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Dossiers et reportages || Questions sociétales

 

Une sociéte de la compétence:
vers plus ou moins d'égalité?


 

Introduction

 

Dans les entreprises, les écoles ou les centres de formation, la compétence est désormais à l'ordre du jour! Mais avec quels effets: davantage d'égalité ou au contraire la création de nouvelles inégalités?

C'est la question posée à l'occasion du 2ème Chantier des "Assises de l'égalité" à Namur. Les acteurs progressistes de la région se sont en effet penchés sur cette question, constatant qu'une même manière de parler le travail, la formation ou l'enseignement s'est installée un peu partout sous la forme du "modèle des compétences".

 

 

La gestion des compétences, c'est une méthode très à la mode dans le monde des Ressources Humaines. Elle permet de déterminer les compétences nécéssaires à l'occupation d'un poste de travail.

Simple direz-vous, il suffit de déterminer les diplômes nécessaires pour la fonction et le tour est joué... Et bien pas tout à fait, derrière le mot "compétence" se cache bien plus qu'un diplôme...

 

 

Pour Philippe Decaluwé, Practice leader au sein de la société de Consultance en Ressources Humaines De Witte & Morel, "Les compétences, c'est un ensemble d'éléments relatifs au savoir, au savoir-faire. Donc ce que l'on doit savoir faire dans une fonction donnée. Et c'est aussi ce que l'on appelle le savoir-être, c'est-à-dire par exemple, la gestion du stress, la motivation que l'on a pour réaliser un certain nombre de choses."

Pas de problèmes pour le savoir-faire, c'est concret mais le savoir-être, comment peut-on évaluer de façon objective que telle ou telle personne est motivée, flexible ou dynamique? Philippe Decaluwé explique: "Je crois que l'important c'est d'être concret et de traduire ces compétences qui sont des notions un peu plus théoriques en indicateurs de comportement, ce qui rend la compétence observable et mesurable." Et pour mesurer celle-ci, différents moyens ont été mis au point. Cela se fait dans des "assessment center" ou des "development center". L'individu est soumis à une batterie de tests, tests de personnalité, tests d'aptitude, tests d'intelligence numérique, verbale etc. Les compétences sont donc évaluées sous différents angles.

 

Philippe Decaluwé Philippe Decaluwé Philippe Decaluwé
Pourquoi utiliser
un modèle
de compétences?
Des indicateurs
concrets
Un modèle
modulable

 

 

Cette méthode de gestion des Ressources Humaines est utilisée bien sûr pour déterminer le profil nécessaire pour l'obtention d'un poste, mais aussi dans la vie quotidienne de l'entreprise. Pour Philippe Decaluwé "Cela permet de mettre des normes très claires par rapport à ce qu'on attend de chacun dans une organisation, qu'elle soit publique ou privée." Il est également possible pour le manager d'évaluer de temps à autres son personnel. Il s'agit de détecter les compétences dans lesquelles il est moins fort, voir comment on peut y remédier et envisager la place qu'il pourrait occuper dans l'entreprise dans 5 ans par exemple.

Mais cette gestion par l'intermédiaire des compétences n'avantagerait pas que les entreprises. "On pourrait parler de contrat de compétences finalement, explique Philippe Decaluwé. Si lors de l'embauche, la personne n'a pas toutes les compétences, l'entreprise va l'aider, la coacher, lui permettre de se dépasser. La personne va mieux fonctionner si elle est plus compétente et elle va pouvoir atteindre les objectifs que lui fixe l'entreprise. Le travailleur au niveau d'employabilité sur le marché y gagne. Ses compétences ont été renforcées ou augmentées. Et sur le marché de l'emploi plus on est compétent, plus on est fort."

 

L'enthousiasme pour cette méthode de gestion des Ressources Humaines est nettement moins flagrant du côté syndical. Pour Jean-Marie Constant, secrétaire régional de la CSC Namur, "Un des risques est que les entreprises n'investissent dans l'amélioration des compétences que pour les postes de cadre, ce qui va accroître les inégalités." Et il n'y a pas que cette crainte là du côté syndical. D'autres dérives à cette méthode de gestion par compétences existent. Cette nouvelle façon de gérer les Ressources Humaines pose par exemple le problème de la performance chez le travailleur. Jean-Marie Constant explique : "En tant qu'organisation syndicale, nous devons être attentifs à ce que compétence et perfomance ne soient pas confondues. Nous sommes trop souvent confrontés à des travailleurs plus âgés par exemple à qui l'on dit qu'ils ne sont plus compétents, alors que c'est simplement le rythme de travail imposé qu'ils ne suivent plus."

Philippe Charlier, consultant pour la société de consultance en Ressources Humaines Profondo, est tout à fait conscient de cette dérive des entreprises: "Pour une entreprise, ce n'est pas la compétence qui est importante mais ce qu'on appelle plutôt dans le secteur privé la performance, ou ce que l'on appellera dans le service public "la qualité de service final délivré à l'usager". Donc la compétence ce n'est jamais qu'un moyen pour arriver à cela."

 

Jean-Marie Constant Jean-Marie Constant

Jean-Marie Constant

Dérives possibles Enjeux syndicaux
de la gestion
des compétences
Combat quotidien

 

 

Autre problème qui peut être soulevé, c'est le risque de perdre la vision globale du travail. A force de décomposer un poste en compétences, la raison d'être du travail peut paraître lointaine. Philippe Charlier en est à nouveau également très conscient:

"A force de vouloir de façon systématique expliciter les compétences, on perd de vue la vision globale. Un des enjeux importants pour nous, c'est de parvenir à garder une vision globale tout en ayant le souci du détail".

Du côté de De Witte & Morel, on affirme également se soucier de cette problématique: "C'est un point très épineux. Je dirais que ça dépend un peu de la maturité des Ressources Humaines que l'on a dans une organisation. Il est très important que la gestion des compétences se fasse en cascade depuis le top de la direction jusqu'à la personne individuelle, de sorte qu'il y ait effectivement une logique, une cohérence en termes d'objectifs de fonction. Et de là découlent les objectifs qu'une équipe doit pouvoir développer collectivement".

La vision du travail en équipe resterait donc centrale... mais du côté de la CSC, on craint que le travailleur de plus en plus ne soit soumis individuellement à son employeur. "C'est davantage un inconvénient qui ouvre la porte aussi à la culpabilisation. En effet, si un travailleur n'entretient pas ses compétences, il devient vite coupable au sein de l'entreprise. C'est alors problématique", explique Jean-Marie Constant.

Même si des points litigieux existent et pour lesquels la CSC va continuer à se battre, elle ne rejette pas en bloc la gestion des compétences. Tout ce qui concerne la gestion des compétences, c'est-à-dire les profils de compétences, ou par exemple, les évaluations des travailleurs, doivent pour la CSC faire partie des négociations entre patronat et syndicat au sein de l'entreprise. Et c'est un combat de tous les jours pour l'inscrire. "Si la gestion des compétences est intégrée dans les négociations collectives entre syndicat et partronat, si elle permet de prendre en compte tout le potentiel que les travailleurs mettent à disposition de l'entreprise, cela peut en effet être un plus. Si ce n'est pas le cas, c'est une source de conflit".

 

Philippe Charlier Philippe Charlier
Deux visions
différentes
des compétences
L'avenir
de la gestion
des compétences

 

 

 

L'instauration de l'approche par compétences dans l'enseignement trouve sa source dans le célèbre Décret Missions initié par Laurette Onkelinx en 1999.

Inspirée des travaux du socio-constructivisme, l'approche par compétences part du principe que l'élève peut/doit construire des savoirs à partir de ce qu'il sait déjà.

Telle que définie dans ce Décret Missions, la compétence est:

"l'aptitude à mettre en oeuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d'attitudes permettant d'accomplir un certain nombre de tâches".

Depuis lors, cette approche de l'enseignement par compétences a percolé dans les programmes des différents réseaux, avec plus ou moins de zèle selon les établissements.

Nous avons trouvé à Mons une école qui joue le jeu de la compétence et applique le décret à la lettre. L'Ecole du futur, comme elle se nomme elle-même, a même créé un "bulletin des compétences".

To be or not to be "competent"

L'évaluation par compétences dans l'enseignement fondamental et secondaire est encore peu pratiquée malgré le décret "missions" datant de 1999.

A "l'école du futur" à Mons, ce système est jugé pourtant très efficace.

Recevoir un bulletin de quinze pages, cela change de la traditionnelle unique feuille A4, avec une seule note par matière, à laquelle les élèves sont généralement habitués. A Mons, "l'école du futur", une école d'enseignement secondaire général, a opté pour l'évaluation par compétences et c'est ce qui rend le bulletin si touffu. L'évaluation pour chaque matière est découpée par compétences qu'elles soient transversales ou disciplinaires. Cette méthode d'évaluation des élèves n'est évidemment pas sortie de nulle part. Cela fait suite au décret "missions" de 1999. Pour rappel ce décret a pour but de "définir les missions prioritaires de l'enseignement et d'organiser les structures propres à les atteindre". Une des missions de ce décret est "d'amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique sociale et culturelle". Et pour ce faire, la Communauté française va veiller, entre autres, à ce que l'établissement "mette l'élève dans des situations qui l'incitent à mobiliser dans une même démarche des compétences transversales et disciplinaires y compris les savoirs et savoir-faire y afférents".

Compétences transversales, compétences disciplinaires

Toujours selon le décret, les compétences transversales sont "les attitudes, les démarches mentales et méthodologiques communes aux différentes disciplines à acquérir et à mettre en oeuvre au cours de l'élaboration des différents savoirs et savoir faire; leur maîtrise vise à une autonomie croissante de l'élève". Les compétences disciplinaires sont un "référentiel présentant de manière structurée les compétences à acquérir en vue dans une discipline scolaire".

A Mons, on ne se contente pas d'appliquer le décret et donc de mettre ces compétences en avant de façon concrète dans les différents cours. On les retrouve aussi comme il l'a été mentionné précédemment dans l'évaluation trimestrielle de l'élève.

Un exemple

Prenons le cours d'histoire pour un élève de deuxième secondaire. "L'école du futur" a déterminé huit aspects à évaluer. La moitié de ceux-ci concerne les compétences transversales, l'autre moitié les compétences disciplinaires. Les premières sont évaluées sans notes mais avec la mention "compétence atteinte" ou "non atteinte". Les suivantes sont, elles, évaluées avec des notes traditionnelles. "Le but du bulletin par compétences, c'est de donner du sens à l'évaluation, explique Michel Meuret, directeur de l'école du futur, ce qui nous intéresse c'est la richesse suscitée par ce type d'évaluation. Cela permet une véritable radiographie de l'élève. Les points faibles et les acquis sont mis en lumière. Avec ce système, on peut voir apparaître les problèmes et les traiter quand ils sont là." Michel Meuret ajoute: "On a des élèves capables, qui ont beaucoup de savoir faire mais cela n'est jamais mis en valeur dans un bulletin traditionnel car tout repose sur le savoir pur et dur".

Et si ce directeur d'école a opté pour ce système d'évaluation par compétences, c'est aussi parce qu'il correspond à la philosophie du projet pédagogique de son école. Depuis 2000, en effet, cet établissement montois applique des méthodes éducatives axées sur l'autonomie de l'élève face à la matière, ce qui lui permet selon Michel Meuret, "d'avancer à son rythme, d'avoir un suivi individualisé de l'élève."

Le système d'évaluation par compétences à l'école du futur est adopté donc depuis 6 ans, mais il a subi plusieurs modifications. Au départ une grande importance était accordée à l'évaluation des compétences transversales. Aujourd'hui une plus grande attention est accordée aux compétences disciplinaires. Les professeurs estimaient en effet que pour certaines compétences transversales, il était assez difficile de juger si la compétence était atteinte ou non. Dans le cas par exemple de "l'application des consignes", certains élèves ne se soumettraient au règle que de façon aléatoire, lorsqu'ils le veulent bien. "Les professeurs ont alors estimé intellectuellement malsain, de juger cette compétence atteinte on non atteinte" explique Michel Meuret.

Une évaluation qui demande du temps

Cette évaluation par compétences demande du temps aux professeurs. Il est en effet, plus aisé de remettre une seule cote que plusieurs. En outre, l'école a fait le choix de demander à chaque professeur d'indiquer des remarques pour chaque élève. Pour Michel Meuret, "le commentaire est une analyse, un diagnostic des compétences de l'élève. Si des problèmes apparaissent, des propositions de solutions sont apportées".

Si l'évaluation par compétences nécessite un surcroît de travail pour les professeurs, les élèves eux aussi doivent s'habituer à ce système lorsqu'ils arrivent dans cette école, fraîchement sortis d'un établissement de l'enseignement fondamental. Les parents ne sont pas non plus en reste! Afin de comprendre le bulletin de leur enfant, tout le système des compétences est expliqué en début d'année dans un dossier qui leur est remis. "Et l'école reste toujours ouverte, je reçois les parents qui souhaitent de plus amples explications" ajoute Michel Meuret.

Tout ce système d'évaluation par compétences émanant du décret "missions" peut paraître un peu complexe mais pour Michel Meuret "s'il n'y a pas d'application stricte et rigoureuse du décret c'est parce qu'il y a un souhait de rester dans le conformisme". Pour lui, l'évaluation d'un élève est un aspect crucial de l'enseignement qu'il ne faut surtout pas hésiter à remettre en cause.

 

Depuis 11 ans, la CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications) impose la loi des référentiels de compétences dans l'enseignement technique et professionnel. Composée notamment d'employeurs, de représentants du monde syndical ou encore d'enseignants, la CCPQ a pour tâche de définir les profils de formation, c'est-à-dire "l'ensemble des compétences à acquérir en vue de la délivrance du certificat de qualification à l'issue de l'enseignement secondaire".

Pour atteindre cet objectif, la CCPQ définit des profils de qualification. Il s'agit, pour chaque métier concerné, de décrire précisément les compétences qu'un ouvrier expérimenté (5 ans d'expérience) doit maîtriser. Sur base du profil de qualification, on rédige alors le profil de formation. Ces profils ont force de loi et sont une base obligée pour l'établissement des programmes d'études.

C'est donc ici aussi la logique des compétences qui prédomine. Une logique qui offre pourtant une série de paradoxes, voire d'incohérences, qui pourraient faire sourire s'ils ne risquaient pas de creuser encore les inégalités. C'est la crainte de Paul Timmermans, directeur du Collège Pie X à Charleroi. Il nous livre ici une analyse critique du système, sans toutefois le diaboliser.

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Reportage vidéo

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Le dispositif de validation des compétences professionnelles

34% des élèves sortent de l'enseignement secondaire sans avoir aucune certification et donc sans disposer d'aucune reconnaissance officielle des connaissances et des savoirs qu'ils maîtrisent. Or sur le marché de l'emploi, ils sont confrontés à des mécanismes qui utilisent très largement les diplômes et certifications. Aujourd'hui, même pour accéder à une formation proposée par le Forem par exemple, des prérequis sont bien souvent nécessaires....

Comment dès lors valider des compétences utiles?

competences_form_continuee_2Ici aussi la culture des compétences a percolé, avec la mise en place d'un dispositif de validation des compétences. Un dispositif de service public qui a un objectif louable: pouvoir reconnaître officiellement des compétences acquises en-dehors du système d'enseignement.

La logique de ce dispositif est une logique de validation par le haut.
Première étape, des référentiels d'évaluation sont produits pour chaque métier concerné (aide-comptable, découpeur/désosseur, couvreur, maçon, etc.). Il s'agit de définir très précisément les compétences requises pour chacun de ces métiers.

Dans un second temps, des épreuves de validation sont alors organisées. Ces épreuves sont des situations professionnelles reconstituées et définies par les partenaires sociaux. Le candidat qui réussit ces épreuves se voit valider ses compétences et reçoit un "titre de compétence" - qui n'est pas un diplôme.

Des compétences à l'unité

Dans ce dispositif, on ne valide pas des compétences "métier" mais ce sont des unités de compétence qui sont évaluées. Par exemple, le métier de couvreur est découpé en une série d'unités de compétences: organiser un chantier, poser des tuiles, etc. Malheureusement, si le dispositif peut reconnaître les 4 unités de compétences du couvreur à une personne, il ne lui délivrera pas pour autant le titre de couvreur qui est l'apanage de la Communauté française et de l'enseignement.

Premier bilan

A ce jour, une centaine de titres de compétences sont désormais accessibles pour une trentaine de métiers au total. Les centres de validation ont déjà organisé plus d'une centaine d'épreuves, essentiellement pour le découpeur/désosseur, l'aide comptable et le maçon. Le taux de réussite est inférieurà 50%.

(Infos sur www.cvdc.be)

 

L'expérience de l'EFT Le Trusquin

competences_form_continueeA l'opposé de ces pensées descendantes, abstraites et parfois même irréalistes, les associations du champ de la formation professionnelle proposent un autre modèle de validation des compétences: une validation "par le bas" en quelque sorte.

L'expérience de l'Entreprise de Formation par le Travail (EFT) Le Trusquin est intéressante à cet égard. Cette EFT installée à Marloie forme des ouvriers du bâtiment, des soudeurs et des chauffeurs/livreurs.

Il s'agit d'une expérience intéressante car elle est bifide: d'une part, elle articule ses exigences formatives aux standards de la production dans les entreprises; d'autre part elle construit des référentiels d'une façon individualisée, en partant du potentiel des personnes formées.

La question n'est donc pas de tenter d'adapter à tout prix le stagiaire à l'optimum abstrait d'un référentiel métier; elle est de trouver un horizon pour la personne, compte tenu de ses compétences présentes et à acquérir.

 

 


 

Prolongements au dossier