité. Jouée de main de maître par les élèves de 3è devant leurs condisciples, la pièce fait un tabac. La litanie des slogans publicitaires récitée en deux parties (un début de phrase à une voix, la suite en chœur) ne fait pas rire du tout. Comme cela ressemble à un exercice militaire ! Et comme nous connaissons tous la seconde partie de toutes ces phrases, sans exception ! Le florilège du bourrage de crâne publicitaire se mêle alors à celui des préjugés racistes. La xénophobie basique et l'intolérance crasse n'ont rien à envier en matière de slogan aux plus sophistiquées campagnes promotionnelles, et ces phrases-là nous sont, elles aussi, refrain connu…Puis vient la confrontation du rêve et de la réalité sous forme de lettres croisées, celle des familles restées au pays et qui croient que leurs enfants ont trouvé l'Eldorado, et celles, désenchantées, des réfugiés devenus parias en enfer. La pièce se termine par un revirement de situation, où les dominants deviennent dominés et se font mettre en cage par ceux qu'ils avaient auparavant enfermés.
Tonnerre d'applaudissements dans la salle des fêtes de l'établissement. Mais ce n'est pas tout. Une jeune fille de 5è, Nigora, réfugiée d'Ouzbékistan, raconte dans un français impeccable sa réalité. Sa réalité de réfugiée, mais aussi celle d'avant. Autre pays, autres mœurs. La liberté, ce n'était pas pour elle. Elle dit tout avec beaucoup de simplicité, assise sur le bord de la scène, sans rien dramatiser, avec nuance et pudeur. " Je suppose que tout le monde est d'accord avec moi. Tout le monde veut avoir la liberté ". C'est son mot de la fin.
Aucune allusion à ce qui s'est passé dans l'école quelques semaines plus tôt. Le jeune homme qui a poignardé le directeur était lui aussi réfugié, venu de l'ex-Yougoslavie. Tout le monde le sait. Le hasard a fait que le programme de la semaine évoque involontairement le thème, montre l'envers du miroir. Mais la pudeur laisse à chacun le soin de se faire une opinion.
Des préparations et des transversalités
La pièce de théâtre n'a pas été parachutée telle quelle dans l'école. C'était le projet des 3è TQ, mais celui des autres aussi. Valérie Hicham, professeur de français et de sciences sociales, a longuement travaillé le thème dans sa classe. " En général, beaucoup d'élèves ont des préjugés, et nous on essaie de faire la chasse au maximum à ces préjugés, en essayant de construire avec eux des valeurs de respect et de tolérance, et suite aux événements que nous avons vécu dans l'école, cela nous semble d'autant plus important de le faire. " Dans son cours, elle a travaillé sur les représentations, par des exercices destinés à montrer aux élèves que la construction de relations de cause à effet peut fausser la vraie réflexion, celle sur la situation des gens. " On essaie au maximum que cette semaine citoyenne ne soit pas seulement quelques heures de cours plaquées. Au travers des différents cours, on essaie de prolonger les faits positifs de la semaine en les amenant à réfléchir à travers les cours. Ils ont travaillé le thème de l'immigration, des clandestins, des réfugiés au cours de religion, et dans le cours de sciences sociales, on s'est penché sur tout ce qui touche aux inégalités, à la discrimination, aux totalitarismes. "
Comment l'école a-t-elle réagi, au moment des faits, et à quelles forces a-t-elle puisé ?
AFW - Au moment des événements, le lundi, une équipe s'est mise en place tout de suite, sous la direction de Christian Renert, directeur du CPMS. Il a pris les choses en mains, Jean Colot a repris la direction, comme il était prévu dans les statuts. Une équipe de travail et de réflexion s'est mise en place, constituée de professeurs, de Mr Motquin, directeur du Cedes à Namur, de Mr Dupagne, accompagnateur des directions, du PO. On s'est dit : que faire ? Décision a été prise de renvoyer les élèves chez eux pour se donner le temps de mettre en place une stratégie. Dès le lendemain, on a préparé la rentrée. Nous avons travaillé avec les AMO, avec les équipes mobiles, le service de médiation, les AS de police, le PMS. On a préparé l'accueil des élèves. On les a pris en charge dès leur retour le mercredi, on leur a lu une lettre de la part de la direction, et les classes se sont retrouvées avec leur titulaire et un accompagnateur extérieur, pour parler des émotions. Puis la marche s'est organisée l'après-midi vers l'hôpital. Et la vie scolaire a repris son cours. Mais c'était important de gérer les émotions tout de suite.
Ensuite, cela a été au tour des enseignants, 15 jours plus tard. La communauté française nous a accordé une journée sans cours, pour prendre du recul. Certains profs demandaient des techniques de relaxation, d'autres une réflexion institutionnelle voire politique. Pour certains cela a été plus difficile, mais globalement, cela s'est bien passé.
JC - Mais quand l'agresseur s'est échappé, il y a eu un moment de révolte. Nous avons eu une grève spontanée. Les profs ont dit " niet , cette fois c'en est trop ". L'agresseur, qu'on croyait bien surveillé, pouvait rentrer chez lui seul, en train, passant par Dinant. On a alors improvisé une réunion avec le Procureur du roi, qui nous a reçu. Ensuite, nous avons eu une collaboration avec lui et avec les directions d'école de l'arrondissement, pour voir dans quelle mesure il était possible d'être mieux informés des antécédents judiciaires des élèves, mais comme cela entrait en conflit avec la protection de la vie privée, cela en est resté là. Mais cela a été la seule révolte, sinon les enseignants ont toujours été très dignes.
Maintenant l'affaire suit son cours en justice. L'école a un avocat. On a demandé aux professeurs de ne plus avoir de contact avec la presse pour permettre à la justice de faire son travail. Cette grève a été le seul moment plus délicat.
L'école investit dans un dispositif d'encadrement éducatif, notamment avec un conseiller en prévention et un conseiller en régularité ; qui s'en occupe, avec quelle organisation?
AFW - Il n'y a rien de trop formalisé, tout se fait naturellement, sous la responsabilité des éducateurs, nous n'avons pas de réunions systématiques. Par contre, nous avons beaucoup investi dans la clarté. Les éducateurs ont des tâches bien définies, ils ont une lettre de mission en début d'année (ce qui n'a rien de légalement obligatoire, mais nous avons voulu investir là-dedans pour que tout soit clair et transparent). Ponctuellement, on se réunit pour faire un bilan des élèves qui connaissent des situations difficiles, des difficultés scolaires ou disciplinaires, du décrochage, etc, mais ces réunions ne se font que quand c'est nécessaire, ce n'est pas établi dans un calendrier. Cela demande une grande disponibilité de la part des intervenants et de la direction. On est là tous les jours, la porte est toujours ouverte, nous assistons à tous les conseils de classe. C'est indispensable dans notre type d'école.
Avec le recul, qu'est-ce que l'existence de ce dispositif a permis immédiatement après les événements ? S'est-il révélé utile, et de quelle manière ? Avait-il des failles ?
AFW - Cela a permis que nous ne soyons pas déstabilisé. C'est une question d'habitude, notre mode de fonctionnement est depuis des années imprégné de démocratie, de dialogue et de transparence, tout cela mis en place par Mr Jacquet. Tout de suite, nous avons fait ce que nous devions faire. Si cela nous a été possible, tout le mérite en revient à Mr Jacquet.
JC - Ce qui s'est passé a été d'emblée pris comme un accident. Même le meilleur conducteur peut avoir affaire à un conducteur fantôme. L'élève agresseur était chez nous en CEFA depuis septembre, il voulait réintégrer le plein exercice, il avait été entendu dans sa demande, il y a eu plein de réunions à son sujet. Et voilà, il était en plein exercice depuis 5 jours et il a posé son acte. C'était l'accident. Pour nous, il n'y a pas eu de faille dans le système, on n'a rien remis en cause.
Avez-vous été amenés à changer des choses dans votre dispositif, l'année suivante, par exemple dans la semaine santé-citoyenneté ?
AFW - Notre habitude est de ne pas faire tous les ans la même chose, de ne pas figer ; mais non, les événements ne nous ont pas poussés à changer quelque chose. Nous n'avons pas davantage que les autres années mis l'accent sur les questions de violence par exemple. Nous sommes plutôt attentifs à des questions de pertinence de contenu, par exemple l'an dernier, une approche de la sexualité avec des 3è n'a pas marché, on l'a abandonnée. Mais on n'est pas tétanisé par l'affaire. Pour les élèves, pour les parents aussi, cette histoire fait partie du passé. Bien sûr, dans l'histoire de notre école, il y aura toujours un avant et un après le 22 janvier. On essaie d'évaluer. Ainsi, la journée pédagogique des enseignants a été consacrée aux questions de résilience, parce qu'on a encore besoin de parler de ce qu'on peut mobiliser quand " cela " arrive.
Si vous deviez donner un conseil à d'autres écoles après cette difficile expérience, que serait ce conseil ?
AFW - Se préparer à toute éventualité. Ne surtout pas vivre dans la peur, parce que cela bloque, mais être prêt, c'est essentiel. Mettre en place le maximum de choses qui permettent le réseau, la démocratie, la transparence. Et travailler en équipe. C'est ce qui nous a permis d'être sur le pont tout de suite. C'est plus difficile avec les profs qu'avec les éducateurs, mais on y travaille. Le collectif, c'est une donne centrale.
La manière dont les médias ont traité la question n'est pas sans effets. Nous avons identifié 5 vagues de répercussions qui peuvent être destructrices.
Nous avons également examiné comment l'école a réagi à la pression médiatique.
L'accident
On se souvient des faits largement médiatisés : le 22/1/2007, un élève de l'Institut Cousot à Dinant poignarde le directeur de l'établissement qui venait de lui signifier son renvoi pour avoir vendu du hachisch dans l'école. Le jeune homme appartient à une famille en attente de sa régularisation, il est depuis peu élève de l'établissement.
L'Institut se caractérise par un fort investissement en prévention2: des services d'aide en milieu ouvert y sont actifs depuis longtemps, la question de l'éducation aux valeurs démocratiques et citoyennes y est prise au sérieux et fait l'objet d'actions collectives spécifiques et mûrement réfléchies, un fort tissu institutionnel est en soutien permanent.
Le directeur blessé définit lui-même l'événement dans la catégorie de l'accident : il donne l'exemple dans une interview du " conducteur fantôme " sur une autoroute : l'existence, marginale, de drames causés par ce type de conducteur, même s'ils sont souvent graves, relève de l'exception et ne peut conduire à conclure à un déficit ni du code de la route3, ni des investissements (signalisation, architecture des voiries...) qui sont consentis.
De fait le jeune homme, nous l'avons dit, est un élève récemment arrivé et il s'est probablement laissé déborder par sa situation et celle de ses parents - ce qui n'enlève évidemment rien au caractère inacceptable de son geste.
Le traitement médiatique de l'événement
Il n'empêche : le traitement médiatique de l'événement va immédiatement transformer l'accident selon ses catégories habituelles : il sera jugé révélateur d'un " courant de fond " (dont aucun indice ne sera toutefois apporté) et sera faussement catégorisé : il ferait partie de la montée de la violence chez les jeunes.
Le thème dominant sera ainsi configuré : " même les petites villes ne sont plus épargnées par la montée d'une violence aveugle " et l'on trouvera bien quelques personnes interviewées qui témoigneront du " choc " que cette " révélation " leur aura causé : " on n'aurait jamais cru qu'une telle chose était possible chez nous, plus personne n'est à l'abri (etc.) ". La société est ainsi une fois de plus présentée comme une forteresse assiégée et le sentiment d'insécurité préside à l'anticipation des rencontres. Le bourgmestre de Dinant, le très conservateur Richard Fournaux, on s'en souvient, fait un pas de plus et stigmatise la communauté ethnique du jeune homme (" ces gens-là règlent leurs désaccords par la violence... ").
Comme malheureusement trop souvent, la " couverture " médiatique de l'événement jette sur lui un voile déformant (mais aguichant), en recourant avec la plus grande des légèretés à une induction indue (l'accident est présenté, sans preuve aucune, comme un élément d'une collection de faits qui " autorise " à une généralisation " la violence monte de plus en plus chez les jeunes ") ; il en devient ainsi la concrétion incorrecte : Patrick Champagne a bien montré que de très nombreux journalistes ont beaucoup de mal à présenter les questions sociales (comme la réalité de la jeunesse, les actions de prévention des institutions) et qu'ils recourent ainsi à des concrétisations spectaculaires mais le plus souvent erronées4 (les quartiers chauds, les émeutes, les mises à sac...). Nous pensons que ces concrétisations fonctionnent de fait comme des " concrétions " douteuses, reposant sur des amalgames très approximatifs (mal-être des lycéens, révolte des banlieues, etc.)
Notons aussi que dans la plupart des cas, le traitement médiatique des choses n'a que l'apparence de l'analyse : la structure des textes ressortit le plus souvent au récit et il en réactive les fonctions de base " actantielles "5: la victime et sa quête, l'agresseur et son méfait, le destinateur de la " réparation ", les adjuvants de celle-ci (par exemple la visite de la ministre Arena), etc.
Dans les " comptes rendus " médiatiques, nous trouvons plus fréquemment en effet le déroulé d' un conte dramatisé, selon un mode équivalent au commentaire sportif plus ou moins épique, plus ou moins " typé " (une course cycliste, un combat de catch...), que le résultat sérieux d'une enquête sociologique.
On comprend dès lors l'indignation exprimée par Pierre Bourdieu:
" Il m'arrive d'avoir envie de reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère, sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce qu'ils évoquent et des responsabilités qu'ils encourent en les évoquant, devant des milliers de spectateurs, sans les comprendre et sans comprendre qu'ils ne les comprennent pas. "6
Cinq vagues destructrices
Il reste que textes et reportages, pour légers qu'ils soient, ne restent pas sans effets.
Nous aimerions présenter ces effets comme les résultats de la succession de cinq " vagues " différenciées mais tout aussi destructrices7.
En termes d'actions, effectivement, (puisque d'une certaine manière, tout discours est performatif, c'est-à-dire constitue une intervention dans la situation, dans laquelle il fait exister ou disparaître des morceaux de réalité), le traitement médiatique auquel nous avons assisté est cinq fois destructeur successivement.
a) La " marée " du discours médiatique qui s'empare ainsi d'une réalité balaie tout ce qui existait auparavant au profit de la manifestation d'un pur présent. Pour l'Institut Cousot, c'est notamment les efforts de très nombreux professionnels qui investissaient au quotidien en matière de prévention et d'éducation à la démocratie et à la citoyenneté.
b) Ce " pur présent ", nous l'avons vu, fait l'objet d'une catégorisation et d'une dramatisation inadéquates, qui altère de façon très profonde le sens de la situation.
c) Il s'ensuit que les protagonistes de la situation (la petite ville de Dinant, les institutions partenaires et l'école elle-même, les étudiants...) sont portés à l'existence publique (ils " existent " pour tout le pays si ce n'est au-delà des frontières) comme jamais auparavant, mais en étant niés dans leur sens et leurs investissements.
d) Ils subissent dès lors une forte déperdition d'énergie et risquent d'être soumis à toutes sortes de " décompensations ", dans la mesure où leur existence subit à la fois une exacerbation et une négation.
e) Ils sont soumis à une " fin de non-recevoir " très particulière, puisqu'une fois l'agitation médiatique retombée (c'est-à-dire une fois son potentiel attractif "dévalué"), tout redevient comme avant (tout sombre dans l'oubli, les projecteurs se portent sur autre chose), à ceci près que tout a été saccagé et que ce saccage est laissé pour solde de tout compte, sans espoir de retour.
Les discours médiatiques qui se sont tenus sur les événements les ont portés à la (mé)connaissance de tous, les ont vidés de leur sens, les ont remplis d'un sens qui n'était pas le leur, puis ont rejeté leurs protagonistes affaiblis dans les limbes de l'oubli, abandonnés à une situation peut-être aggravée, avec des forces éventuellement amoindries.
Une plus-value de réalité paradoxale
Notre analyse peut peut-être mettre en lumière un double déficit démocratique en ce qui concerne l'emploi permanent des " matériels de vision " dans notre société.
D'une part, nous avons affaire à un manque de clarté en ce qui concerne l'ensemble des matériaux d'enregistrement, dont l'usage peut échapper à tout contrôle (les caméras de surveillance en constituent un exemple). C'est ici la discrétion qui inspire l'inquiétude.
D'autre part et inversement, la trop grande clarté que donne d'une situation son exposition médiatique " brûle " la réalité qui en fait l'objet, comme il advient des traits et contours sur un négatif surexposé.
Dans ce cas, c'est l'exhibition devant le plus grand nombre qui peut constituer le problème.
Tout se passe en effet comme si l' " exposition publique " que permet la télévision notamment était devenue la condition même de l'existence et réalisait tout en même temps la destruction du sens de celle-ci.
Nous retrouvons ici un exemple de l'hypothèse que nous avons avancée concernant " l'institution totale virtuelle "8: il s'agit d'une " forcerie culturelle " analogue à celle qui avait été dénoncée par E. Goffman à propos de certaines institutions fermées : leurs manières de faire avaient pour conséquence de désintégrer le moi des personnes qui leur étaient confiées, pour les rejeter dans la société à l'état de déchets manipulables à souhait.
Parmi ces " procédés ", on trouve la " dégradation de l'image de soi " et la " promiscuité imposée, comme l'obligation de s'exhiber ".
C'est précisément les fonctionnements auxquels nous assistons ici, on vient de le voir. On peut les catégoriser, dans les termes de Goffman, comme le "viol des réserves"9 de l'individu.
Les contraintes du champ de plus en plus intériorisées
Certes ces fonctionnements ne sont pas intrinsèques à l'exercice de l'information ni à l'emploi des " matériels de vision " pour reprendre cette expression de Paul Virilio, pas plus que les procédés de l'institution totale ne sont automatiquement mis en oeuvre dans toute institution fermée.
Ne pas laisser ces procédés se produire constitue, dans un cas comme dans l'autre, les conditions d'un fonctionnement démocratique.
Nous espérons que le présent dossier peut, à son échelle et à sa mesure, faire la démonstration que rien de tout cela n'est inévitable.
Pierre Bourdieu a par ailleurs bien montré les faits de structure qui " poussent à la faute " l'exercice médiatique : poids de la télévision dans le champ médiatique, pouvoir économique des annonceurs qui engage une concurrence féroce entre les chaînes, chantage à la vitesse subséquent et crainte de ne pas avoir " révélé " ce que l'autre va exposer, imitation en cascade des médias les uns par les autres, traitement superficiel et spectaculaire pour " accrocher " le spectateur, uniformisation stylistique généralisée, jusque dans certains médias " alternatifs ".
Il reste que les contraintes structurelles que nous venons de rappeler semblent de plus en plus intériorisées si ce n'est revendiquées par les grands médias et leurs journalistes/présentateurs vedettes10.
Et ce n'est pas le traitement médiatique de la crise gouvernementale dans notre pays qui démentira notre analyse, puisque l'on s'aperçoit que les " négociations " sont davantage guidées par les déclarations médiatisées des uns et des autres que par les discussions des partenaires entre eux.
A coups de sondages approximatifs, de révélations " choc " ou d'indiscrétions (on se souvient de la note de Jean-Luc Dehaene captée par un télé-objectif et jetée en pâture à l'opinion11), le matériel médiatique en vient, avec beaucoup d'arrogance, à faire et défaire les formateurs, se substituant ainsi à la plus haute autorité du pays.
On se souvient des avertissements lancés par Paul Virilio à une société qui " ne maîtrise plus sa vitesse " et qui fait ainsi de l'accident sa réalité ultime12.
Faudra-t-il étendre ce raisonnement à la vitesse de transmission des informations et conclure que c'est désormais l'accident du sens qui est la réalité d'une société qui se laisse guider par les conducteurs-fantômes du " faux-jour " médiatique ?
Il conviendrait dès lors que toute action se double d'une lutte préventive contre la dégradation de son sens produite par les effets paradoxaux de son exposition. Il s'agirait alors de reprendre, mais dans une tout autre direction, les luttes médiatiques des années soixante, qui avaient tenté de faire entendre la voix de " radios libres " face aux médias " de masse " ou aux " appareils idéologiques d'Etat ".
- Comme nombre de mots, le verbe " démarrer " embrasse des sens divers si ce n'est opposés ; il désigne en effet en même temps la rupture des amarres, le fait de quitter (démarrer de), d'entreprendre, si ce n'est de réussir. Nous verrons que cette ambiguïté est précieuse pour désigner les effets du traitement médiatique de la réalité.
- Au sens que le secteur de l'aide à la jeunesse donne à ce mot, à savoir un effort pour faire diminuer les petites violences quotidiennes dont peuvent être victimes, dans l'inattention générale, les moins favorisés, ce qui peut les conduire, malheureusement à exercer en retour la violence contre eux-mêmes ou contre les autres. A ce titre on peut considérer à première vue la réaction de l'étudiant incriminé comme un cas de figure du mécanisme, qui n'a paradoxalement pas pu être évité.
- Comparaison d'autant plus pertinente qu'on se souvient du raisonnement de Goffman dans son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne et plus spécifiquement dans son article " Les individus comme unité "; l'auteur y présente le code de circulation comme la grammaire même rapports sociaux, ainsi que de leur exercice (" Les règles de la circulation routière servent en quelque sorte d'exemple idéal dans les discussions touchant la nature et la valeur des règles fondamentales ").
- P. Champagne, " La vision médiatique ", in P. Bourdieu (éd.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993. P. Champagne analyse le traitement médiatique de la mise à sac, par des jeunes essentiellement, d'un grand magasin à Vaulx-en-Velin.
- Cfr les analyses structurales, par exemple de Greimas et de Propp, qui mettent en lumière le fonds commun de tout récit, en termes de fonctions de base et de rôles (joués par des " actants ").
- P. Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, pp. 19 et sq. L'expression de cette indignation (il y a plus de dix ans) n'avait toutefois pas encore eu à affronter le phénomène du " crédit de belle gueule " (l'exact inverse du " délit de sale gueule " qui frappe tant de jeunes), qui permet, dans notre pays en tout cas, de propulser aux plus hautes fonctions (comme siéger dans des assemblées de représentants), des personnalités médiatiques.
- Nous pensons ici, métaphoriquement, au roman de M. Duras Un barrage contre le Pacifique, où l'auteur présente la situation d'une institutrice abusée par la bureaucratie coloniale, qui lui vend une concession territoriale incultivable parce qu'envahie annuellement par les grandes marées du Pacifique, qui brûlent toute culture, directement ou par infiltration. La mère tente d'ériger un barrage contre ces marées, en vain, y laissant sa santé mentale
- Cfr J. Blairon et E. Servais, "Hypothèses sur la domination dans la société de l'information", www.intermag.be
- C'est-à-dire des territoires privés, matériels et immatériels, source de protection et d'identité.
- Cfr J. Blairon et E. Servais, " L'immodestie et l'appauvrissement , quelques commentaires sur le prétendu docu-fiction de la RTBF", www.intermag.be
- Pendant les longs mois de négociations qui ont précédé la mise en place du gouvernement actuel, J.-L. Dehaene, reçu au palais royal, s'était fait" piéger" à propos d'une note confidentielle.
- P. Virilio, Ce qui arrive, Actes Sud et Fondation Cartier pour l'art contemporain, 2002.
Comment l'école a-t-elle géré le brusque coup de projecteur médiatique braqué sur elle ?
JC - Dès le premier jour, nous avons organisé un point presse, mais nous avons demandé aux journalistes de ne pas entrer dans école. Sinon, si on s'était laissé faire, 20 minutes après, il y avait déjà des journalistes partout ; il a fallu canaliser. On craignaient qu'ils n'abordent des jeunes et ne leur fassent dire n'importe quoi, vu que tout le monde était choqué sur le moment. On a aussi demandé aux professeurs de ne plus parler aux journalistes. Ces derniers ont été corrects globalement, ils attendaient ; comme il y avait un point presse tous les jours, ils avaient toutes les infos à 17H : bilan de santé, actions entamées, questions-réponses. Nous avons été énormément sollicités, et nous avons répondu à une invitation de la RTBF pour un débat, mais cela c'est arrêté là pour nous.
AFW - A la rentrée, ils sont tous revenus à la charge, tous. On a cédé pour monter qu'on rentrait dans la confiance, sans peur, en mettant l'accent sur le projet de l'école, pas sur l'affaire. On était soulagés car l'image de l'école par rapport aux parents aurait pu être désastreuse, mais nous avons fait une bonne rentrée. On n'avait pas commis de faute, mais on ne sait jamais. L'image, ça compte.
Identifiez-vous des séquences médiatiques qui vous ont été préjudiciables ?
AFW - Les médias jouent sur le sensationnel et l'émotion, cela a été un remue-ménage terrible au début, mais en dehors de cela, il n'y a eu aucun intérêt sur les questions du quotidien des écoles. Nous avons plusieurs fois proposé à la RTBF de venir faire un reportage, toute une journée avec nous, pour nous suivre, dans le cadre par exemple de l'émission radio du samedi midi " Transversales ". Pas de réaction. Pourtant, cela aurait permis de montrer ce qu'est le travail de la direction dans une école comme la nôtre. Mais il faut être honnête, ce sont aussi les spectateurs qui sont avides de sensations. Et même chez nous, si cela n'a pas débordé dans les propos des élèves, c'est aussi parce que nous avons cette politique de transparence, de démocratie, de respect au quotidien.
JC - Plus largement, les médias font une assimilation de l'enseignement général avec les filières techniques et professionnelles, et donnent une caisse de résonance excessive à certains problèmes qui concernent le premier et pas les secondes, par exemple le décret inscription. Médiatiquement, cela a pris une ampleur terrible, alors que cela ne concernait que quelques écoles, en section générale. Nous ici, on en a rit, on avait une file de…une personne ! Par contre, ce qui est moins risible, c'est qu'on donne la parole à des parents mécontents, qui font la file devant des écoles huppées, et qui savent s'exprimer, mais qu'on ne la donne jamais à des parents d'élèves en CEFA. Là encore, il y a une récupération médiatique et, consécutivement, politique, qui nous paraît inadmissible.