E. de Boevé:
On est confronté à un public fortement stigmatisé et une des caractéristiques du processus de stigmatisation, en plus d'une déshumanisation de la vie du stigmatisé, est une perte du droit à la vie privée. On voit bien que les jeunes ou les familles qui sont dans un processus bien loin, ne revendiquent plus leur droit à la vie privée. Ils s'exposent et ils laissent tomber ça "ce n'est plus nous qui aurons le pouvoir sur notre image, sur notre vie privée". Et je crois qu'il faut être vraiment forts conscients dans nos pratiques quotidiennes que les personnes qui souffrent de cette stigmatisation perdent immanquablement quelque chose.
C'est le processus qui l'amène et il faut être vigilant à ne pas les laisser tomber là-dedans et à avoir recours à leur droit à la vie privée.
Je bouge beaucoup au niveau international, donc je vois la question de l'image au niveau international, et le nombre de chasseurs d'image qui essayent d'en faire un commerce, notamment de l'image des enfants et des familles en difficulté ; le nombre de fois où j'ai été sollicité par ces chasseurs d'images "On pourrait t'accompagner? On ne fait rien de mal, on prend juste des images" et je leur dis "Mais si, vous faites quelque chose de terrible, vous êtes en train de violer un espace intime etc." Pour pouvoir filmer ce qu'on ne peut en général pas visibliser dans le travail de rue c'est quelque chose qui, en général, ne peut pas être visibiliser. Dernièrement, on a demandé à RTA, justement en qui on a confiance parce qu'on se connait depuis des années, d'aller faire un tournage, un reportage sur le travail de réseau, le travail de rue. Parce que nous-même, qui sommes sur le terrain, on ne prend jamais d'appareils photo, on ne filme jamais, et bien souvent les jeunes eux-mêmes interpellent "oui, mais tu ne viens pas avec ton appareil photo?". Quand j'accompagne des travailleurs de rue, là je revient du Burkina Faso, et à un moment donné un jeune m'interpelle et me dit "mais tu n'as pas ton appareil photo avec toi?" et le travailleur de rue a le réflexe de lui dire, "non, mais il est travailleur de rue" et le jeune dit alors "ha! T'es travailleur de rue aussi! Alors ok." C'est-à-dire "ok, on est dans un espace protégé par rapport à la question de l'image". Ils sont tellement habitués d'être filmés, refilmés, rephotographiés, etc., et que ces photos et ces films soient utilisés à toutes les sauces et permettent de faire finance... C'est rentabilisé par les gens sans scrupules, c'est horrible ce qui se passe au niveau international à ce niveau là.
Pour moi, et c'est fondamental, la question de l'image : il faut la renégocier, c'est une question de confiance, et qui se construit petit-à-petit.