Dossiers et reportages || Questions sociétales
Des luttes pour des droits culturels
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Introduction
Dans un autre dossier (Droits culturels: Alain Touraine rencontre les acteurs du champ culturel en communauté française), nous proposions un entretien avec le sociologue français Alain Touraine qui posait la question d'une redéfinition des mouvements sociaux. Ainsi, selon lui, après les luttes sociales des dernières décennies, un nouveau conflit central se fait jour dans nos sociétés modernes. On peut en effet clairement identifier de nouvelles luttes très concrètes et de nouvelles résistances émergentes, mais ces luttes apparemment disparates ont-elles une cohérence? Répondent-elles à un modèle particulier? Et quel en est l'enjeu? Illustrations à l'appui, à la lumière de la sociologie du Sujet chère à Alain Touraine, Intermag analyse et décrypte dans ce dossier une série de luttes très concrètes, à la recherche d'une cohérence dans la résistance...
La communauté Linux libère le logiciel
Au centre du projet Linux, il y a la constitution progressive d'un système informatique composé de logiciels libres, c'est-à-dire assurant aux utilisateurs quatre libertés fondamentales : celle d'utiliser les programmes comme bon leur semble, ce qui est bien le moins, mais aussi celles d'en étudier la structure, d'y apporter des modifications ou des améliorations, et d'en redistribuer gratuitement des copies. Un système très éloigné des licences payantes et qui favorise le partage, les échanges, les collaborations. Un système qui libère et, disons-le, démocratise l'informatique. Mais il ne s'agit pas que d'informatique. Les enjeux sont plus vastes : en libérant l'informatique, c'est aussi pour garantir dans l'avenir le libre accès à l'information, aux connaissances et donc à la culture que la Communauté Linux se bat, se mobilise. C'est sans doute la conscience de ces enjeux de société qui permet à Etienne Lurquin de tenir le coup. Car ses journées sont très chargées... Il travaille à mi-temps à l'Administration communale de Marchin, où il gère le système informatique linux naturellement. Une tâche très concrète, qui va de la configuration des imprimantes à la mise en réseau des ordinateurs en passant par la gestion des comptes mails. Les après-midi, il s'occupe de ses propres clients, chez qui il installe Linux ou pour qui il développe des logiciels spécifiques, mais toujours libres bien sûr! Quant aux soirées, aux nuits et aux week-ends, il les consacre... à la recherche et à l'étude du système Linux, qui évolue sans cesse... Quand il lui reste un peu de temps, il s'accorde une récréation : travailler à son propre logiciel, celui qu'il rêve de mettre un jour à la disposition de toute la communauté Linux... Il reste des petits pépins à régler, le but est proche... si seulement il avait plus de temps... C'est dire que nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir rencontrer cet homme très occupé, de pouvoir l'interroger sur la Communauté Linux mais aussi sur ses motivations personnelles, ses objectifs. C'est le résultat de cet entretien que nous vous proposons dans le reportage vidéo qui suit.
Analyse
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Site Internet de l'association : https://telsquels.be/.
La France de la diversité de A à ZOUZ
Depuis son enfance dans un bidonville de la région lyonnaise,jusqu'à aujourd'hui, en tant que Ministre du gouvernement français délégué à la promotion de l'Égalité des chances, Azouz Begag a lutté pour le droit à l'intégration et à la diversité. Pour lui tout d'abord, et ensuite pour tous ceux qui comme lui ont du « se battre pour s'en sortir et exister »
Vas, vis et deviens
Le 12 décembre dernier, au Centre culturel de Libramont, Azouz Begag répondait à l'invitation du Département des Affaires économiques de la Province de Luxembourg pour une conférence/débat intitulée «Va, vis et deviens». Animée par Jacques Bredael, cette conférence a été l'occasion pour lui de faire le point sur une vie passée à lutter contre les discriminations.
Sortir du bidon d'huile
Azouz Begag n'est pas un homme politique à proprement parler. Sociologue, romancier*, professeur, chercheur, scénariste pour la télévision, il fait partie du gouvernement français sans être un élu du peuple. « J'ai des lecteurs, pas des électeurs», aime-t-il préciser.
Né en 1957, dans la banlieue de Lyon, Azouz Begag, enfant de l'immigration algérienne, a vécu dans un bidonville durant les dix premières années de sa vie. Ses parents avaient rejoint la France pour trouver du travail. Ils ne parlaient pas français et ne savaient ni lire ni écrire. Aujourd'hui il est le premier Ministre français issu de l'immigration maghrébine.
« Un jour un enfant à qui j'ai dit que j'étais né dans un bidonville a écarquillé les yeux devant moi et m'a dit: 'Tu es né dans un bidon d'huile? Comment tu en es sorti? '. Et je lui ai expliqué que c'était par l'école. J'ai trouvé comment ouvrir le bidon et je me suis échappé comme un génie. »
Apprendre pour surmonter les humiliations
C'est donc grâce à l'École de la République et à l'apprentissage de la langue qu'il considère comme « un passeport pour l'intégration » qu'il a pu « monter dans l'ascenseur social ». Une motivation, une hargne même, qui naquit des humiliations subies dans son enfance.
La puissance de la langue pour déjouer la discrimination
Il se lance donc dans une véritable frénésie d'apprentissage: un bac en électrotechnique pour commencer, puis un doctorat en sciences économiques. Il deviendra chercheur au CNRS où il travaillera beaucoup sur les questions des difficultés des jeunes issus de l'immigration maghrébine et sur les questions de l'intégration et de l'identité. Il mène par ailleurs une carrière en tant que romancier,avec en 1986 la parution de son premier livre, Le Gone du Chaâba, dans lequel il raconte son enfance.
L'arabe qui cache la forêt
Azouz Begag sera même fait Chevalier de la Légion d'honneur!Mais si il est devenu un emblème pour une génération de jeunes issus de l'immigration, il refuse toutefois d'être, selon ses termes « l'arabe qui chache la fôret ».
Place à la richesse de la diversité
Devenu aujourd'hui ministre, il continue le combat pour la diversité, pour « une France des couleurs », à travers des actions très concrètes de sensibilisation des entreprises, du grand public et du monde politique. Rappelons qu'il s'est opposé à Nicolas Sarkozy, un collègue de gouvernement, sur les mots utilisés lors de la récente crise des banlieues: racaille, nettoyage au Karcher... Il s'agit donc non seulement d'un combat culturel mais aussi politique.
Cette révolte des gens qui disent non
Dans sa chambre, Azouz Begag garde deux photos qui ne l'ont jamais quitté depuis son enfance et qui sont emblématiques pour lui.
« La première a été prise aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. C'est sur un podium. Il y a trois places. Les deux Noirs américains qui viennent de gagner ont le poing levé avec des gants noirs. C'était une telle puissance pour moi de voir que des américains noirs en 1968 - Martin Luther King venait d'être assassiné - au moment de l'hymne national américain, bafouent cet hymne en disant non à la ségrégation des Noirs aux Etats-Unis. J'en ai une autre aussi du boxeur Cassius Clay, Mohamed Ali. Lui, dans la même période aussi, ça m'avait beaucoup troublé, disait 'moi je ne vais pas faire la guerre au Vietnam. Pourquoi irais-je tuer des vietnamiens dont je n'ai jamais entendu parler alors qu'il y a tellement de mes frères Noirs américains qui sont dans les situations dramatiques, dans les ghettos pouris de toutes les grandes villes américaines?'. Cela m'a vraiment marqué cette révolte des gens qui disent non, de ces hommes révoltés qui tout d'un coup se lèvent et disent non.»
Bibliographie sélective parmi 40 livres écrits:
- Le Gone du Chaäba (1986)
- Béni ou le Paradis Privé (1989)
- Les Chiens aussi (1995)
- Tranches de vie (1998)
- Le marteau pique-coeur (2004).
Remerciements:
Nous tenons à remercier le Département des Affaires économiques de la Province de Luxembourg pour cette belle initiative et pour leur autorisation de diffuser quelques extraits de cette conférence.
Abstraction au coeur de La Docherie
>> Une fresque pour donner de la couleur au quartier de la Docherie, près de Charleroi.
>> Une façon de sensibiliser la population à l'art et de déplacer la culture du centre vers la périphérie.
La Docherie, un quartier de la banlieue ouest de Charleroi. Des maisons en brique rouge, des rues étroites, des terrils... et une fresque de 24 m2, réalisée par les habitants de la docherie.
Cette fresque c'est le résultat de l'Opération Couleur Quartier qui a eu lieu en 2004. Cette Opération est née de la collaboration entre les actions de quartiers du CPAS de Charleroi et le centre culturel régional. Un des buts était d'inviter les gens de la Docherie à redonner de la couleur à leur quartier. Il s'agissait de faire participer tous les habitants, mais pour cela il fallait trouver un moyen de les attirer.
Concrètement cette fresque a été réalisée à partir des différentes peintures conçues par les habitants de la Docherie. Ces dernières ont été créées lors d'ateliers encadrés par l'artiste peintre Jean-Luc Urbain. Chaque atelier s'est déroulé de la manière suivante: après un bref aperçu de l'histoire de l'art expliquant en quelques mots le passage du figuratif à l'abstrait, Jean-Luc Urbain, mettait au travail les artistes d'un jour. A partir d'une photo en rapport avec le quartier, chaque participant avait pour mission de produire sa propre peinture.
Ces peintures abstraites sont une façon de faire comprendre aux gens la déconstruction du figuratif opérée par certains artistes. Une façon de rendre l'abstrait moins abstrait! Et expérimenter la création artistique, ça peut donner l'envie de s'y intéresser....
Une fois toutes les oeuvres réalisées, c'était au tour des peintres en bâtiment de la Régie de Quartier d'entrer en scène. Sous la direction de Jean-Luc Urbain, ils ont peint la fresque à partir des différentes peintures produites par les habitants de la Docherie. D'autres peintures ont été disséminées le long du chemin entre le la Docherie et le centre culturel de Charleroi.
Une façon de montrer qu'il se passe aussi des choses à la Docherie, d'attirer les gens du centre de Charleroi vers la périphérie pour y découvrir une fresque monumentale.C'est aussi une manière de redorer le blason de ce quartier parfois oublié et un début peut-être de décentralisation des activités culturelles.
Selon l’auteur, les changements observables dans les sociétés contemporaines nous obligent à modifier le regard que nous portons sur elles : nous devons désormais adopter un paradigme non social pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.
En filigrane de ce raisonnement se trouve posée la question d’une redéfinition des mouvements sociaux, puisque le conflit structuré et structurant mené par la classe ouvrière contre le patronat s’inscrivait pleinement dans un paradigme social.
Alain Touraine a souvent posé la question de savoir si l’on pouvait repérer l’émergence d’un nouveau conflit central dans la société globalisée qui est la nôtre (et qu’il a souvent appelée société programmée pour en indiquer le mode de pouvoir) et il a défendu l’hypothèse que ce conflit portait sur la défense de la liberté du sujet personnel.
Nous voudrions dans ce texte tenter de voir à quelles luttes concrètes correspond éventuellement ce conflit central – et donc voir si l’on peut définir au moins partiellement quels sont les objets de ces luttes, leur nature, leurs protagonistes, leurs modalités.
Quelle cohérence derrière ces luttes?
La défense du Sujet
Selon Alain Touraine, ce nouveau conflit central qui traverse nos sociétés et qui s'incarne très concrètement à travers les résistances évoquées ci-dessus, porte sur la défense de la liberté du Sujet personnel.
Le "Sujet" lutte contre un double ennemi "en miroir": l'hyper-capitalisme mondialisé, qui réduit les individus au statut d'objet de stratégies ou de cible manipulée; le communautarisme, qui, au nom de l'identité, étouffe l'individu dans la loi du groupe et peut s'exprimer par la violence ou la guerre. Bref des forces personnelles contre des forces impersonnelles.
Sur tous les fronts, le Sujet s'affirme donc comme un être de droits: civiques, sociaux mais surtout culturels.
Le droit de ne pas être enfermé dans une image et un stéréotype pour lequel se bat Simon Njami; le droit de disposer de soi-même et de choisir son style de vie, sa sexualité porté par l'asbl Tels Quels; le droit à l'autonomie culturelle et à l'expérience esthétique mis en pratique à la Docherie; le droit à la participation au système pour les minorités que revendique Azouz Begag, le droit à l'informatique libre défendu par la Communauté Linux...
L'enjeu de ce conflit central est de pouvoir combiner pour chacun à la fois la possibilité de participer à la vie économique et l'exercice de ses droits culturels.
Dans le texte qui conlut notre dossier, Jean Blairon avance l'idée qu'un mouvement social peut porter sur des revendications culturelles. Des revendications de liberté créatrice, d'authenticité, d'identité, de participation. Il part ainsi à la recherche d'une cohérence entre ces différentes dimensions de luttes culturelles dans notre société programmée.