1. Une recherche participative en éducation permanente
En éducation permanente, une recherche participative désigne un travail collectif qui rétablit les conditions de l’égalité : il n’y a pas d’un côté des chercheurs, sujets de la recherche et de l’autre des personnes observées, objets de celle-ci.Le collectif qui est créé met tout le monde sur un même pied (professionnels et non-professionnels) et s’appuie sur toutes les ressources de chacun : expériences, connaissances, capacité de recul et réflexion.Le collectif décide de toutes les étapes : sur quoi on va travailler, comment on va le faire, à quel rythme, pour qui on va travailler.
2. Pourquoi sur le thème de la signification sociale de l’argent ?
La vision économiste dominante laisse de côté la dimension sociale et culturelle de l’usage de « l’argent » et opère donc une réduction dommageable de la compréhension de cet usage, notamment en matière d’action professionnelle ; l’argent des pauvres, en particulier, fait l’objet d’interventions où peuvent se mêler l’ignorance, la méconnaissance et une morale violente.
Vivre dans le « trop peu » de ressources deviendrait dans cette optique réductrice une affaire d’éducation à la gestion, obligeant le bénéficiaire d’une aide à apprendre à gérer, le privant ainsi de tous les moyens qu’il a lui-même élaborés et mis en place pour faire face à une situation tendue, des moyens qui relèvent de l’économique, mais aussi du social et du culturel. Au lieu de contester ces moyens, c’est bien la situation de départ dans sa précarité qu’il serait intéressant de considérer et de reconnaître dans son caractère inacceptable.
3. Le point de départ de cette recherche participative
Dans notre centre de documentation, nous proposons notamment des « arpentages » d’ouvrages, à partir de cette technique de lecture collective issue des mouvements ouvriers du XIXème siècle qui visait à favoriser l’accès au savoir pour tous et par tous.
L’ouvrage que nous avons proposé d’arpenter au groupe constitutif de la recherche participative est celui d’une sociologue américaine, Viviana Zelizer, qui a écrit La signification sociale de l’argent.
À partir de témoignages issus de nombreux documents d’archives contemporains de l’introduction du dollar comme monnaie unique sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis, Viviana Zelizer réalise une vaste enquête qui porte sur les pratiques économiques des familles américaines, sur une période qui s’étend de 1830 à la première moitié du XXème siècle.
Elle s’attache à cette période parce que celle-ci permet de mettre en lumière une opposition très moderne entre les théories économiques classiques, qui réduisent l’argent à un médium neutre et impersonnel de l’échange économique (adapté à la réalité de l’économie marchande) et les usages sociaux et culturels au travers desquels les familles créent, façonnent et transforment diverses formes de monnaie, avec une grande créativité.
Lorsque ces familles créatives en matière d’usages sociaux (ou « marquage ») sont des familles pauvres, qui bénéficient d’une aide sociale de l’État américain, c’est une véritable lutte que Viviana Zelizer met en lumière, les usages des familles ne correspondant pas aux usages prévus par les travailleurs sociaux qui les encadrent. Elle montre à travers les décennies comme les travailleurs sociaux tentent de garder le contrôle, opposant par exemple aide en nature et aide en argent, argumentant que les pauvres le sont parce qu’ils ne savent pas gérer leur argent. Ils doivent donc être encadrés, formés aux marquages du consommateur compétent, quitte à attaquer les valeurs sociales et culturelles de la personne assistée.
Le propos de Zelizer, résolument moderne, entre en parfaite résonance avec les observations et le vécu de personnes bénéficiaires d’aide sociale aujourd’hui, dans notre pays.
4. Le groupe de recherche
Avec l’ambition de construire une recherche qui puisse faire progresser la lutte contre les inégalités, le groupe de recherche constitué est un groupe hétérogène, qui rassemble des professionnels du social et des personnes ayant une expérience de la pauvreté, lesquelles peuvent croiser leurs expériences respectives de l’usage social de l’argent et ainsi, nous l’espérons, faire régresser la méconnaissance dommageable des situations réellement vécues.
Se situant des deux côtés de la relation à l’argent, ce groupe a ainsi la légitimité de traiter « avec » les autres ces questions (plutôt qu’à propos de ceux-ci), chacun pouvant puiser dans son propre vécu et sa propre réalité pour alimenter les échanges et construire une réflexion commune.
Liste des membres de cette équipe de recherche
- Facilitatrices et facilitateur en prévention des inégalités au RWLP
Geneviève Baert
Véronique Boudlet
Jérémy Kulumba
Virginie Timsonet
- Témoins du vécu/militant au RWLP
Laetitia Clin
Alain Delhaye
Anne Fournier
Jean-Luc Vyncke
- Secrétaire générale et politique du RWLP
Christine Mahy
- Coordinatrice du Réseau belge de lutte contre la pauvreté (BAPN)
Caroline Van Der Hoeven
- CPAS de Braine-le-Château et membres de l’InterCPAS du Brabant wallon
Cécile Couvreur
Gwenaëlle Scoyet
- Economiste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
Elisa Dehon
- Agent de prévention à l’Observatoire du crédit et de l’endettement
Dorian Michel
- Directrice de l’asbl RTA
Jacqueline Fastrès
- Formatrice et chercheuse à l’asbl RTA
Laurence Watillon
- Expert associé asbl RTA
Jean Blairon
5. La première étape
La première journée s’est déroulée le 16 février 2023, en 2 temps :
- « l’arpentage », ou la découverte de l’ouvrage de Viviana Zelizer à travers la lecture de plusieurs extraits, en 3 groupes hétérogènes, et de la mise en commun des analyses en groupes ;
- à la suite de ce travail alimenté par les expériences concrètes de chacun, a été élaboré un premier recueil d’objets de recherche possibles. Une synthèse de ces objets sera discutée lors de la journée suivante, le 7 avril 2023, pour déterminer le ou les objets sur le(s)quel(s) portera la recherche participative.
A voir également
Deux articles par Christine Mahy, Secrétaire générale et politique du RWLP et Jean Blairon, Administrateur de l’asbl RTA:
- « Réduire les inégalités, quels enjeux, quelles luttes, quels points d’appui? »
Paru dans L’essor - n°103 Précarité, pas une fatalité - revue trimestrielle du secteur de l'insertion socioprofessionnelle • 1er trimestre 2023, consultable en ligne https://www.interfede.be/wp-content/uploads/2023/04/Essor_103_web.pdf
- « A propos de la précarité : nouveaux visages et masques anciens »
A paraître dans un prochain numéro de l'Observatoire, Créateur d’échanges et de transversalité dans le Social - https://www.revueobservatoire.be/
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