Expériences en cours et à partager - Travail de rue/travail de net

Un facebook pour rester contactable et en lien, mais sans entrer dans l'immédiateté du média

Expérience partagée par des travailleurs de rue AMO dans l'utilisation d'un FB comme point de contact alternatif mais non immédiat : il s'agit encore d'"utiliser FB sans faire du FB"; sans laisser prise à l'immédiat, sans utiliser de chat, uniquement comme un point de contact alternatif.

Educateurs: Anne-Lise et David de l'AMO Point Jaune

Ils ont ouvert un compte FB depuis un an; le nom du profil reprend les prénoms des travailleurs "David et Anne Lise" (cf. balise méthodologique de visibilité - ne pas tricher avec le jeune sur son identité).
A noter qu'il s'agit d'une AMO 24h/24h.

Quand ils ont commencé le travail de rue il y a un an, il y avait déjà une réflexion à l'interne. De par le fait d'être une AMO 24h/24, il y avait beaucoup de demandes de jeunes pour la création d'un collectif, etc.; qui a débouché sur la création, par deux collègues, d'un profil FB avec les jeunes (Cf. description de cette expérience-là.)

David : Donc, quand j'ai commencé le travail de rue, les deux collègues ont commencé leur groupe FB - et je me suis rendu compte qu'il y avait des parallèles entre ce que je voyais dans la rue et ce que je voyais sur FB.
Par exemple: après trois semaines je suis arrivé dans une bagarre qui avait commencé sur FB. Ils se sont donné rendez-vous en rue. Le conflit avait commencé sur FB et les amis ont vite mis fin à la bagarre.
Premier constat sur l'espace virtuel : un conflit de relation, un quiproquo dans l'espace virtuel peut avoir des conséquances dans l'espace réel.
Deuxièmement : en ayant moi-même un profil FB, je me rends compte que pour les plus jeunes ça peut avoir des enjeux identitaires, d'appartenance, relationnels; qui vont se jouer sur FB. Et je me suis dit que ce serait intéressant de créer un espace dans ce sens-là..
Mais toujours avec cette question "REPARS DE TA PRATIQUE" : est-ce que FB est pertinent ? Est-ce que les jeunes te parlent de FB ? Est-ce qu'ils te demandent si tu as un profil ? Et ainsi de suite.

Et il s'est avéré que parfois des partenaires, par exemple la Maison de Jeunes, nous disent "mais on a un groupe FB avec les jeunes et on organise des activités".
Ceci dit, des jeunes avaient déjà, par Internet, avec mon nom de famille, fait une demande pour être "amis" à travers mon compte personnel.
On s'est donc dit que ce pourrait être intéressant de créer un compte et de voir ce que l'on peut en faire. Non pas pour être présent régulièrement - en tout cas - je ne suis pas fan de l'instantané; je préfère la proximité physique et réelle; mais je me dit "on va créer ça et voir", et relever des constats à partir de ce moment là.
J'ai été invité, par les collègues de l'AMO qui travaillent dessus, à rejoindre le groupe Point Jaune existant fait avec les jeunes dans le cadre d'une action, et il y a eu déjà six jeunes, à partir de la création du nouveau profil plus ciblé travail de rue, qui m'ont fait une demande d'amis à ce moment là; et un mois après on nous a proposé de participer à un projet sur Charleroi : "Couleur Carolo".
On ne s'est pas trop posé de questions par rapport à la déontologie, parce que je sais que les collègues éducatrices de l'AMO avaient déjà fait ces recherches-là.
Le but était de favoriser voire pérenniser la relation avec les jeunes. On a demandé a avoir un téléphone pour être joignables à l'extérieur et disponibles pour les jeunes, parce qu'ils ne savent peut-être pas toujours oú on est. C'est la même logique : ok, on va utiliser un autre moyen de communication qui sera peut-être FB.
Il ne s'agit par contre pas de transmettre des données, ou de dire qu'on va répondre instantanément. Mais de dire "voilà, si tu as des choses à dire, c'est un moyen de communication qu'on va exploiter." Mais c'est en parallèle au travail et surtout au temps que prend le travail de rue. Parce que ça prend du temps.
Je pense que c'est en train de s'articuler.
6 mois c'est très peu pour être connu dans cet espace; après un an et demi de travail de rue je vois qu'on commence à être de plus en plus identifiés par les jeunes. Une relation de confiance ne s'installe qu'avec le temps; même chose par rapport à FB; je constate que (et ça va probablement évoluer avec le travail), 10 mois de pratiques de FB c'est peut-être peu, mais ça nous a aidé à construire des projets collectifs.

On utilise beaucoup la page FB pour réunir le collectif. Un constat qu'on relève beaucoup dans notre travail de rue, en tout cas à Charleroi, dans le centre, c'est que le collectif prend de moins en moins de place, que c'est une volonté communale d'évincer le collectif. On se questionne par rapport à ça, aux dérives et conséquences : parce que d'être confrontés avec ses pairs, de se construire ses propres ressources, c'est apprendre sa propre autonomie et la travailler, on est en recherche de collectifs et on utilise FB pour ça - on voit comment les jeunes interagissent avec le groupe secret que nos collègues ont mis en place : c'est la place du marché, il y a des crieurs qui viennent balancer leurs idées, il y en a d'autres qui les reprennent ; ce genre de choses ne sont apparemment plus possible en rue...
Donc on l'utilise comme un moyen pour ramener du collectif, ramener ces jeunes dans des rencontres réelles.

Les constats?
C'est, qu'effectivement, ça nous permet de toucher beaucoup plus facilement les collectifs. Ca nous a permis d'organiser des activités : "voilà, on va organiser telle réunion, est-ce que ça vous intéresse ?". C'est un public qui est vraiment dans une très grande précarité sociale, qui est beaucoup dans l'immédiateté, et donner les infos pour une semaine après, ça ne marche pas, ils oublient ou ils passent en rue et ils viennent mais un copain passe et voilà [du coup ils ne viennent pas]; et FB leur permet de dire "tiens c'est vrai qu'il y a un truc aujourd'hui". Donc ça nous permet de toucher le collectif. Et on le voit un peu pour les jeunes comme l'extension de leur réalité.

J'écoutai Serge Tisseron ce matin: le virtuel fait "partie de".
A un moment donné on s'est dit: ne pas être présents sur la toile, c'est rater le coche. C'est se mettre la tête dans le sable, on travaille avec les jeunes, si on veut les comprendre, il faut utiliser leurs outil. Et comme, effectivement, pour eux, c'est l'extension de leur réalité, dans le travail de rue, on est dans leur milieu de vie mais on n'est pas pour autant intrusif: donc on va utiliser la même méthodologie non intrusive sur FB. C'est-à-dire: ce sont eux qui font les demandes. Quand on est sur le chat, on ne va pas discuter avec eux, ce sont eux qui ont le loisir de venir communiquer avec nous.
Et il y a un besoin de reconnaissance du jeune. Si on se reporte à notre adolescence : savoir qu'un adulte sache quel type de musique on écoute par exemple : je parle avec ma pote, mais je sais bien que l'adulte écoute que je fume des pétards. Comme ça il le sait, il l'entend. Ca me permet de dire "regarde qui je suis" parce que tu me vois, en rue, comme ça, mais j'ai envie de te montrer une autre facette de moi. On a l'impression que ça peut répondre aussi à des besoins.

Notre page est ouverte aux "amis", elle n'est pas "publique".
Pour l'instant on n'accepte que des jeunes qu'on a croisé en rue parce qu'il n'y a que ça. Si la question se pose de jeunes autres : on se la posera à ce moment-là.
Par exemple pour l'instant : on lui demande si on s'est déjà croisés, si on se connait, s'il est possible de se rencontrer, je lui dit "écoute, je n'ai pas le souvenir qu'on se soient rencontrés; on peut se rencontrer, je suis là de telle à telle heure, on peut se voir".

C'est un seul compte pour les éducateurs, donc pour nous deux pour l'instant: on se fait confiance entre collègues: et on parle à l'équipe s'il y a quoi que soit. Et ça se fait par essai-erreur: si on a peur de tout, on va rester sur sa chaise et ne rien faire.
C'est une stratégie qu'on met en place pour être disponible. Parce que le réseau social virtuel, au même titre que le réseau social: c'est un tissu social qu'on doit explorer.

Même quand je ne suis pas connecté, j'existe, et les jeunes peuvent laisser un message.
L'usage qu'on en fait actuellement représente quelques heures sur la semaine, en dehors des heures de travail parce qu'on essaye d'être un maximum à l'extérieur.

La promotion? Comment ça se passe? Qui remet l'adresse?
En tapant nos prénoms: on va nous trouver, et pour les jeunes qui connaissent Point jaune et connaissent le Profil Point Jaune on est dans les amis du profil Point Jaune.
On attend toujours d'avoir l'invitation de leur part.
Ce sont des jeunes qui nous identifient déjà comme étant des professionnels - ils savent très bien que c'est dans le cadre du travail.

AMO Carrefour J : On va commencer à se poser beaucoup de question quand un jeune ne va vouloir communiquer uniquement que par la toile et ne pas vous voir en rue "je n'ai pas envie que tu me voies, j'ai envie que tout se joue sur la toile"...
Le travail de rue on ne pouvait pas le concevoir avant, on ne l'a mis en place qu'à partir du moment oú on s'est rendus compte que ces jeunes-là ne pousseraient jamais la porte de l'AMO.
Sinon, on fait un travail de quartier; mais ça n'a de sens que pour toucher une population cible.
Est-ce qu'il y a une population cible qu'on ne rencontrera pas en rue ? qui ne rentrera pas à l'AMO ? est-ce qu'il y a un territoire, là, oú on va toucher le petit pourcentage de jeunes qui ne viendront pas nous parler dans la rue et ne pousseront pas la porte?
David : Rien n'empêche d'être clair: de dire que "moi ça ne me dérange pas qu'on discute comme ça, mais en discussion instantanée, je n'ai pas beaucoup de temps, parce que je suis ailleurs. Donc tu peux me laisser des messages, je ne te promets pas que je vais te répondre dans l'immédiateté, mais dès que je vois ton message, je prend le temps de te répondre". Au même titre qu'un gars qu'on rencontre dans la rue : notre but n'est pas spécialement de les ramener à Point Jaune.
Lier une relation avec lui, et voir par la suite s'il y a une demande, s'il y a une nécessité ou besoin d'aller vers un service, je veux dire, qu'il y ait une relation.
Anne-Lise : Il y a d'abord une demande de relation assez claire; qui est entamée par la toile, mais il faut voir après. Parce que je pense que toutes les demandes et les sujets ne peuvent pas être abordés sur la toile.
On a fait le topo au colloque ce matin du "pourquoi" toutes les demandes et sujets ne peuvent pas être abordés sur la toile, on ne va pas recommencer ici, mais ça veux dire qu'il y a une demande claire qui est: "j'ai du mal a rentrer en relation avec un adulte dans la réalité". On peut déjà travailler rien que ça.
Voilà "comment on peut mettre en place quelque chose pour que tu puisses venir à la rencontre".

David : Par ailleurs, FB, c'est un monde d'images. On ne met pas d'images de nous. [-> ne pas entrer dans le jeu des canons implicites du logiciel, mais tenir ses propres principes // primauté des règles propres sur les codes implicites de l'outil.]
Si on met une photo, c'est pour susciter un questionnement. De toutes façons, le jeune, il nous connait, il n'a pas besoin de voir nos visages, et on ne cherche pas à ce que les gens... c'est la même chose par rapport à ce qu'ils peuvent diffuser. On n'essaye pas de rentrer dans l'utilisation "hard-core FaceBooker", je ne sais pas comment on dit.
C'est au contraire une utilisation minimale. Ensuite, si par après il y a une nécessité d'approfondir nos pratiques... Mais peut-être aussi qu'à un moment donné j'estimerai que ça prend trop de temps, trop d'implication (Cf. principe de nécessité, notamment sur l'équilibre entre visée et pratique).

AMO : Comment faire pour le nom du profil FB, quand l'un ou l'autre part comment on fait pour les jeunes?
Anne-Lise : ça a déjà changé : avant que j'arrive c'était un autre nom. Et ça n'a pas l'air de déranger les jeunes.
Ils nous connaissent.
AMO : je confirme, c'est le duo qui est connu comme ça, moi j'ai des jeunes qui les connaissent en rue et c'est "David et Anne-Lise".

(...)

"Le collectif peut à un moment donné être dangereux, donc ce n'est pas dans leur intérêt que les jeunes puissent se réunir, parce que les gens, à force d'échange de réalités, remettent en question certaines choses établies, c'est clair. Voilà pourquoi le collectif dérange, et voilà pourquoi on existe encore."